La mort de Bofassa
  • jeu, 27/06/2024 - 14:22

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1612|LUNDI 24 JUIN 2024.

On s'est réuni deux ou trois fois à quatre et ça s'est arrêté.

Celui qui ignore son histoire s'ignore totalement.
L'homme qui a perdu ses racines ne saurait avancer.

Ce jour-là, lundi 3 décembre 2018 dans la soirée, au cœur du siège de l'Udps, à Limete, je suis à la première rangée devant la foule, face au podium. Il y a là, devant moi, toutes les têtes couronnées de CACH. Le président de l'Udps, président du Rassemblement de l'Opposition né à Genval, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ; l'équipe dirigeante de l'Udps au grand complet - Jean-Marc Kabund-A-Kabund, Augustin Kabuya Tshilumba, etc ; le président de l'UNC, Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi, maître de céans.

Je suis le premier à être appelé par Kamerhe et le public composé de militants de l'Udps et de mon parti PA, ovationne ma montée au podium. Je signe des documents m'engageant. Applaudissements frénétiques. Kamerhe me tend le micro. Grande émotion ! J'évoque mes rencontres avec l'opposant historique, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, à Kinshasa sous Mobutu, en Afrique du Sud, à Sun City au Dialogue inter-congolais en avril 2002, à Prétoria le 23 avril 2002, où nous créons l'ASD, l'Alliance pour la Sauvegarde du Dialogue Inter-congolais dont l'opposant est le Président et moi le Rapporteur.

Ce 3 décembre 2018 marque mes retrouvailles avec l'Udps.
J'explique comment à la MP, la Majorité Présidentielle, d'où l'on venait tous, j'avais présenté et défendu devant Kabila l'idée que «Félix Tshisekedi était le choix si on voulait sauver le pays, la prise du siècle à opérer pour sauver ce pays ». Applaudissements frénétiques.

Monte ensuite sur le plateau Charles Bofassa Djema. Il signe les documents. Il est applaudi. Il prend la parole. Il est applaudi.

Ce jour-là, CACH, Cap pour le Changement, né le 23 novembre 2018 à Nairobi, a pris ses racines, à Kinshasa.
Le lendemain, début de la campagne électorale...

Tryphon Kin-kiey Mulumba glisse sur la Nationale n°1, se jette sur les routes sablonneuses du Grand Bandundu comme Directeur de campagne. Bofassa s'envole pour Mbandaka, dans le Grand Équateur comme Directeur de campagne.
CACH gagne la présidentielle.

Dans la nuit du 19 au 20 janvier 2019, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est proclamé élu président de la République par la Cour constitutionnelle. Il est le premier à arriver au pouvoir par une alternance pacifique. Mais le cinquième président du pays dispose d'un nombre insignifiant de députés octroyés par l'ex-camp présidentiel. Pour avoir rejoint CACH, Kin-kiey et les siens sont punis par le camp Kabila qui s'est fabriqué une majorité stalinienne en vue d'imposer une cohabitation et continuer à régner !

Avec Henri Djiunga Nsomwe Konyi Kadilu dit Kitenge Yesu Nz qui m'appelle «mon fils», que j'appelle « mon père» et Jacques Tshimbombo Mukuna qui nous a rejoints, nous mettons un cadre de travail pour «régler les problèmes du pays» après la pagaille de la mise en place des Institutions et la crise qui clairement se profile à l'horizon.

Mais les rencontres sur les hauteurs de la ville, à Binza Pigeon, à la résidence de Henri Djiunga Nsomwe Konyi Kadilu, s'annoncent difficiles dès le départ. Il faut tenter le tout pour le tout. Nous n'avons pas le choix. Nous nous retrouvons deux ou trois fois autour de Henri Djiunga Nsomwe Konyi Kadilu.

Ce jour-là, la tension est trop perceptible. D'entrée de jeu, Bofassa se lâche, dit voir une mise en scène, un complot d'effacement ; rappelle qu'il connaît «trop bien» ses interlocuteurs, dit sa conviction qu'ils n'ont pas changé. Il monte le ton comme il savait le faire, atteint la zone de furie. Je l'interromps. Je tente de calmer le jeu. Mais Bofassa ne décolère pas. Il monte encore et encore, dit connaître ses interlocuteurs, pense qu'ils n'ont pas changé. Il évoque les coups reçus dans une vie passée. J'interviens avec force.

Bofassa ne retombe pas. Assis à ma gauche, Tshimbombo est de marbre. Comme «mon père», droit face à nous, qui, calmement, me demande de «le» laisser vider son sac. Puis, lève la séance, clôt les réunions. Il n'y aura plus aucune autre sous ce format. Nulle part, Henri Djiunga Nsomwe Konyi Kadilu n'évoque ni cet incident, ni le nom de Bofassa.

DIEU A DONNÉ, DIEU A REPRIS.
Quand avant la réunion de Genève qui s'ouvre le 9 novembre 2018 où Martin Fayulu Madidi triomphe comme candidat commun de l'opposition, l'Udps qui a senti le piège, que certains de ses hauts Cadres me contactent comme candidat Président de la République pour que je me désiste et rallie celui qui s'y prépare, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, j'avoue n'avoir pas compris la démarche.

Mais la politique étant un jeu des calculs et des anticipations, je suis à l'écoute. Les appels se poursuivent, deviennent plus nombreux et plus pressants quand la réunion de Genève échoue avec le retrait de la signature de Tshisekedi suivi de celle de Kamerhe. Le projet est désormais de jeter le pont sur le pays : l'Est (Kamerhe), le Centre (Tshisekedi), l'Ouest (Kin-kiey). L'accord est conclu la veille de la rencontre de Limete, le 2 décembre 2018 dans une villa en pleine Gombe.

Quand Kamerhe apprend que l'Udps a un allié de taille à l'Ouest, ce stratège rappelle l'un de ses vieux amis, Bofassa, homme de l'Équateur, de l'Ouest.

Le pont consolidé. CACH est fait de l'Udps et de l'UNC, chacun avec un partenaire. Tous ex æquo ? Mais le trio présidentiable est connu : Tshisekedi, Kamerhe, Kin-kiey. Candidats tous les trois à la Présidence de la République, chacun a versé 100.000 $US de caution, nos candidatures retenues et validées à la Commission Électorale Nationale Indépendante et à la Cour Constitutionnelle, Bofassa est hors jeu ? A-t-il été incompris par son partenaire, l’UNC ?

Après l'échec des rencontres à Binza Pigeon, Bofassa s'est isolé chez lui, à sa maison, sur le toit du camp Badiadingi, en allant au Kongo Central.

J'ai gardé le contact avec Bofassa sans rien dire à mon père inconsolable. Je lui rends visite deux ou trois fois. Je salue sa femme et ses enfants. Si je le trouve un peu fatigué. Il dit ne manquer de rien. «Le poisson frais de Mbandaka arrive toujours ; les avions décollent et reviennent», m'assure-t-il.

Quand j'apprends qu'une ordonnance présidentielle a été signée le désignant au CAMI, le Cadastre Minier, j'ai à l'idée que jamais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ne perd de vue une personne qui a été avec lui et qui a rendu service.
Samedi 22 juin, une journaliste vedette d'une chaîne privée de télévision me poste un audio. Elle s'est éclatée en pleurs. Elle m'annonce la disparition de Bofassa.

De quoi est mort cet homme, licencié en Sciences sociales de l’Université de Lubumbashi, plusieurs fois ministre sous Mobutu dont aux Sports, qui avait eu un accident de santé, dont il s'était tiré plutôt bien, qui suivait régulièrement des soins ?

«Dieu a donné, Dieu a repris. Que le nom de Dieu soit loué».

Je salue debout la mémoire de ce membre du CACH. Bofassa a rejoint dans l'au-delà deux hommes qui m'étaient si chers, Kitenge Yesu et Tshimbombo Mukuna, partis l'un après l'autre dans l'intervalle de moins d'un mois, l'un le 31 mai au matin quand je me trouvais à l'étranger, l'autre le 24 juin à mon retour au pays.

Que la terre de nos Ancêtres leur soit douce et légère.

KKMTRY.


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Tryphon Kin Kiey Mulumba