- mar, 25/02/2025 - 00:23
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1630|LUNDI 24 FÉVRIER 2025.
Nicolas Serge Kazadi Kadima Nzuji, l'ancien argentier national du Gouvernement Sama Lukonde Kyenge, est récemment apparu, a signé dans des médias à l'étranger, tenu des propos que certains ont compris à leur manière. Dans une interview exclusive au Soft International, il précise le fond de sa pensée, analyse les défis auxquels le Congo fait face actuellement, met en lumière les responsabilités internes et les influences internationales, aborde la situation politique de l'ancien président Joseph Kabila, les accusations de corruption liées aux projets nationaux, propose une vision pour un secteur minier transparent et équilibré. Entre responsabilités internes et influences internationales, le Congo face à ses défis. Ci-après.
Dans votre interview sur la chaîne télé Africa Télésud, vous avez semblé incriminer la communauté internationale face à l’échec de notre armée au front contre le M23. N’est-ce pas une attitude irresponsable que de renvoyer aux autres ce qui relève de notre première responsabilité en tant que Nation ?/strong>
Vous avez raison de dire que la responsabilité première incombe à la RDC et à ses gouvernements successifs. Mais je crois que vous m’avez mal compris. Nous devons nous interroger sur l’échec, trente ans après, de nos efforts pour construire une armée efficace, malgré l’appui de la communauté internationale, notamment via la Mission des Nations Unies.
Une partie de la réponse réside dans les influences internationales : l'intégration forcée dans notre armée des éléments issus de divers mouvements rebelles appelés aujourd'hui « forces négatives », a eu des conséquences néfastes. De plus, la logique minière implique la responsabilité des pays concernés par la contrebande et ceux recevant nos minerais au bout de la chaîne. Heureusement, les consciences s'éveillent, et j'espère que cette guerre sera la dernière.
L’autre partie de la réponse se situe dans nos faiblesses internes et cela exige un effort d’introspection qui, à mon avis, n’est pas encore suffisamment fait. Regardez par exemple la question de l’identification des Congolais et celle du recensement de la population. Depuis 1984, plus aucun recensement n’a été fait et les Congolais n’ont plus eu droit à la carte d’identité. Il est possible que nous soyons le seul pays au monde qui a réalisé cette prouesse négative !
C’était une priorité absolue du régime Tshisekedi de régler ce problème, mais force est de constater que six années plus tard, ce n’est pas encore réglé. La dernière tentative à été torpillée par ceux qui ont crié au scandale, à la surfacturation, alors que ce travail devait être réalisé avec la meilleure technologie disponible en la matière sur la planète et il portait sur l’identification biométrique de 150 millions d’habitants (en projetant la population jusqu’en 2040) au coût de 600 millions $US, alors que la CÉNI a dépensé plus de 300 millions pour enrôler 43 millions d’électeurs en 2023, avec une qualité technique discutable.
Nous avons urgemment besoin du recensement et de l’identification pour plusieurs raisons vitales, notamment, pour mieux protéger nos populations, dont nos minorités ethniques rwandophones, contre toute manipulation venue d’ailleurs. Cette identification était également attendue pour mieux assoir la mise en œuvre de l’impôt sur les personnes physiques.
Dans cette interview, vous avez tenu un discours inhabituel sur l’ancien Président Joseph Kabila, tout en regrettant la rupture intervenue entre ce dernier et le Président Félix Tshisekedi. Pouvez-vous expliciter un peu votre pensée ?
Là aussi il est important que je me fasse bien comprendre. En quittant le pouvoir, Joseph Kabila demeurait l’autorité morale du FCC. D’ailleurs, il l’est toujours aujourd’hui, même si le FCC s’est beaucoup vidé de son contenu. À ce titre, il avait vocation à demeurer un acteur influent de la politique congolaise, même en étant dans l’opposition.
Joseph Kabila a récemment réactivé son parti politique PPRD et je pense que c’est une bonne chose pour la démocratie que ses partisans s’expriment, tant que c’est dans la non-violence. Mais si vous faites allusion à l’éventualité de son retour aux affaires, il me semble que la Constitution ne le permet pas. Il a déjà consommé ses deux mandats constitutionnels, auxquels il s’est d’ailleurs ajouté un matabiche de deux ans, ce qui n’est pas prévu dans la Constitution!
Ce que j’ai regretté et que je continue de regretter, c’est que les circonstances l’ont amené à sortir clandestinement du pays et à envisager un retour à travers la rébellion. C’est un recul énorme tant pour le pays tout entier que pour lui-même. Personne n’avait besoin d’une telle issue. Nous étions en train d’écrire une belle histoire à travers la première passation pacifique du pouvoir intervenue en janvier 2019.
Comme j’ai eu à le dire, plusieurs concessions avaient été faites au profit de la paix et de l’avenir du pays. Nous devons trouver des voies pour revenir à la normale et poursuivre la consolidation de la démocratie et de la paix en RDC et dans la sous-région.
Corneille Naanga vous a cité dans une interview où il dénonce la corruption et fait allusion au projet du Centre Financier dont il dit que le coût est passé de 80 millions $US à 800 millions effectivement payés. Qu’en est-il au juste ?
Nous avons pourtant démontré à plusieurs reprises, chiffres à l’appui, que les projets du Centre Financier et de l’Arena sportive étaient les plus grands et les moins chers d’Afrique. Le Centre Financier de Kinshasa a été construit au coût moyen de 1.883 $US/m2 contre 3.701$US pour le Centre des Congrès de Kigali, 7.645$US pour le Centre Financier de Casablanca ou encore 4.356$US pour le Marina Bay à Singapour. Nous avons été deux fois moins chers qu’à Kigali, où le Centre de conférences et l’Arena ont également été faits par une société turque concurrente. Nos projets ont été très transparents et très performants.
Le Centre Financier et le Centre de conférences de Kinshasa ont été achevés en dix-huit mois. Corneille Naanga est une personne intelligente. Il est capable de lire les rapports et comprendre les chiffes. Pourquoi s’acharne-t-il à salir un des projets les plus performants du premier mandat de Félix Tshisekedi, dans un pays où, depuis toujours, il est très difficile de réussir les grands projets ?
Le fait-il pour privilégier les infrastructures concurrentes de Kigali, qui jusqu’à récemment, étaient favorites pour abriter des évènements internationaux en Afrique ? Nous avons l’ambition de changer cet état des choses au profit de la RDC dont c’est la vocation naturelle d’être un pays de rencontres. Petit à petit, les Congolais comprendront la profondeur des actions que nous avons menées durant le premier quinquennat, notamment au Ministère des Finances dont j’ai eu la charge, et ils cesseront de diaboliser ce qui devrait faire leur fierté. À titre personnel, je n’ai pas honte de dire que je suis un des politiques les plus sérieux et les plus honnêtes dans le pays.
Le 20 février, vous avez publié une tribune sur le secteur minier congolais dans le quotidien français L’Opinion, un journal libéral très lu par des patrons du CAC 40 et du monde de l’entreprise en général. Vous y faites des propositions intéressantes, mais certains vous ont reproché de n’y avoir pas fait votre mea culpa alors que vous étiez un des membres les plus influents du Gouvernement dans le secteur économique pendant plus de trois ans.
Le message était justement destiné au monde des affaires, en écho à la situation sécuritaire que nous traversons. Il est important de rappeler au monde que nous sommes bien conscients de notre position, de notre rôle et des attentes de l’humanité vis-à-vis de la RDC.
Nous voulons une relation assainie, fondée sur une diplomatie économique équilibrée et intelligente, de nature à renforcer notre position géopolitique en faveur de la paix et du développement. En même temps, il nous faut être lucides sur nos défis et problèmes qui découragent souvent les bonnes volontés.
La corruption doit être combattue efficacement et avec sérieux et non dans le folklore ou les manigances politiciennes comme on l’a vu récemment, y compris dans les dossiers où j’ai été cité. Mon édito n’était pas destiné à faire le bilan de mon action en tant que Ministre des Finances. Mais, à ce propos, j’ai fait un travail méthodique et systémique dans la lutte contre la corruption et l’amélioration de l’image et la crédibilité du pays durant les trente-neuf mois où j’ai été à la tête du Ministère des Finances. J’ai promu une vision solide de notre secteur minier.
Comme j’ai déjà eu à le dire, je n’ai eu aucune compromission avec le secteur minier, qui est de très loin le premier contribuable du pays. J’en suis fier et il suffit de poser la question à n’importe lequel d’entre eux pour être édifié. Mais, curieusement, on a choisi de détruire ce que nous avions de mieux à présenter à travers mon travail, tout simplement parce que je devenais gênant politiquement.
En critiquant et en jetant gratuitement en pâture le constructeur Milvest, nous avons heurté la Turquie pendant que le Rwanda s’en est rapproché utilement. Savez-vous que ce sont des drones turcs, les fameux TB2, qui ont permis à l’armée rwandaise d’avoir le dessus sur les FARDC à Goma ?
J’ai mis en place en 2023, à travers une loi, l’impôt pour les personnes physiques qui devait entrer en vigueur en 2025. Il est clair aujourd’hui que rien ne sera fait cette année, alors que c’était un début de changement majeur dans la responsabilisation fiscale des personnes à revenus élevés, dont les politiciens. Trouvez-vous normal qu’une telle réforme soit aujourd’hui abandonnée ?
D. DADEI.