- sam, 16/07/2022 - 19:49
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1557|SAMEDI 16 JUILLET 2022.
On la connaissait peu. Elle existe pourtant et œuvre dans la prévention et la lutte contre la corruption. «Service spécialisé créé au sein du Cabinet du Président de la République et sous son autorité», qui prévient et lutte contre des anti-valeurs, l'APLC, Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption, voit le jour le 13 mars 2020 au terme d'une ordonnance présidentielle, n°20/013 bis.
Elle succède au Bureau spécial du Chef de l’État (Joseph Kabila) chargé de lutte contre la corruption, le terrorisme et le blanchiment des capitaux dirigé par un ancien ministre de la Justice, Emmanuel-Janvier Luzolo Bambi Lessa. C'est Luzolo Bambi, au titre de conseiller qui, sous Kabila, fait bouger les lignes, évalue et situe pour la première fois dans l'histoire du pays, l'ampleur du drame congolais.
PAR AN, 15 MILLIARDS DE $US DÉTOURNÉS.
Selon les comptes de Luzolo Bambi, chaque année, le Trésor public congolais perd 15 milliards de $US en corruption et détournements de fonds publics quand le budget de l’État n’atteint pas les 4 milliards !
Le 19 octobre 2021, aux États Généraux de Lutte contre la Corruption, Emmanuel-Janvier Luzolo Bambi Lessa revient à la charge. Il déclare que rien, depuis, n'a changé au Congo ; que le pays, malgré l'alternance démocratique intervenue en janvier 2019, continue chaque année de perdre 15 milliards de $US. «J'ai espoir, il ne faut jamais désespérer : la corruption n'est pas une fatalité. Nous sommes en train de rechercher les 15 milliards de $US tous les ans ; ça n'a pas changé. On sait là où ces milliards se trouvent.
Qu’on nous les donne pour nourrir la population. Vous savez où ces milliards se trouvent mais vous faites semblant de ne rien savoir. C'est aussi ça l'esprit de corruption. La corruption, on peut la vaincre et c'est possible. Intellectuellement, les États Généraux de Lutte contre la Corruption vont permettre d'en finir avec la corruption, mais la concrétisation est un problème d'engagement de chaque Congolais. Pour l'essentiel, c'est une interpellation commune», déclare l'ancien conseiller.
Certes, en 2021, le Congo a quitté la place du pays le plus corrompu de la terre où l'avait placé en 1998 et 1999 l'ONG Transparency International et occuperait désormais la 169ème place sur 180 États et territoires examinés. Il reste néanmoins classé «parmi les pays les plus corrompus du monde».
Au terme de l'ordonnance n°20/013 bis, l'APLC a «pour principale mission de définir et de mettre en œuvre tous programmes permettant de détecter les agissements susceptibles d'être considérés comme relevant de la corruption ou d'une infraction y assimilée ; de mener toutes études et diligenter des enquêtes nécessaires ; de provoquer des poursuites pour faire sanctionner toutes personnes ou tous groupes de personnes, organisations, organismes, entreprises ou autres services impliqués dans les actes de corruption, de blanchiment des capitaux et de faits assimilés dans les conditions fixées par la réglementation en vigueur».
Depuis, l'agence n'avait pas parlé. Mieux, elle avait peu sinon trop peu parlé. En revanche, elle semble avoir agi.
Arrivé le 26 mai 2021 à la tête de l'APLC en remplacement de l'avocat Ghislain Kikangala nommé à l'APLC le 19 juillet 2020 mais placé sous mandat d’arrêt provisoire le 18 décembre dans une sombre affaire avec la succursale de la banque nigériane Access Bank, ce 7 juillet 2022, à l'Hôtel Memling, le coordonnateur Thierry Mbulamoko prend la parole en public pour la deuxième fois.
L'APLC explique ce long silence dans les médias par « la sensibilité des matières traitées et par le devoir de réserve qui anime l'institution d'autant que c'est la seule façon de respecter le secret de l’instruction et la présomption d’innocence », écrit, dans un communiqué, la conseillère et cheffe du service communication, Chouna Lomponda.
Face à un public composé d'une cinquantaine de participants, médias et partenaires de la Société civile, voulant éclairer les Congolais « sur l'engagement et les actes concrets posés » depuis sa création, l'APLC présente un bilan mi-parcours. Quelles actions engagées? Quels résultats engrangés ?
Plus de 150 dossiers reçus au cours de la première année de son existence, 100 dossiers au cours du premier semestre de la deuxième année, déclare Thierry Mbulamoko. Dossiers de détournements de fonds publics, dossiers de blanchiments des capitaux en lien avec la fraude minière.
« Dans la province du Lualaba (ex-Katanga), il y a eu 300 millions de $US de détournements, la saisie de 33 camions avec des minerais, dont la valeur tourne autour de 30 à 33 millions de $US. Des enquêtes sont menées au sein de certaines entreprises en relation avec la fraude minière. Le Trésor public a engrangé 300 millions de $US», explique l’APLC.
La spoliation du patrimoine de l’État, un enjeu de la lutte contre la corruption. Elle touche l’ensemble du pays. « Sur un échantillon de 100 maisons enquêtées, les résultats attestent que plus de 70% de ces maisons n’ont pas respecté le processus d’acquisition légale».
Si les enquêtes se poursuivent, l'APLC annonce «des conséquences (qui) vont tomber et les responsabilités seront réprimées selon les lois en vigueur. L’État doit rentrer dans ses droits», martèle l’APLC.
Il s’agit là des premiers éléments du Rapport Annuel de l’APLC dont la sortie est incessamment attendue. Un rapport qui relate le chemin parcouru en 2021.
Thierry Mbulamoko tient à «tisser des liens privilégiés avec les médias de par la mission d’investigation révolue aux médias (comme à l'APLC) et au fait que les médias sont des sources d’informations indispensables».
Au Memling, Mbulamoko s'était fait entourer de ses trois adjoints, qui forment avec lui la « Coordination de l'APLC », Michel-Victor Lessay, Bénie-Laure Kamwiziku Kusanzakana et Francis Lusakueno-Kisongele Mena respectivement en charge des plaintes, enquêtes et investigations, de la détection, de la prévention et de l’administration, des poursuites et suivi des affaires fixées devant la justice.
UN CADRE LÉGAL DE PROTECTION DES TÉMOINS.
Au Memling, il a aussi été question de partenariats à nouer. L'un d’eux avec l’ARCA, l'Autorité de Régulation et de Contrôle des Assurances au Congo. Il s’agit d’une mission à effectuer dans le Haut Katanga et le Lualaba.
L’APLC veut y vérifier l’application de la loi n°15/005 du 17 mars 2015 loi portant code des assurances. L'article 286 interdit la souscription d’une assurance à l’étranger pour tout risque concernant une personne, un bien ou une responsabilité, quand ce risque est encouru sur le territoire national. De même, il interdit à une entreprise non agréée de réaliser des opérations d’assurance au Congo, rappelle l’APLC.
Dans le secteur d'assurances, l'APLC fait état d’évolution du chiffre d’affaires par branche d’assurance, assurance non-vie et vie. «De 101 millions de $US en 2019, (le secteur) est passé à 139 millions de $US en 2020 pour aboutir à plus de 215 millions de $US, soit un taux de croissance de 55,15% entre 2020 et 2021. L’objectif visé est d’atteindre d’ici quelques années un milliards de $US», écrit la cheffe communication, Chouna Lomponda.
Il a été aussi question du «processus institutionnel de digitalisation, de moyens de lutte contre la corruption. L’agence se réjouit de l’initiative de la Banque Centrale du Congo qui a mis en place un switch monétique. Les analystes de l'APLC se sont penchés sur la question et ont proposé des modules de surveillance devant être attachés à ce switch en vue de mettre l’accent sur la surveillance bancaire, le mobile money et de lutter contre la corruption, le détournement des deniers publics, le financement du terrorisme, (de travailler) pour la transparence et la crédibilité internationale. Grâce à ces modules, cette proposition va permettre au Congo de faire ce qui est entrepris dans nombre de pays africains, le Ghana parexemple», souligne Chouna Lomponda.
L'APLC va « associer les citoyens dans la lutte contre la corruption » mais réclame une loi qui protégerait les témoins et les lanceurs d'alertes. Disposition que le Congo n'a pas encore prise à ce jour. Comment protéger les informateurs et dissuader les éventuels corrupteurs? Un projet de loi est attendu portant prévention et lutte contre la corruption, protection des témoins et des lanceurs d’alerte.
En attendant, l’agence a créé en son sein un service de protection des témoins qui encourage les Congolais à dénoncer les actes de corruption. Elle appelle les Congolais à s’impliquer dans la lutte contre la corruption qui « est un devoir patriotique». L’agence a proclamé sa volonté de voir la corruption devenir une activité à «haut risque». Nul doute, l'agence présidentielle ouvre une nouvelle page de son histoire : se faire connaître et... reconnaître.
ALUNGA MBUWA.