Matata trop puissant pour être jugé?
  • mer, 15/06/2022 - 12:56

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1554|MERCREDI 15 JUIN 2022.

À l’audience de lundi 13 juin, à la Cour de cassation, à Kinshasa, deux coaccusés de Matata, l'ancien ministre délégué aux Finances sous Matata et ancien Directeur Général du Fonds de Promotion de l'Industrie placé par Matata, Patrice Kitebi Kibol M'vul et le sujet sud-africain Grobler Christo, directeur de la société sud-africaine Africom Commodities, étaient physiquement à la barre.

Un grand absent cependant : le principal accusé, l'ancien Premier ministre, le sénateur Augustin Matata Ponyo Mapon, qui se trouverait, selon des réseaux sociaux, en visite aux États-Unis d'Amérique, à l’invitation du Secrétaire général des Nations-Unies, António Guterres, et ses médecins lui auraient «imposé des séances de désintoxication», selon un de ses avocats mais n'aurait pas obtenu l'autorisation d'arrêter ou de suspendre ces séances pour se présenter devant ses juges au Congo ! «Séances de désintoxication», pourquoi ?

La composition, selon le greffe pénal de la Cour de Cassation, formée des magistrats Mukendi, Kazadi, Mathe, Kibamba, Kombe, Kabasele, Kanku, a constaté cette absence et décidé de renvoyer la cause au 11 juillet outre que, selon ses avocats, l’exploit de l’organe de la loi n’avait pas atteint physiquement l’intéressé.

Me Laurent Onyemba, un des avocats, assure que le sénateur n’est pas en fuite. Depuis plusieurs jours, des proches de l'ancien Premier ministre assuraient pourtant qu'il ne se présenterait pas devant les juges. Les jours à venir nous le diront dans un contexte où, trop souvent, des personnes recherchées par la justice se volatilisent.

Reste que le Congo et le monde attendent de plonger dans les détails du scandale du méga projet Bukanga Lonzo.
Après que le 15 novembre 2021, une composition de la Cour Constitutionnelle se soit déclarée incompétente pour juger Augustin Matata, accusé de détournement d'au moins 204 millions de $US dans le projet du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, dans le Kwango-Kwilu, dans le Grand Bandundu, lors de ses années Primature, la Cour de cassation s’est saisie de l’affaire et, par citation à prévenu, a fixé celle-ci au 13 juin.

Augustin Matata, Patrice Kitebi et Grobler Christo étaient à ce jour en liberté, écrit la citation déposée par le greffier Mboyo Bolili.

Ces personnes sont désormais citées « à comparaître par devant la Cour de cassation, siégeant en matière répressive ».
Dans le rapport de l'IGF dont se sert la justice, plusieurs autres noms sont cités dont celui l'ancienne ministre au Portefeuille Louise Munga Mesozi aujourd'hui députée.

À charge des personnes devant comparaître le 13 juin, écrit la citation, des faits notamment de détournement par surfacturation et par paiements indus.

TROP FORTUNE ET TROP PUISSANT?
La citation directe du greffe pénal écrit ce qui suit : « Avoir, étant auteurs ou co-auteurs, selon l’un des modes de participation criminelle prévu par l’article 21 du Code Pénal livre 1er (…), entre les mois de novembre 2013 et novembre 2016, période non encore couverte par le délai légal de prescription de l’action publique, étant respectivement, Agents Publics de l’État, notamment Premier Ministre et Ministre Délégué auprès du Premier Ministre en charge des Finances du Gouvernement de la République Démocratique du Congo, pour les deux premiers cités et dirigeant de la Société Africom Commodities, pour le troisième cité, détourné par surfacturation la somme globale équivalente en Francs Congolais de 204.903.042 $US (deux cents quatre millions neuf cents trois mille quarante-deux) qui était remise à la Société Africom Commodities pour la gestion du Parc Agro-Industrie de Bukanga Lonzo, projet mis en place par le Gouvernement de la République Démocratique du Congo.

Faits prévus et punis par les articles 21 et 23 du code Pénal Livre 1er, 145 du Code Pénal Livre II» ; et « avoir, dans les mêmes circonstances de lieu et de temps que dessus, comme co-auteurs, par coopération directe, étant Agents Publics de l’État, respectivement Premier Ministre et Ministre Délégué auprès du Premier Ministre en charge des Finances du Gouvernement de la République démocratique du Congo, pour les deux premiers cités et dirigeant de la Société Africom Commodities, pour le troisième cité, détourné la somme globale de 823.695.230 CDF (Francs Congolais Huit cent vingt-trois millions six cent nonante cinq mille deux cent trente) équivalent à 890.702,80 $US (huit cent nonante mille sept cent deux et quatre-vingt centimes) en payant indûment les parts sociales de la Société Africom Commodities dans la constitution des sociétés d’économie mixte PARCAGRI, SEPAGRI et MARIKIN, sociétés issues de la Convention d’actionnaires entre l’État congolais et la Société Africom Commodities, alors que cette dernière devait elle-même apporter ses parts sociales.

Faits prévus et punis par les articles 21 et 23 du Code Pénal Livre 1er, 145 du Code Pénal Livre II ».
L’incompétence déclarée le 15 novembre 2021 par la composition de la Cour Constitutionnelle avait donné lieu dans le pays et à l’étranger à une énorme contestation dans l’opinion et dans les milieux judiciaires où certains avaient évoqué une circulation d’énormes fonds.

Est-ce à la suite de cet incident, qui, de l'avis de tous, n'avait pas grandi la justice congolaise, que le 10 mai 2022, le président de la Cour Constitutionnelle Dieudonné Kaluba Dibwa fut humilié par ses pairs lors d’un tirage au sort en se faisant éjecter de la haute Cour ?

Selon divers juristes, la Cour de cassation pourrait siéger en audience unique, le temps de constater une « erreur matérielle » dans le prononcé du jugement du 15 novembre 2021 et renvoyer les trois prévenus devant leur juge naturel, la Cour constitutionnelle, là où tous vont être poussés à parler à haute et intelligible voix pour que la vérité toute nue éclate au grand jour.

En l'espèce, la Constitution de la République est claire comme l’eau de roche.
«La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l'État et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution (art. 163)» ; « la Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices » (art. 164).

Par quel miracle la composition du juge Dieudonné Kaluba Dibwa suivit l'incompétence défendue par les avocats de Matata conduits par Me Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, un professeur d'Université certes mais d'abord défenseur de son client ?

Alors que la Constitution est aussi claire, comment, même moralement, face à des accusations présentées par l’Inspection Générale des Finances, dont unanimement tous reconnaissent la technicité et la compétence, imaginer rendre libre un homme sur qui pèse autant de suspicions ?

Qu’il ait volé des fonds publics ou quelconques, qu'il ait ôté la vie à une personne, qu'il ait commis un délit quelconque, aucun juge au Congo ne serait fondé de juger Matata parce que trop fortuné et trop puissant ? Existe-t-il un juriste en capacité de défendre cette thèse ?
D. DADEI.


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