- lun, 10/03/2014 - 23:55
Yann Ikierski, le DG de la firme française Entreprise Télécom, membre du consortium franco-américain Agilis International-Entreprise Télécom, expert du Gouvernement dans la lutte contre la fraude sur les appels internationaux entrants, taille en pièces les arguments des multinationales installées au Congo. indiquant qu’avec le système de lutte, le consortium est en mesure de déceler les appels frauduleux ou les minutes d’appels non déclarées par les opérateurs.
Pourquoi le consortium commence effectivement à travailler en 2013, alors qu’il est sous contrat avec le gouvernement congolais depuis 2011?
Effectivement, il y a un contrat qui a été signé avec le gouvernement congolais en 2011. Ce contrat devait être suivi d’un arrêté ministériel qui devait justement faire augmenter la taxe.
En fait, il fallait que l’Etat décide de la tarification de l’appel international entrant. Au Congo, le prix de la minute des appels internationaux entrants est de 23 centimes. 15 centimes vont dans la poche de l’opérateur et huit centimes dans la poche de l’Etat. (…) Donc, on avait besoin d’un arrêté qui définisse ces taxes et qui définisse le prix des appels. Cet arrêté a tardé à être signé, à cause d’un fort lobbying qui a été fait au Congo auprès des autorités congolaises à tous les niveaux: à la présidence, à l’Assemblé nationale, au niveau des affaires économiques.
Celles-ci n’avaient pas nécessairement l’information nécessaire pour soutenir un tel projet.
Donc, le contrat qui avait été décidé par le Ministère des télécoms, qui disposait des techniciens les plus qualifiés pour décider de ce type de contrat, n’avait pas été suivi par le reste du Congo. Ceci parce qu’il y a eu des actions, notamment des opérateurs de téléphonie mobile, qui ont essayé de les dissuader de mettre le système en place. L’arrêté a beaucoup tardé à sortir et nous avons pratiquement attendu un an et demi.
Qui exactement tirait les ficelles?
Certainement les opérateurs, parce que, comme on l’a vu, ils n’ont pas forcément intérêt à être régulés, à voir un gendarme derrière eux qui va leur dire «attention vous roulez au-dessus de la limitation de la vitesse», «attention vous ne déclarez pas toutes les minutes des appels entrants».
D’autant plus qu’on se rend compte que les grands opérateurs GSM africains sont quasiment tous des filiales de grands groupes internationaux qui sont aussi des grand carriers français, sud-africains ou anglais.
Je pense que vous trouverez effectivement les intérêts des différents opérateurs qui facturent tous la minute allant de l’Europe, des Etats-Unis, de l’Asie ou du Moyen-Orient vers l’Afrique.
Nous, PME française, quand nous sommes venus proposer notre solution telle qu’adoptée par l’unanimité des techniciens du Ministère des PTT, nous nous sommes retrouvés face aux conglomérats internationaux que sont les opérateurs, qui, évidemment, ont remis en cause notre parole auprès des gens qui n’étaient pas aussi bien informés que les techniciens.
Notre parole a été remise en cause par la présidence et dans différents organes de l’Etat. Certains se demandaient qui il fallait croire. La PME qui vient d’arriver avec son système qui paraît révolutionnaire et qui n’a encore rien fait au Congo, ou alors les acteurs économiques qui sont là depuis des années et qui versent quand même des centaines de milliers de francs de taxes tous les mois à l’Etat congolais? Le débat était situé à ce niveau-là. D’où la lenteur observée.
A janvier 2014, combien l’Etat congolais a gagné depuis que vous avez commencé votre travail?
Quand on est arrivé en 2011, depuis dix ans l’ensemble des opérateurs télécoms de la République démocratique du Congo déclarait 20 millions de minutes d’appels internationaux entrants en RDC tous les mois.
Parfois 19 millions, parfois 21, mais la moyenne était de 20 millions. Sur le mois de décembre 2013 par exemple, nous avons 36 millions de minutes déclarées par les opérateurs. De 20 millions de minutes, nous sommes passés à 36 millions en une année de travail. Nous avons pratiquement doublé ce volume en une année, parce qu’avec notre système, nous pouvons déceler les appels qui ne sont pas déclarés, communiquer ces chiffres au gouvernement et retourner voir les opérateurs et leur dire: «Il manque des appels, vous n’avez pas tout déclaré, nous vous prions de tout déclarer».
En gros, il y a un an, la R-dCongo recevait un million de dollars de taxes mensuellement. Sur une base de 36 millions, vous multipliez quasiment par deux et cela fait deux millions de dollars de taxes entrantes en plus, car la taxe a augmenté pratiquement d’un cent. Cela fait environ 12 millions de dollars gagnés en une année, rien qu’avec la mise en place de ce système. Toujours pour le mois de décembre 2013, l’Etat a perçu exactement 2.890.000 dollars, selon les chiffres déclarés par la Direction générale des recettes administratives domaniales (DGRAD). Avant, on était à un million de dollars de recettes en moyenne par mois. Là, on parle uniquement de la taxe directe, car il y a les taxes indirectes, dont la TVA qui est de 16% au Congo et l’imposition sur le chiffre d’affaires, qui entrent en ligne de compte.
Les opérateurs de téléphonie indiquent que le nombre d’appels internationaux entrants a, au contraire, baissé. Comment expliquez-vous cela?
Comment expliquez-vous cela alors qu’il y a un an ils déclaraient 20 millions d’appels entrants internationaux et qu’aujourd’hui ils en déclarent 36 millions? C’est un aveu de leur mensonge. Même économiquement, pour quelles raisons est-ce qu’ils baisseraient, puisque le prix de la minute chez l’abonné à l’étranger qui appelle le Congo n’a pas changé? Seuls les prix des carteurs, les fameuses cartes qui se nourrissent de la fraude télécom, ont été revus à la hausse.
Malgré ces chiffres, pourquoi la majorité des opérateurs locaux ici affirme que le nombre des appels entrants internationaux a baissé?
C’est de la désinformation. Ils ont un syndicat assez puissant ici. Ils ont la majorité à la FEC (Fédération des entreprises du Congo), ce sont les principaux pourvoyeurs de fonds et ils se font soutenir par l’organisation. Les 36 millions de minutes qu’ils ont déclarées existaient avant. Et d’ailleurs, quand on dit 36 millions, c’est qu’on a découvert 16 millions de minutes d’appels non déclarées. Nous sommes au début de notre travail. On est persuadé qu’on peut aller beaucoup plus loin et faire plus. ...
Certains opérateurs comme Tigo soutiennent que vos équipements ne sont pas meilleurs et qu’avec les leurs ils ont la possibilité de lutter plus efficacement contre la fraude...
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avec notre technologie, nous avons des résultats qui sont sûrs à 100%. Quand on détecte un numéro, on est sûr qu’il n’y a pas possibilité d’erreurs. De leur côté, c’est vrai, ils ont leurs propres systèmes antifraude, ils utilisent des technologies comparables et des méthodes statistiques que nous préférons ne pas utiliser, parce qu’elles ne sont pas aussi sûres. Mais ce qu’il faut noter, c’est que malgré leurs performances, même s’ils découvrent plus de numéros, ils ne mettent pas fin à l’activité. Les pirates continuent à exercer avec ces cartes SIM. Ils mettent 48 heures avant de couper une carte SIM. Un pirate a le temps de gagner beaucoup d’argent avec ce temps-là. Il gagnera suffisamment d’argent pour changer de carte SIM chaque jour. Donc, ils détectent des cartes SIM peut-être en plus grand nombre que nous, mais ils n’ont pas d’efficacité. Notre système est en pleine évolution.
Nous allons passer à un système de coupure automatique de cartes SIM.
Dès qu’on détectera une carte SIM, on demandera une coupure systématique dans le système d’informations de l’opérateur. Là, nous allons arriver à un résultat où les pirates n’auront pas le temps de gagner de l’argent. Et économiquement, ce ne sera plus rentable pour les pirates qui seront découragés.
Mais là où il y a quelque chose qu’on ne comprend pas forcément, c’est que les fraudeurs qui ont être arrêtés en RD Congo avaient des tas de plusieurs milliers de cartes SIM. On se demande encore comment les opérateurs ont pu rendre cela possible et ne pas se rendre compte que des gens sur le marché achetaient des cartes SIM à tour de bras.
Est-ce que c’est la course aux nombre d’abonnés pour augmenter le cours de l’action des entreprises mères sur les marchés internationaux et se vanter en disant avoir des dizaines de millions d’abonnés? Nous constatons qu’aujourd’hui, dans la volonté de l’Etat à combattre la fraude télécom, il y a des opérateurs qui, même s’ils n’y ont pas un intérêt, encouragent d’une certaine manière la fraude en rendant possible l’acquisition de gros volumes de cartes SIM à des pirates.
A Orange R-dCongo, l’on se plaint de ce que vous travaillez sans collaboration avec eux. D’après eux, si vous leur communiquez les numéros des cartes SIM suspendues, ils auront la possibilité de savoir qui les a acquises. Mais vous ne le faites pas. Pourquoi?
Là où je suis d’accord avec Orange, c’est qu’effectivement il n’y a aucune collaboration avec eux. Ce n’est pas de notre fait, mais du leur. Orange ne collabore absolument pas avec l’Etat congolais. On leur envoie parfois des mails et ils mettent dix jours avant de répondre. On leur demande des informations et ils ne communiquent pas. Je ne pense pas que nous soyons les auteurs du manque de communication. C’est de leur côté, la faute. Nous sommes très ouverts et nous serons heureux de collaborer avec eux. Evidemment, ce sont les revendeurs qui sont pointés du doigt. On ne peut pas se substituer à la police congolaise. On a remis les éléments d’informations aux autorités compétentes. Nous ne menons pas les enquêtes. Il y a des actions en cours au niveau de la police et de la justice. Probablement, Orange sera amené à répondre à des questions posées par les forces de l’ordre congolaises.
Les opérateurs pensent également que pour mieux lutter contre la fraude sur les appels internationaux entrants il faut durcir le contrôle de l’importation et de l’acquisition des antennes Vsat, n’est-ce pas une bonne solution?
Tout à fait, c’est une bonne solution. Je pense que la procédure est en cours au niveau du Ministère des postes et des télécommunications.
Pour les opérateurs, il faudrait simplement supprimer la taxe sur les appels internationaux entrants pour mieux lutter contre cette fraude. N’est-ce pas plus simple?
On a bien vu que non. Cela ne va absolument rien changer. Qu’il y ait taxe ou pas, il y aura le prix de la minute. Cela changerait effectivement si la communication était gratuite ou si elle était au même prix que les tarifs des appels locaux.
Mais je ne suis pas sûr que les opérateurs soient décidés à vendre une minute d’appel international entrant au même prix que la minute en local. Pour donner un exemple, en Europe une minute achetée soit au marché international, soit au marché national est quasiment au même prix.
Pour la France, le prix du GSM est de trois ou quatre centimes d’euro la minute. Et en tant qu’opérateur étranger ou opérateur français, on payera le même prix. Là, il n’y a pas d’intérêt. C’est moins cher pour les abonnés locaux. Actuellement, une baisse des tarifs par minute serait la bonne solution.
Mais d’un autre côté, c’est aussi une baisse de revenus pour l’Etat. Il faut faire un choix entre l’Etat et l’opérateur. On parle de l’Afrique en termes de ressources naturelles, les minutes de télécommunication sont également des ressources naturelles renouvelables, parce que les gens auront toujours besoin de parler. Prélever des taxes là-dessus est un moyen simple d’engranger des subsides qui peuvent permettre le développement du pays, et du secteur notamment. Les grands projets de fibre optique, de 3G et de 4G ont besoins de financements.
Dans la répartition finale de la taxe sur la minute d’appel entrant international, combien gagne l’opérateur, combien gagne l’Etat et combien gagne le consortium que vous êtes?
Je peux vous donner la réponse sur deux des protagonistes. L’opérateur gagne 15 centimes de dollar sur la minute de l’appel entrant international et l’Etat récupère une taxe de 8 centimes. Le consortium est payé sur les 8 centimes.
A combien?
Le consortium est payé par l’Etat sur les 8 centimes. Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsqu’on a proposé notre projet à l’Etat, c’est un projet qui ne coûtait rien à l’Etat, et c’est toujours le cas. Nous avons installé au Congo notre matériel, nous avons recruté du personnel, nous avons mis en place des serveurs, nous avons développé des logiciels adaptés à la situation du pays, et tout cela n’a rien coûté à l’Etat congolais. Nous ne faisons que nous rémunérer au fur et à mesure que l’Etat se rémunère. L’opérateur doit facturer la minute d’appel au minimum à 23 centimes et verser 8 centimes à l’Etat.
C’est peut-être insistant, mais l’Etat vous paye combien?
Ça c’est confidentiel, et je crois qu’il faudrait une autorisation pour vous le dire.
Votre technologie de traque des fraudes sur les appels internationaux entrants a-t-elle déjà été utilisée dans d’autres pays?
Oui, notre technologie a déjà été utilisée à l’Ile Maurice. Nous avons un contrat qui a été signé en 2008. Au Tchad, c’est également en train de démarrer ce mois-ci Ganvier 2014, ndlr).
Nous récupérons les CDR ce mois de janvier 2014. Là également, le contrat a été signé il y a plus d’un an. On a eu un recours d’un des gros opérateurs tchadiens devant la Cour suprême. Nous avons laissé faire la justice qui, évidemment, a donné raison à l’Etat, puisque le recours était
BEAUGAS-ORAIN DJOYUM.