Échange de courriers corsés dans l’affaire Matata
  • jeu, 08/05/2025 - 13:32

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1635 | LUNDI 5 MAI 2025.

Incroyable feuilleton Matata Ponyo Mapon. Tout est dilatoire. Rien que dilatoire. Pour sûr.

Au départ, ce fut un président de la Cour constitutionnelle Dieudonné Kaluba Dibwa limogé début mai 2022. Il présidait la plus haute Cour du pays depuis avril 2021. Il avait été élu pour un mandat de trois ans renouvelable. L’homme fut évincé. La cause ? Faute lourde : gestion de l’affaire Augustin Matata Ponyo Mapon.

Le président de la Cour constitutionnelle avait fait rire à gorge déployée les vaches dans la plaine. Il avait déclaré sa cour incompétente pour juger Augustin Matata Ponyo Mapon. Il avait suivi mot à mot les moyens de l'avocat de l'ancien et très puissant Premier ministre (28 avril 2012-20 décembre 2016) du président Joseph Kabila Kabange.

Des moyens mille fois ressassés depuis par Me Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, Professeur Émérite, Doyen Honoraire de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa, Avocat près la Cour de Cassation et le Conseil d'État.

Le législateur congolais avait-il imaginé qu'un homme sur terre ne puisse jamais être poursuivi par aucune cour congolaise ? Même si une telle présentation - une telle thèse, une telle défense - pour un avocat, n'est jamais gratuite et qu'elle se paie cash, et vaut, souvent, des millions de $US quand le client pèse lourd comme c'est le cas en l'espèce, que laisse-t-on à l'Histoire quand dans le monde - en France, aux États-Unis, en Corée (du Sud), etc., - des Dirigeants du pays (en place ou ex), sont déférés devant des tribunaux, entendus, condamnés ou lavés, etc., le législateur congolais aurait-il été si plaisantin pour fabriquer «l'homme libre éternel», quoi qu'il en coûte ?

 

SA CHAMBRE NE LE SUIT PAS.

Les articles de la Constitution de la République auxquels se référait le Professeur Émérite ? Ils vont de l'art. 163 à l'art. 168 : «La Cour Constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l’État et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution», art. 163 ; «la Cour Constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices», art. 164 ;

«Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des Droits de l’Homme, de cession d’une partie du territoire national. Il y a atteinte à l’honneur ou à la probité notamment lorsque le comportement personnel du Président de la République ou du Premier ministre est contraire aux bonnes mœurs ou qu’ils sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de malversations, de corruption ou d’enrichissement illicite. Il y a délit d’initié dans le chef du Président de la République ou du Premier ministre lorsqu’il effectue des opérations sur valeurs immobilières ou sur marchandises à l’égard desquelles il possède des informations privilégiées et dont il tire profit avant que ces informations soient connues du public. Le délit d’initié englobe l’achat ou la vente d’actions fondée sur des renseignements qui ne seraient jamais divulgués aux actionnaires. Il y a outrage au Parlement lorsque sur des questions posées par l’une ou l’autre Chambre du Parlement sur l’activité gouvernementale, le Premier ministre ne fournit aucune réponse dans un délai de trente jours», art. 165 ; «la décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur (...)», art. 166 ; «En cas de condamnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leurs charges. La déchéance est prononcée par la cour constitutionnelle. Pour les infractions commises en dehors de l’exercice de leurs fonctions, les poursuites contre le Président de la République et le Premier ministre sont suspendues jusqu’à l’expiration de leurs mandats. Pendant ce temps, la prescription est suspendue», art. 167. «Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers. Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit», art. 168.

On a beau tourner et retourner ces articles écrits en français facile de la Constitution de la République (version modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006), nulle part, le législateur ne laisse entendre que jamais un ancien Premier ministre ne pourrait être poursuivi par un juge au Congo. Où donc le Professeur Émérite a été trouver cette invention qui a fait la honte de la justice de notre pays en faisant tant traîner cette affaire de détournement de fonds publics décaissés par le Trésor public dans le cadre d'un projet de parc agro-industriel qui n'a jamais vu le jour à Bukanga Lonzo, dans le Grand Bandundu? Un contrat signé de gré à gré, n’ayant pas, comme plusieurs autres, respecté la loi sur la passation des marchés publics, n’ayant jamais sollicité, ni requis l’autorisation de la DGCMP, la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics, sortant très souvent, des cadres légaux. Un projet présenté comme « majeur, structurant, devant pousser le Congo à l’émergence économique et sociale».

Au total 287.050.817,91 $US (deux cents quatre-vingt-sept millions de $US), 285.939.621,87 US$ décaissés et liquidés par le Trésor public congolais, 1.115.196,04 US$ déboursés par le FPI, le Fonds de Promotion de l’Industrie. Qui a géré ces deux cents quatre-vingt-sept millions de $US? Le Premier ministre de l'époque, Augustin Matata Ponyo Mapon. Par qui sont passés ces deux cents quatre-vingt-sept millions de $US? Par un homme d'affaires d'origine sud-africaine, Grobler Kristo Stephanus et la société Africom créée de toutes pièces. Qui a procédé au paiement de ces fonds deux cents quatre-vingt-sept millions de $US ? Le gouverneur de la Banque Centrale du Congo de l'époque, Déogratias Mutombo Mwana Nyembo. L'affaire appelée lundi 14 avril 2025 par la Cour Constitutionnelle, le Professeur Émérite a fait résonner sa musique trop entendue.

Lorsqu'en 2021, l'IGF, l’Inspection Générale des Finances lance l'affaire, Augustin Matata Ponyo Mapon est Conseiller du Président guinéen Alpha Condé. Le 7 mai 2021, il décide d’écourter son séjour à Conakry ; il annonce son retour au pays ; il rentre « à Kinshasa pour faire face à une justice politiquement instrumentalisée » ; il assure être « fier d’avoir servi (son) pays dans la transparence » et croit « en la force de la vérité ».

À son atterrissage à l’aéroport, il est sur le même registre : «Je viens d’arriver à Kin pour répondre à la Justice. Je remercie les Congolais qui, par amour pour la RDC, m’ont prié de ne pas revenir au pays. Je leur dis: par amour pour la RDC, certains d’entre nous doivent avoir le courage de braver l’injustice. Les jeunes surtout en ont besoin».

Il embauche des avocats, recrute des médias, paie cash et gros. L’un d’eux surpris, l'interroge. « À quoi servent ces fonds ? » Débute le dilatoire…

Alors sénateur, sa chambre ne le suit pas. Elle le livre malgré la mobilisation de certains de ses collègues. Il ouvre la guerre avec le président de la Chambre.

 

IL CHANGE DE CHAMBRE.

 «Je n’ai jamais rien signé, tout l’était par mes ministres sectoriels. Je n’ai jamais rien décidé, tout l’était en Conseil des ministres. Et l’on sait par qui il est présidé». Il noie son ex-Président Kabila, oublie que lors de sa primature, beaucoup de décisions étaient prises à l’Hôtel du Conseil dans des réunions «des groupes thématiques», et, en l’espèce, dans le groupe «secteurs productifs».

Depuis mais 2021, rien ! Lundi 14 avril 2025, le nouveau président de la Cour Constitutionnelle Dieudonné Kamuleta Badibanga, a entendu le Professeur Émérite mais en a assez. Il a sonné le tocsin : «Allons sur le fond ».

Mercredi 23 avril, Matata a séché la séance mais la messe est dite, jugement par défaut, le réquisitoire du ministère public tombe : 10 ans de travaux forcés et de servitude pénale, 10 ans d’inéligibilité, arrestation immédiate.

L'ancien Premier ministre qui a résolu de changer de chambre, est désormais député national. Il ne lâche rien. Il fait bouger les lignes.

Le 17 avril 2025, il porte le débat à la plénière, soutenu par un collectif de 50 députés qui dénonce «un outrage à l’Assemblée nationale», exige la démission du Procureur général près la Cour constitutionnelle, pense que « le statut de député national est aujourd’hui marginalisé et menacé de disparition ». Le 25 avril, le président Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi signe un courrier à l’adresse de Kamuleta, invoque l'immunité parlementaire : « Je vous prie de bien vouloir constater l’existence de ce préalable, verrou constitutionnel incontournable, et demander à l’organe de poursuite près votre juridiction, qui me lit en copie, de se plier à cet impératif, garantie de l’inviolabilité des représentants du peuple ».

Vendredi 2 mai 2025, Kamuleta répond, par un courrier lu sur la Rtnc, précise l’esprit de l’art. 107, al. 2 de la Constitution : « Le dossier Bukanga Lonzo est pendant devant la Cour Constitutionnelle depuis 2022…», appelle au respect de l’art. 151 de la Constitution «qui impose que les juridictions se prononcent librement sur les affaires dont elles sont saisies, sans interférence ni entrave». Pour le Président de la plus Haute Cour du pays, le différend juridique porte sur l'interprétation des termes «poursuivi» et «arrêté».

Kamuleta explique que ces dispositions concernent la phase d'instruction, non une procédure engagée. Trop puissant et trop malin, Matata a-t-il fait engager le pays dans un autre bras de fer interinstitutionnel celui-là ?

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