Refus de visa, business colossal pour les pays Schengen
  • lun, 19/08/2024 - 08:28

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1617|LUNDI 19 AOÛT 2024.

Informations incomplètes ou non-fiables, demandeur faisant objet de mesure lui interdisant l'accès ou le retour au territoire du pays d’accueil, ou présentant un risque de menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique du pays d’accueil. Ce sont entre autres motifs à la base du refus de visa aux nombreux Africains par les pays européens de l’espace Schengen.

Selon des statistiques analysées par Schengen News, le média officiel de l'espace Schengen, les demandeurs africains perdent 56 millions d’euros, ce qui représente un enjeu financier considérable, surtout que les frais liés au visa ne sont pas remboursables.

« Les autorités du consulat considèrent que certaines demandes sont obscures et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour justifier le voyage. Ces demandes sont donc refusées parce qu’elles estiment que le postulant n’a pas justifié assez clairement le motif pour lequel il veut aller dans le pays d’accueil », confie un agent d’un consulat à Dakar, au téléphone.

C’est ainsi que de nombreux demandeurs africains se voient refuser le visa Schengen (qui sont les pays membres de l'Union Européenne, Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède), malgré les sommes colossales qu’ils déboursent, de la préparation des paperasses jusqu’à l’acquittement des frais de visa. Ils y mettent leur énergie, leur fortune, bref tout leur espoir pour l’obtention du précieux sésame. Mais pour nombre d'entre eux, à la fin, c’est la déception. Le visa leur est refusé et n'ont même pas le courage de faire un recours.

« J’ai fait une demande de visa Schengen pour la Belgique. J’ai rempli le formulaire en ligne avant de prendre un rendez-vous pour aller déposer mon dossier. J’ai fourni tous les documents, donné tous les renseignements concernant mon voyage et mon séjour, là-bas et j’ai payé les frais. Mais à la fin, le visa m’a été refusé », raconte Freeman Loga, ressortissant béninois vivant à Dakar.

Frustration, résignation, et même parfois colère sont les sentiments qui animent ces candidats malheureux au visa Schengen. Parce que les frais de visa ne sont pas remboursables. Lorsqu’il arrive au demandeur de réitérer la demande, il faut alors faire saigner sa bourse une nouvelle fois.

Après avoir vu sa demande de visa refusée, Baye Niass, jeune étudiant à Dakar, était surpris d’apprendre que les frais de visa ne sont pas remboursables. Mais il ne peut que se morfondre dans la résignation.

« Mon dossier devrait passer, mais on me brandit le motif 5 qui dit que les informations que j’ai communiquées pour justifier mes conditions de séjour ne sont pas fiables ou complètes. Je suis surpris parce que je ne pensais pas qu’on allait me coller ce motif, puisque ayant fait AVI et la réservation d’hôtel, ça devrait passer. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Mais on se remet au grand Dieu », se console-t-il.

ABSENCE DE TRANSPARENCE.
« Mais que voulez-vous que je fasse ? Le consulat ou le visa n’appartient pas à mes parents. Je ne peux que me résoudre à l’idée que la prochaine fois sera bonne. Ce n’est pas une résignation, mais une résilience », ajoute Loga.
Nombre de ces demandeurs refusent de faire le recours puisque les chances que ces démarches aient un avis favorable sont très minimes. Schengen News, indique dans ses statistiques qu’en 2023, les ressortissants africains ont reçu 704.000 refus de visa, soit 41,3% de tout le montant généré par les demandes rejetées cette année.

Dans les agences de voyage auxquelles s’adressent ces demandeurs, la situation est vécue dans une gêne, puisque ces dernières disent mettre tout en œuvre afin que le client, qui dépense presque sa fortune, puisse avoir satisfaction.
« Votre intention, de quitter le territoire n’est pas établi », c’est le motif de refus le plus récurrent des demandes de visa. 70 à 80 % des cas de refus de visa Schengen sont frappés par ce motif. « C’est-à-dire que le consulat pense qu’après expiration du visa, l’intéressé ne compte pas revenir dans son pays. Parce que pour eux, les documents financiers apportés pour soutenir le dossier ne sont pas convaincants », souligne M. Diallo.

Il reconnaît que les demandeurs malheureux sont frustrés, mais cela reste la faute au consulat et non aux agences de voyage. Puisque celles-ci font correctement leur travail avant d’envoyer le postulant pour le dépôt des dossiers. Pour les honoraires, ça dépend de ce que l’agence convient avec le client.
Le Directeur de Safabhe Voyages confie qu’il y en a à qui il fait des faveurs en diminuant des prix fixés d’avance. « Quand on assiste bien un client et qu’il est satisfait, c’est une communication réussie », ajoute-t-il, reconnaissant aussi que le taux d’obtention de visa est faible.

European Union Observer a mené une étude qui révèle que les pays d’Afrique et d’Asie représentent 90 % de tous les coûts liés aux visas Schengen refusés. Ce chiffre risque d’augmenter parce que depuis le 11 juin 2024, la mesure de l’Union Européenne sur l’augmentation des frais de visa est entrée en vigueur. Selon la nouvelle mesure, les Africains débourseront 90 euros pour les adultes et 45 euros pour enfants de 6 à moins de 12 ans pour espérer avoir le visa Schengen. Contre 80 euros dans le passé pour les adultes et 40 euros pour les enfants. Soit une augmentation de 12,5 %.

« Quand on parle de visa, on parle de quelque chose d’assez lié à la diplomatie et aux politiques intérieures des États. Sauf qu’il y a des difficultés pour le système diplomatique pour certains États africains, voire asiatiques de négocier un peu avec leurs homologues du côté de Schengen », explique Mouhamad Maiga qui ajoute qu’il y a un travail important à faire à ce niveau.

Il pointe du doigt la politique sélective de l’immigration, avec un déséquilibre dans l’appréhension des politiques du visa au niveau de certains États africains, qui nécessite que les politiques migratoires soient revues du côté du continent africain et que certains États comme le Maroc puissent travailler un peu sur une politique d’équilibre et d’équité dans l’accès aux visas.

L’expert en relations internationales relève qu’il est assez dérisoire de voir qu’il y a un manque avéré de transparence au niveau des procédures de refus.
« Ces procédures peuvent être l’objet de discussions, de négociations entre ces États africains et les pays de Schengen pour qu’il puisse y avoir quelque chose de beaucoup plus équilibré », déclare-t-il. S’agissant des données que collectent ces pays de l’espace Schengen, Mouhamad Maiga indique que ce sont des données qui peuvent servir à beaucoup de choses, et que les diplomaties des deux parties (pays africains et pays Schengen) doivent en parler. « Parce que c’est des données des citoyens africains qu’ils détiennent à leur niveau. On ne sait pas jusqu’où ces données peuvent servir », souligne-t-il.

Dans le cas d’espèce, Mouhamad Maiga précise que les États africains ne sont même pas assez forts pour mettre en œuvre le principe de réciprocité.
« Il faut suffisamment être costaud pour appliquer ce principe à un État plus puissant. Il n’y a pas que cette affaire migratoire qui peut être mise dans une balance pour pratique de ce principe de réciprocité. Le principe doit tenir compte d’un ensemble d’engagements, d’accords bilatéraux et internationaux pour pouvoir l’appliquer à un pays homologue », dit-il.

Il insiste sur le fait que les systèmes ne sont pas équitables. Les États africains présentent donc un grand nombre de désavantages.
Il faut noter que l’Afrique du Nord reste en première ligne au niveau des demandeurs de visa Schengen. Et c’est l’Algérie qui vient en tête de ces pays. 13 millions d’euros dépensés pour des visas rejetés en 2023.

L'Algérie est suivie par le Maroc, avec près de 11 millions d’euros. L’Égypte occupe la troisième place avec 3,75 millions mis dans les demandes de visa rejetées. Un pays de l’Afrique de l’Ouest, le Nigeria, arrive en quatrième position, avec 3,44 millions d’euros et la Tunisie ferme la marche des top 5 avec 3,11 millions d’euros.
ISIDORE KOUWONOU.
BBC Afrique.


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