Dans le Sankuru, un indépendant fait mordre la poussière au briscard Lambert Mende
  • lun, 22/07/2019 - 02:30

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1462|LUNDI 22 JUILLET 2019.

Une forte coalition anti-Mende de l’élite provinciale s’est mobilisée dans le Sankuru pour faire barrage à la candidature de Mende battu à plate couture (17 voix contre 8) samedi 20 juillet 2019 à Lusambo. La guerre d’opinion perdue pour l’ex-inamovible porte-parole du Régime Kabila.

Cela renvoie au dossier Baende lorsque toute l’élite de l’Equateur s’est levée contre l’ancien prêtre de Mbandaka que Mobutu avait chéri. Malgré un ancrage sociologique à faire pâlir d’envie, Etafe Eliko a compris qu’il est périlleux d’être seul face à tous...
Membre de l’ex-Majorité Présidentielle, Jean-Claude Baende Etafe Eliko fut combattu farouchement en Conseil des ministres et à Kingakati, au Bureau politique de la Majorité autour de Kabila par une CAB, la Coalition Anti-Baende composée de personnalités de la majorité et de membres de l’opposition, originaires du Grand Equateur.

UN CAS D’ECOLE.
Toute idée de maintien de Baende à son poste devint hallucination. Le gouverneur fut révoqué par le Président de la République au moment où l’homme annonçait le décès de sa mère et que le deuil réunissait toute la ville de Mbandaka en sa résidence.
L’ordonnance fut signée le 15 mars 2013 officiellement après une crise entre l’exécutif provincial et l’Assemblée délibérante mais entretenue par l’élite politique locale à Kinshasa.
Le texte lu au jt de la télévision Rtnc invoquait une «crise grave et persistante» menaçant le fonctionnement régulier des institutions provinciales.
C’est le Secrétaire exécutif de la Majorité présidentielle, Louis-Alphonse Koyagialo Gbase Te Gerengbo, porte-parole de la fronde CAB, qui fut adoubé par l’élite politique pour la fonction, puis investi par le Bureau politique de la Majorité présidentielle.
Le 10 juin 2013, Koyagialo fut élu gouverneur de l’Equateur écrasant son concurrent opposant anti-Kabila, Jean Lucien Busa, par 76 voix contre 27.
Dans l’histoire du Congo, l’affaire Mende restera un cas d’école...
Son visage et sa voix incarnaient avec force le régime qui l’a maintenu ministre douze ans durant (5 février 2007-7 mars 2019). D’abord aux Hydrocarbures sous Gizenga I et Gizenga II, il hérite le 6 avril 2012 sous Muzitu I le portefeuille des Médias (à ce titre, selon un registre suranné, porte-parole du gouvernement), fonctions qu’il conserve sous Muzitu II et III, puis sous Matata I et Matata II, sous Badibanga et... Tshibala.
Il ne quitte l’Exécutif que douze ans après, le 7 mars 2019, incompatibilité oblige, après son retour à l’Assemblée nationale au lendemain des scrutins du 30 décembre 2018. Il a accompli le même trajet que Martin Kabwelulu Labilo sauf que celui-ci inconnu des médias, a su surprendre en ne dévissant pas, douze ans durant, de son fauteuil des Mines.
Egalement élu député provincial du Sankuru, l’objectif de Mende n’avait jamais été de siéger à l’Assemblée provinciale mais de diriger la province.
Au lendemain de l’élection de Tshisekedi à la magistrature suprême, l’inamovible porte-parole du gouvernement dont les conférences de presse kilométriques souverainistes et peu diplomatiques se transformaient en champs de bataille était surtout l’homme qui houspillait les chancelleries accusées d’«ingérences insupportables» dans les affaires du pays, les opposants «peu scrupuleux et aux ordres de l’étranger impérialiste», les journalistes et défenseurs des droits de l’homme «venimeux adeptes du Congo bashing», se savait trop détesté pour chercher à prétendre à une fonction exécutive dans la Capitale.
Il voulait prendre le large. Le Sankuru où il avait investi dans l’immobilier était une aubaine, à condition de la diriger. Il y avait fait élire des membres de son parti CCU, de son regroupement l’Alliance et la plate-forme FCC compte
22 des 25 élus. Du petit-lait. Sur un plateau d’or, il s’offrit l’investiture du FCC avec mission de faire gagner le ticket de la super plate-forme de l’ex-président dans la seule province du Kasaï susceptible de voter Kabila...
C’est oublier la CAM, la redoutable Coalition Anti-Mende, installée dans cette province qui compte deux types de Tetela: ceux de la Savane et ceux de la Forêt. Si les Tetela de la Savane étaient plus ouverts, après avoir fréquenté les meilleures écoles du pays et du monde, Lambert Mende Omalanga était issu des Tetela de la Forêt, communauté qui aurait subi des pires brimades au cours de l’histoire.

LA REVANCHE DE LA FORET.
Un peu comme la guerre en Belgique entre le nord flamand et le sud wallon - le nord depuis des siècles dominé sinon colonisé par le sud proche de la France, a finalement pris sa revanche à la suite du phénomène de retour de la manivelle -, crânement Mende mobilise les siens de la forêt contre ceux de la savane...
Ministre des Médias pendant sept ans sans discontinuer (6 avril 2012-7 mars 2019), il use du secteur à l’envie en vue de réduire au silence ses adversaires politiques pourtant tous connus à l’échelle nationale et en international: l’ancien 1er vice-président de l’Assemblée nationale Lutundula qui a affronté en pleurs Mende au Bureau politique de la Majorité auquel il n’avait jamais appartenu, déclare un jour n’avoir «aucun destin sous Kabila tant que Mende existe à ses côtés»; l’ancien vice-premier ministre en charge des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu avec qui il s’écharpe à longueur de journée; l’ancien ministre des Affaires étrangères et ambassadeur à Pékin Jean-Charles Okoto Lolakombe; le président du CNSA Joseph Olenghankoy Mukundji; l’ancien président de la rébellion du RCD-Goma et ministre de la Défense du Régime 1+4, Adolphe Onusumba Yemba; le sénateur Raymond Omba Pene Djunga, ancien directeur de la sécurité de Mobutu, condamné en 1975 à la peine capitale dans l’affaire du «coup d’état monté et manqué», gracié par Mobutu, qui décrète, le 9 juillet, quand la campagne anti-Mende bat son plein, une fatwa du «Guide Suprême». Un appel militaire, à l’heure de la coupe d’Afrique, au titre de saison: «Battez l’ennemi et ramenez-nous la victoire». L’ennemi c’est l’ex-patron des Médias congolais.
L’ex-colonel de 77 ans déclare dans cet appel lu sur les marches du Palais de la Nation, siège du Parlement, à Kinshasa: «Chers compatriotes, malgré la résistance des élus provinciaux au dictatorial d’un groupe d’individus qui continuent à se croire tout permis et qui envisagent la catastrophe chez nous, les détracteurs et ennemis de l’envol du Sankuru n’ont pas désarmé. Ils tiennent à perturber l’élection de ce mercredi. Pour cette raison, en notre qualité de doyen des élus du Sankuru et sage de la République, nous encourageons vivement les députés provinciaux à affronter en âme et conscience la finale de la compétition qu’ils ont gagnée depuis le début. Allez-y chers élus provinciaux, battez l’ennemi et ramenez nous la victoire. Tous les Sankurois du monde entier vous regardent comme les Juifs qui attendaient la visitation divine et le rétablissement du mur de Jérusalem».
Seul Tetela aux abonnés absents: le très puissant Moïse Ekanga Lushima.
Bras droit de celui qui était, de son vivant, connu comme Vice-Président du pays sinon Président de la République, Augustin Katumba Mwanke disparu mystérieusement le 12 février 2012 dans le crash d’un jet sur la piste de l’aéroport de Bukavu, ce patron multi-millionnaire très discret du bureau du partenariat sino-congolais, pasteur d’église, est resté l’œil et l’oreille de Kabila au nom de qui il a toujours agi...
Mais c’est l’arrivée à la tête du ministère de l’Intérieur de l’ancien journaliste de télé privée, Basile Olongo, Sankurois comme Mende, qui change la donne et sonne le glas du puissant porte-parole.
Candidat gouverneur du Sankuru, l’ex-ministre des Médias connaissait le statut d’étranger de son jeune rival de 36 ans, candidat indépendant Joseph-Stéphane Mukumadi. L’homme accusé d’avoir fait agresser l’envoyé spécial du président Barack Obama, Tom Perriello, au départ au salon d’honneur de l’aéroport de N’Djili jusqu’au pied de l’avion, a documenté la nationalité de ce candidat qu’il redoute et communiqué les pièces à la CENI. Qui agit vite. Détenteur d’une nationalité étrangère (française ou belge), Mukumadi est invalidé et débarqué de la course...
Une vraie tragédie pour la CAM, les Anti-Mende. Les députés désormais face à un seul candidat: Mende encore soutenu par le FCC. Un vrai sacre se dessine. Sauf que Mende, sur qui pèsent des allégations de crimes (incendie et destruction des centaines de villages, tueries d’hommes, répression des médias, etc.) est unanimement détesté en international. Avec une dizaine d’autres personnalités politiques congolaises, il est sous sanctions de l’UE, interdit d’accès sur le territoire européen.
Mende n’en a cure. Du moins, le dit-il.
A cinq nouvelles personnalités congolaises sanctionnées cette fois par Washington pour «implication dans une corruption importante liée au processus électoral» (le président de la CENI Corneille Nangaa, son vice-président Norbert Basengezi, l’un des conseillers de Nangaa, fils Basengezi, Mukolo Basengezi, l’ancien président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku, le président de la Cour constitutionnelle Benoît Lwamba Bindu), le tout puissant ministre dit de ne pas avoir peur. Il les appelle à «travailler main dans la main avec toutes les autres composantes de notre société pour faire émerger notre pays et nous permettre de faire que nous soyons en mesure de tutoyer ceux qui se prennent pour les maîtres du monde. Et il ne leur sera plus possible de chercher à marcher sur nous avec ces sanctions». N’empêche! La mise à l’écart du candidat indépendant met le Sankuru dans un état de détresse extrême. Spectre de nouvelles violences à l’horizon...La CAM composée, comme à Mbandaka, de membres de la majorité et de l’opposition, doit sortir du bois. A la manœuvre: l’ancien Vice-ministre de l’Intérieur qui a pris les clés du ministère au titre de Vice-premier ministre de l’Intérieur, son prédécesseur Henri Mova Sakany ayant été contraint de démissionner du gouvernement en vue de respecter la décision du Conseil d’État interdisant le cumul des fonctions.
Fixée au 10 avril 2019, l’élection est repoussée au 13 avril, puis au 15 avril, suite à «un problème».
Le 15 avril, Olongo demande à la Commission électorale nationale indépendante, au nom du président de la République Tshisekedi, de surseoir au scrutin. Raison: «éviter les violences», des affrontements ayant déjà eu lieu en février lors de protestations contre cette candidature unique. Mukumadi a le temps de se mettre en règle avec la loi en renonçant à sa nationalité étrangère et en obtenant, selon la procédure de recouvrement de la nationalité congolaise perdue, un arrêté du ministre de la Justice.
Le 7 mai, le président reçoit des notables du Sankuru.
Au cœur de la réunion: refus de la CENI de connivence avec des Kabilistes d’appliquer l’arrêt du Conseil d’État réhabilitant le candidat invalidé par la Cour d’appel de Lusambo. Un Conseil d’Etat dont le président clivant, Félix Vunduwe Te Pemako, faillit en l’espèce être évincé, sauvé in extremis par un coup de fil de la Présidence de la République. Et, comment dénouer ce nœud gordien?
Parmi ces notables, un constitutionnaliste avéré: le Député national élu de Katako-Kombe (opp.), Christophe Lutundula. En technicien du Droit, le député de Lamuka (opp.), devant ses collègues élus, enfile l’étoffe de défenseur de la loi, bien que juge et partie, déploie la doctrine du Droit, les différentes sources du Droit, expose leur hiérarchie. Il démontre que la loi électorale qui est une loi ordinaire ne saurait supplanter la loi fondamentale, citant la Constitution. Le législateur ordinaire n’a pas pouvoir de contredire le constituant qu’est le peuple. Le député brandit l’article 155 de la Constitution, en donne lecture: «Le Conseil d’État connaît en appel des recours contre les décisions des Cours administratives d’appel». Conclusion: l’article 27 de la loi électorale est contraire à la Constitution. Lutundula invite le Président de la République de saisir la Cour constitutionnelle aux fins de déclarer inconstitutionnel l’article 27 de la loi électorale qui contredit l’article 155 de la Constitution. Cet article 27 selon lequel «lorsqu’une Cour d’appel a pris une décision concernant les contentieux des listes, cette décision est prise en dernier ressort et ne peut faire objet de recours». Modifier les règles en plein match? Tshisekedi ne s’y emploie pas... Mais cette réunion compte un absent: Mende. Qui soupçonne Olongo de l’en avoir éloigné...

LACHE PAR LA FAMILLE.
Le 19 mai, des vidéos tournent en boucle sur YouTube et WhatsApp. Elles montrent l’ancien homme fort du régime embarqué de force par des éléments armés, jeté sans ménagement à bord d’une jeep de police. Désacralisé, Mende dit avoir été «brutalisé, roué de coups». Il accuse Olongo d’être derrière cette humiliation quand le FCC embouche la trompette de la provocation et parle d’horreur absolue.
Olongo conteste cette présentation, explique que l’ex-ministre était mêlé dans une affaire de diamant de 87 carats valant plusieurs millions de $US issu du sol sankurois, que les propriétaires du diamant l’avaient dénoncé à la police pour détention illégale et séquestration.
Des millions de vues, de reprises sur des radios, télés, journaux qui dépècent et dévorent crue la bête.
Jeanine Mabunda Lioko réclame des sanctions. «Il est possible qu’un élu réponde à des informations judiciaires mais dans le respect des procédures et des prescrits légaux», explique la présidente de l’Assemblée nationale.
Directeur des Renseignements généraux de la Police, le général Vital Umiya Awashango - un autre Tetela cité dans l’opération, est provisoirement mis de côté.
L’affaire est sous instruction, selon des sources proches du ministère de l’Intérieur.
Elle participe à un sentiment de rejet cordial général. Le Sankuru est horrifié d’avoir été dépouillé de ses richesses, pendant des années, par l’un de siens, chantre du souverainisme...
Le diamant de 87 carats se serait volatilisé après qu’un certificat attribué au CEEC, Centre d’Evaluation, d’Expertise et de Certification des substances minérales précieuses et semi-précieuses, ait établi qu’il s’agissait plutôt d’un «faux diamant».
Si la CENI a organisé cette élection le 20 juillet donnant l’occasion à un indépendant de faire mordre la poussière à la «Machine FCC» (17 voix contre 8), la centrale électorale est passée outre le recours de l’ex-ministre dont les appuis politiques se sont effritées et qui continuait de brandir l’article 27 de la loi électorale. Mais la Cour d’appel a rendu un nouvel arrêt qui renvoie la requête de Mende, se déclarant incompétents «à statuer sur une décision dont le Conseil d’État a déjà donné une orientation».
Clair comme l’eau de roche: les juges de Lusambo ont changé casaque. La guerre d’opinion perdue, Ekanga et Kabila ont-ils lâché Mende qui pointe du doigt l’UDPS? Mende crie à la corruption à outrance, parle «d’anomalie», veut se «remettre à la hiérarchie du FCC et à la population qui avait élu ses députés». Puis: «Ma situation a permis de se faire une idée sur la fiabilité et la fidélité des membres du FCC».
T. MATOTU.


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