Face à la guerre que faire ?
  • jeu, 04/07/2024 - 17:53

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1613|MERCREDI 3 JUILLET 2024.

Le conflit qui étrille l’Est du pays a pris une nouvelle tournure le week-end dernier. Trois villes du Nord-Kivu ont été prises par les rebelles de la coalition M23-AFC appuyés par l’armée rwandaise. Ces rebelles ne se contenteraient plus de ces cités, dont d'autres concentrées de minerais stratégiques, telle la cité minière de Rubaya d'où est extrait 50% du coltan produit au Congo. Selon plusieurs sources documentées, l’armée ougandaise a joué un rôle clé dans ces dernières opérations militaires. Des vidéos ont montré une succession de véhicules militaires ougandais - une vingtaine au total - pénétrant sans aucune obstruction à Kanyabayonga, venus en ravitaillement aux forces d'agression.

Trois pays voisins de l’Est sont donc désormais clairement identifiés et coalisés dans la guerre aux côtés des rebelles du M23-AFC. Il s’agit du Rwanda, de l’Ouganda, du Kenya.

Le président du Kenya, William Ruto qui fait face à une violente contestation populaire dans son pays, a eu droit le 23 mai 2024 à Washington, à la Maison Blanche, à un tapis rouge, accueilli, lui et son épouse, par le président américaine Joe Biden et son épouse, Jill Biden, née Jill Tracy Jacobs.

Il y effectuait une visite d'État de trois jours, la première à Washington, à la Maison Blanche, d'un président africain, depuis 2008, année qui avait marqué la visite du Ghanéen John Kufuor.

Si la guerre du Kivu n’a pas officiellement été mentionnée dans les échanges entre Joe Biden et William Ruto, il serait étonnant que la question n’ait pas été abordée, que William Ruto, qui se sent la vocation de se faire reconnaître comme le leader du Continent africain, depuis l'envoi de ses policiers à Haïti, n'ait pas donné son avis d’autant que la sécurité dans la sous-région était au menu de ces entretiens.

La présence de la police du Kenya fait partie d'un programme multinational de lutte contre les gangs et de rétablissement de l'ordre dans la nation caribéenne.

JAMAIS CELA N'AVAIT ÉTÉ ÇA.
« Le Kenya a de solides références en matière de rétablissement de la paix et de résolution des conflits à l'échelle mondiale. La présence de nos policiers en Haïti soulagera les hommes, les femmes et les enfants dont la vie a été brisée par la violence des gangs», s'était vanté Ruto, lors d'une réunion d'information préparatoire au déploiement tenue au Collège de formation de la police administrative à Embakasi.

Ajoutant : « Nous travaillerons avec la communauté internationale pour apporter une stabilité durable en Haïti ».
L’homme qui, à la veille de son élection, le 13 septembre 2022, comme président du Kenya, après avoir été vice-président comme colistier de l'ancien président Uhuru Kenyatta, de 2013 à 2022, était connu pour son total mépris du Congo. À plusieurs reprises, dans ses meetings de campagne, il avait comparé le Congo à un « pays dont le peuple ne savait que boire, chanter et danser ».

Le 22 mai, à la veille de sa rencontre avec Joe Biden, il s’était exprimé sur la guerre au Congo.
Le président kényan, allant à l’encontre de tous les rapports des experts des Nations Unies confirmés par les services américains, ce qui avait entre autres conduit aux déclarations publiques du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui avait cité nommément les troupes rwandaises se battant aux côtés du M23-AFC, sur le sol congolais, avait publiquement nié toute idée d’une guerre menée par le Rwanda au Congo en prenant position pour le régime rwandais.

« En quoi le M23 est-il le problème de Kagame ? C’est un problème congolais. En tant que chefs d’État, lors d’une réunion, nous avons demandé : « le M23, les membres de ce groupe, sont-ils des Rwandais ou des Congolais ? » Et la RDC nous a dit : « Ce sont des Congolais ». Point barre ! Comment est-ce que cela devient un problème du Rwanda ?»
Lors de cette interview, réalisée et diffusée par Jeune Afrique et The Africa Report, dans le cadre de l'événement Africa CEO Forum 2024, qu'organise le magazine transafricain basé à Paris, William Ruto se trouvait aux côtés des présidents rwandais Paul Kagame et mozambicain Filipe Nyusi.

Outre cela, deux géants mondiaux américains de l’électronique, Google et Microsoft, sont en pointe à Nairobi, ville considérée comme le centre technologique sous le nom de Silicon Savannah.
L’exploitation des « minerais de sang » par la coalition M23-AFC et par le Rwanda dénoncée par le Congo qui a initié une action judiciaire à l'international, serait-elle étrangère à ces prises de position kenyannes ?

Pour avoir été le premier président africain à avoir eu les honneurs d’une visite d’État à la Maison Blanche depuis 2008, qui a envoyé sa police en Haïti faite d'unités spécialisées telles l'Unité de Déploiement Rapide, RDU et l'Unité des Services Généraux, GSU, qui dirige la mission multinationale de soutien à la sécurité en Haïti et combat pour ce pays situé sur le continent américain, à des milliers de kilomètres du Kenya, mais sous financement américain, comment en effet ignorer que William Ruto cherche à se faire reconnaître en Occident comme le seul leader africain interlocuteur du reste du monde ?

Aux déclarations de Ruto, il faut ajouter celles récentes du président rwandais en campagne pour sa réélection qui a déclaré sur France 24, la chaîne d’information en continu, que son pays « est prêt à faire la guerre au Congo. Nous n’avons peur de rien…»

L’ancien chef d’État major rwandais en charge de l’armée de terre, le Lieutenant général Mubarak Muganga, promu en juin 2023, Chef d’État major général des Forces Rwandaises de Défense, RDF, Mubarak Muganga, en a ajouté une couche, non des moindres : « J’ai été nommé par SE le Président Paul Kagame rien que pour faire la guerre. Mais cette guerre, on ne va pas la faire ici au Rwanda, nous irons la faire en RDC. Qu’on ne cache plus rien.

Car s’il n’y a pas guerre, je serai au chômage. Les bombes, nous n’allons pas les poser sur notre propre sol. Nous allons les poser sur le sol de la RDC. J’ai entendu trop de gros mots. Ils croient que s’ils sont gros obèses, c’est ça la force. Notre objectif est de détruire la RDC avant la fin de cette année 2024. Nous avons attendu que son général Tshiwewe attaque le Rwanda. Jusqu’à présent, rien. C’est nous qui devons attaquer en premier.

Et quand nous allons attaquer, ce n’est pas à un seul endroit car le pays est 89 fois plus que le Rwanda. Nous allons les tuer 89 fois. Bunagana, Masisi, Rutshuru et autres nous appartiennent pour toujours. Mais nous irons plus loin que ça. Les mots ne blessent pas. Mais les actions fortes sur le terrain vont amener ce pays à comprendre la force du Rwanda».

COMMENT ? DIALOGUER ?
Entre le Congo et le Rwanda, jamais, depuis l’Afdl, le conflit n’avait atteint un tel niveau d'hostilité. Que peut faire notre pays face à cette guerre ?

Selon nos informations, des élus du Nord-Kivu auraient résolu de pousser au dialogue avec les rebelles M23-AFC. Ce serait la seule façon pour eux de mettre fin à ce conflit.
Si dans un conflit, un accord est toujours souhaitable, la question est de savoir quand y aller et comment y aller.

Lorsqu’il y a un conflit, on ne va pas au dialogue en position de faiblesse sauf si aucune issue n'existe. On y va en position de force afin de parler face à face mais certes l’option est du domaine des seuls militaires au front et en mesure d’évaluer les capacités en présence. C’est eux et eux seuls qui sont en mesure d’indiquer à un moment, aux politiques, quelle issue suivre. Mais la décision finale revient aux politiques et aux politiques seuls.

Dans son discours le 30 juin 2024 à l’occasion de la fête de l’indépendance, le président de la République a eu ces mots : « Ce qui se passe à Kanyabayonga, à Kayini, aux villages du Sud de Lubero ainsi que dans les territoires de Rutshuru, de Nyirangongo et de Masisi, constitue une agression flagrante contre notre souveraineté nationale et la paix de notre peuple. (...) Soyez assurés que je mets tout en œuvre pour rétablir la sécurité et protéger tous nos concitoyens».

Le même 30 juin, lors d'un Conseil Supérieur de la Défense qu'il a présidé en toute urgence, le Président a annoncé des mesures pour récupérer «rapidement» des localités occupées par les forces rwandaises. « Après plus des 3 heures de discussions, un tour d’horizon avec les différentes autorités militaires, des perspectives des mesures ont été proposées au Président de la République pour que les Forces armées de la RDC puissent très rapidement remettre de l’ordre dans cette partie du pays et reprendre certaines autres localités qui ont été occupées par les forces rwandaises», a déclaré le porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya Katembwe.

Il est minuit. Il est urgent que la réponse vienne. La cité de Kanyabayonga n’est séparée de la troisième ville du pays, Kisangani, que de 830 kms. Kisangani est le fief sociologique du chef de cette rébellion, Corneille Nangaa Yobeluo qui, lors de la journée de l’indépendance, a prononcé un discours virulent répétant les mêmes récriminations, appelant les Congolais à rejoindre son combat, se donnant une stature de vainqueur.

Nul doute, la dynamique de cette guerre a changé. L’urgence d’une stratégie en vue d’une réponse adéquate s’impose.
Il y va de notre pays.
T. MATOTU.

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