- jeu, 16/04/2015 - 02:38
Il n’y a aucun doute: le Gouvernement piégé par l’opposition, des ONG et, il faut le souligner bien fort hélas!, des membres de sa propre majorité, a su donner la preuve qu’il peut desserrer un malin étau présenté par tous les observateurs comme «Lubumbashi-bis» qui précipita la fin du régime Mobutu. A l’étranger, il n’y avait pas un titre de presse écrite, la plus petite radio, la plus petite chaîne locale de télé qui n’avait pas pour ses «fosses communes de Maluku», à près de à 80 kms de Kinshasa, où auraient été enterrés «nuitamment «des personnes tuées pendant les manifestations de l’opposition, en janvier dernier», rapportaient certaines organisations des droits de l’homme et des opposants. Avec un peu de recul, il faut avouer que le Gouvernement avait été pris au dépourvu par ce que des opposants ont tôt appelé «un massacre de masse de plus dont se rendait coupable un régime sanguinaire». Et les réseaux sociaux de s’en donner à cœur joie.
DU VRAIPAIN BENI.
Du pain béni, rien que du pain béni pour ceux qui se léchaient déjà les babines en se disant qu’ayant échoué d’obtenir la fin de ce régime par toutes les «manifestations violentes de rue», ils allaient pouvoir appeler avec plus de crédibilité des chancelleries afin qu’elles donnent l’ordre au régime de «dégager» s’il ne voulait pas être chassé par des manifestations de rue. Et celles-ci avaient déjà commencé sinon dans le pays, au moins à l’étranger. A Paris, l’ambassade du Congo, Cours Albert 1er, était attaquée et l’ambassadeur Ileka Atoki était littéralement aspergé de sauce tomate. Au moins, son intégrité physique fut sauve... A Bruxelles, après une répétition générale - une sorte d’ échauffement - on annonçait de vastes rassemblements de «Combattants» réunissant les plus durs opposants de l’étranger convergeant vers la capitale de l’Europe. Si Paris et Washington, deux capitales majeures qui suivent la politique congolaise au plus près restaient plutôt prudentes - sans avoir publiquement fait une déclaration bien que le représentant de l’Union Européenne à Kinshasa ait déjà tracé la ligne, Jean-Michel Dumond -, à Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères (libéral francophone) Didier Reynders ne laissait planer l’ombre d’aucun doute sur la position du royaume en postant un tweet depuis son compte officiel appelant «la sanctuarisation du site de Maluku jusqu’à la fin de l’enquête» qui «doit être ouverte sans délai» quand son collègue en charge du Développement Alexander De Croo (autre Libéral mais flamand), mettait 1, 5 million d’euros sur la table de la Monusco afin de... garantir une enquête «internationale neutre, crédible, au-dessus de tout soupçon»!
«A KINGAKATI, ON EST RASSURE».
La machine était lancée et les jours du régime étaient comptés! Puisque des correspondants de presse affluaient dans les consulats du Congo sollicitant des visas. Chacun voulait être le premier à prendre l’image de... la fuite à l’étranger des dirigeants qui marquerait la chute du régime!
Avouons que les premières communicants officiels laissaient pantois, les éléments de langage n’avaient pas encore été maîtrisés face à l’émotion compréhensible entretenue par l’opposition et par des ONG. Plus grave: sur ce dossier comme sur moult autres dossier, la majorité ne partageait pas la même lecture. «Si l’affaire des fosses communes de Maluku suscite un tel malaise, c’est aussi parce qu’en plus du malaise social, elle s’inscrit dans un climat politique délétère: l’opposition multiplie les interpellations sur le sujet mais surtout la majorité présidentielle elle-même est divisée», écrit sur son blog la journaliste belge Colette Breakman (3 avril 2015, site utilisant les blogs du soir.be). C’est à l’unanimité des membres présents réuni dimanche 12 avril à la ferme présidentielle de Kingakati (à l’est de la ville de Kinshasa) sur un agenda ordinaire que le Bureau Politique de la majorité présidentielle élargi aux présidents des groupes parlementaires (majorité) accepta, sur proposition d’un des siens, d’inscrire sur son ordre du jour «l’affaire Maluku».
Dès la prise de parole par le ministre de la Justice Alexis Thambwe Mwamba, le Bureau politique comprit que «l’affaire Maluku» n’était pas une affaire. Les explications du garde des sceaux paraissaient claires comme l’eau de roche. Kinshasa était une mégapole de 70 millions d’habitants où la pauvreté est réelle tout comme l’absence de solidarité familiale, la prise en charge parentale ou la stigmatisation des jeunes filles.
Des statistiques des services urbains - notamment de la Croix Rouge locale - étaient présentées. Les capacités de la plus grande morgue de la ville: 310 corps. Or, ce lieu reçoit une moyenne de 622 corps/mois avec une moyenne journalière de 21 corps, explique le ministre citant la direction de la morgue de l’hôpital Mama Yemo qui relève désormais des autorités municipales.
DIPLOMATESA LA MORGUE.
Depuis le 19 mars, jour où eut lieu cet «enterrement collectif» - 421 corps - dans le seul but de désengorger la morgue - 178 nouveaux corps avaient été accueillis. Face au «malaise» né de cette «divulgation/dénonciation» - par un Député d’opposition lors d’une motion d’information -, ordre avait été donné par le Président de la République de communiquer, dès le lendemain 13 avril, dès 8 heures30’ en direction du corps diplomatique, d’organiser une visite de la morgue de Kinshasa afin que les diplomates se rendent compte, par eux-mêmes, de la situation prévalant en ce lieu. Le ministre Thambwe expliquait, dans les détails, que dans cette affaire, toute la procédure d’inhumation avait été respectée, tout comme la dignité des personnes décédées dont chaque corps avait été préalablement enfoui dans un linceul. «Il n’y a jamais eu ni odeur pestilentielle provenant des corps en putréfaction - diplomates et ONG internationales s’en rendront par eux-mêmes compte -, ni des membres des personnes décédées sortant de terre pour avoir été ensevelis à la hâte, ni la présence d’un homme armé lors de cet enterrement. Si cette inhumation qui n’est ni la première, ni la dernière, avait pu avoir lieu au petit matin, c’est à la demande de la morgue qui craignait pour la sécurité des agents des pompes funèbres souvent agressés par des riverains qui prétendent que ces espaces leur appartiennent à eux et non à la ville». De même, le Bureau politique a été éclairé sur la sémantique, la lexicologie, le vocabulaire appropriés. «A Maluku, il ne s’est pas agi d’une fosse commune, mais d’une tombe commune. La fosse commune renvoie à un massacre de personnes dont un coupable cherche à se débarrasser et à dissimuler».
De même, le vocabulaire «indigent» allait disparaître des «éléments de langage. Le gouverneur de la ville André Kimbuta Yango s’en était tôt ému.
AVORTEMENTS CLANDESTINS.
«Aucun de mes Kinois ne saurait être qualifié d’indigent. Même si c’est le cas, tout mort mérite respect et dignité», avait-il expliqué. Puis, ce fut le ballet des Chambres pour le Vice-premier ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité, Evariste Boshab Mabudj. Qui invoquait le devoir de redevabilité, l’obligation d’informer les élus, la Nation, le monde. Ce monde devenu désormais un petit village. Hubert Marshall Mac Luhan (1911-1980) avait si bien vu les choses.
Au Sénat, l’auteur d’une question d’actualité Sébastien Adambu donne raison à Boshab.
«C’est vrai, les avortements clandestins sont légion. Dans ce cadre, il n’y a pas moyen de conjurer les faits, compte tenu de ce que notre société n’est pas stabilisée.
De l’autre, il y a des personnes non identifiées par manque de pièce d’identité». S’interrogeant si toutes les précautions ont été prises pour la sauvegarde des droits de la personne humaine.
«Un mort, ce n’est pas un chien, c’est un homme et il a ses droits. Est-ce que tous ses droits ont été préservés? La réponse nous l’aurons peut-être à la suite d’une question orale avec débat qu’un sénateur pourrait introduire», ajoute-t-il.
Malgré cet effort de transparence - «le Congo n’a rien à cacher», répètent les deux ministres qui ont annoncé une enquête judiciaire, la Monusco ne paraît guère convaincue. Elle insiste pour que les autorités fassent toute la lumière sur cet enterrement.
Jose Maria Arañaz, chef du bureau des droits de l’homme de l’ONU, à Kinshasa, les encourage à exhumer les corps pour faire cesser les inquiétudes sur la façon dont ces personnes sont mortes. «Il faut fournir tous les efforts pour faire la lumière sur cette affaire, autrement dit, rassurer la population civile et la communauté internationale qu’il n’y a rien à cacher», a déclaré José Maria Arañaz, cité par Rfi.
D. DADEI.