- mer, 15/06/2022 - 13:27
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1554|MERCREDI 15 JUIN 2022.
Comment expliquer cette flambée de tension entre le Congo et le Rwanda ? Alors qu'au lendemain de la remise-reprise démocratique intervenue à Kinshasa en janvier 2019, tous les feux étaient au vert dans la relation entre Kinshasa et Kigali, comment expliquer l'incroyable montée en puissance d'un groupe armé connu pro-Rwanda et, du coup, hélas !, anti-Congo, le M23, que chacun sait qu'il ne peut avoir aucune existence militaire sans l'aide ou l'appui d'un pays étranger ?
EN GUERRE.
Entre Kinshasa et Kigali, place donc désormais aux armes, avec, comme bilan aujourd’hui, côté Congo, des morts sous des bombes - deux enfants de sexe masculin âgés de 6 et 7 ans, un militaire, le major Eric Kiraku Mwisa, officier de sécurité du général-major Cirimwani Peter, commandant du secteur opérationnel Sukola 2 Nord-Kivu qui conduit les opérations.
Outre des destructions dont une école, l'Institut Saint Gilbert, près de Bunagana, dans le Nord-Kivu, suite à des bombes « tirées depuis le Rwanda ».
Le major Eric Kiraku Mwisa «a été tué au champ d'honneur, l'arme à la main, dans une embuscade tendue par l'ennemi dans les installations de Premidis, sur la route qui mène vers Bunagana», précise un communiqué de l'armée congolaise FARDC.
Et, le plus officiellement, le chef de la diplomatie congolaise, surenchérissant sur les FARDC, accuse «l'armée rwandaise de crime de guerre et de crime contre l'humanité».
Comment avoir été si loin dans la reprise, le réchauffement des relations diplomatiques et commerciales et se retrouver si vite, si bas, en guerre ? Les diplomates s'étaient-ils trompés dans leurs analyses en décidant de renouer si vite, trop vite?
Car, les accusations congolaises ne manquent pas d'arguments.
Elles s'appuient sur des images prises sur place et par des drones. «L'agression du Congo par le Rwanda ne fait l'ombre d'aucun doute», déclare le Vice-premier ministre Christophe Lutundula Pen'Apala. Elle est «confirmée par les images des drones qui attestent l'occupation jusqu'à ce jour de Tchanzu et de Runyonyi par les forces de défense du Rwanda», poursuit Lutundula.
Lundi 13 juin, une « communication officielle des Forces Armées de la République Démocratique du Congo » révolte tous. « Depuis plus de deux jours, les terroristes du M23 soutenus par les Forces de défense du Rwanda (RDF) ont mené des attaques sans succès contre les positions des FARDC à Bigega 1 et 2, Bugusa et Premidis.
Déterminées à défendre l’intégrité du pays, les forces loyalistes ont mis en déroute ces criminels tout en leur infligeant des pertes énormes. Après avoir constaté d’énormes revers subis par leurs protégés sur le terrain, les Forces de Défense du Rwanda ont, cette fois, et à découvert, décidé de violer l’intangibilité de notre frontière et l’intégrité de notre territoire en occupant la cité frontalière de Bunagana ce lundi 13 juin 2022 aux environs de 07heures du matin.
Ce qui constitue ni plus ni moins une invasion de la RDC et les Forces Armées de la République Démocratique du Congo tireront toutes le conséquences qui s’imposent et défendront la Patrie ».
Jusqu’ici, Kigali niait tout, expliquant qu’il s’agit d’un « conflit entre Congolais », que Kigali « peut régler en deux jours », appelant les Congolais à «s'entendre entre eux», à négocier avec le M23 qualifié par Kinshasa de mouvement terroriste, en même temps que Kigali accuse Kinshasa d'être aux côtés des rebelles FDRL rwandais.
Il existe, dans la sous-région, un mécanisme conjoint de vérification (et de dialogue)... À quoi sert-il? Comment avoir tôt permis l'échange de visites au plus haut niveau de l’État, visite entre nos deux Chefs d'État - plusieurs visites -, des vols dans nombre de villes du Congo, Kinshasa, Lubumbashi, Goma, etc., de la compagnie aérienne rwandaise Rwandair, pour les surprendre - en se retrouvant au point de départ, si tôt, si vite ?
Alors que l'on pensait se trouver face à un malheureux incident à refermer très vite, voilà que Kinshasa et Kigali se retrouvent en guerre, se détestent comme hier, s'entre-accusent de soutien à des groupes armés opposés et de frappes militaires.
À New York, siège des Nations Unies, un communiqué, samedi 11 juin, condamne «l'utilisation de groupes armés agissant par procuration». Signé Stéphane Dujarric, porte-parole du Secrétaire général de l'ONU António Guterres, si ce texte ne cite ni le Rwanda, ni son protégé le M23, il les pointe du doigt.
ÊTRE RESPECTÉ.
«Nous réaffirmons notre attachement ferme à la souveraineté, à l'indépendance, à l'unité et à l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo, et nous condamnons l'utilisation de groupes armés agissant par procuration», écrit ce communiqué.
Il condamne «la multiplication des attaques contre les civils par des rébellions congolaises et la présence persistante d'autres groupes armés étrangers qui continuent de menacer la stabilité régionale» dans les Grands Lacs. Il déclare soutenir les efforts de l'Union africaine, qui a nommé le président angolais Joao Lourenço «pour désamorcer les tensions entre la RDC et le Rwanda».
Place aux questions : jusqu'où ira cette montée de violence ? Pourquoi l'armée ougandaise UPDF présente au Congo aux côtés des FARDC, a-t-elle rallié les RDF? Faudra-t-il accepter ces images des foules congolaises terrorisées fuyant leurs maisons pour se réfugier ailleurs ? Comment le Rwanda aurait agi si des bombes des FARDC avaient donné la mort au Rwanda ? Comment le Congo doit faire pour se faire respecter de ses voisins?
Le 9 juin, à Kinshasa, face au président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, face aux médias du monde, face à la recrudescence des tensions entre Kigali et Kinshasa, le Premier ministre belge Alexander De Croo, faisant partie de la suite du roi des Belges, déclare que le Congo est dans son droit lorsqu’il exige de ses voisins que son territoire «soit respecté».
Face à un voisin qui se veut «dix fois plus puissant», qui aime la guerre, qui est jusqu’au-boutiste, qui ne cherche qu'à «conquérir et à dominer», aux dires de nombre d'analystes, comment, sans organisation, sans réorganisation, se faire respecter quand vous vous voulez un pays de pacifistes?
D. DADEI.