- lun, 29/04/2013 - 17:44
Cahin-caha, le pays avance vers cette mutation technologique et économique majeure attendue et annoncée: le passage à la fibre optique internationale qui le basculera dans le haut débit - voire le très haut débit -, le rendez-vous de modernité, et fera oublier le satellite et des départs de signal dont certains ont pour origine les perturbations atmosphériques.
LE SOFT INTERNATIONAL N°1224 ED. MARDI 29 AVRIl 2013.
Pour la troisième fois, une date annoncée n’a pu se tenir. En première ligne, le ministre en charge du dossier, Tryphon Kin-kiey Mulumba outré, a fait le déplacement du site. Voyage de kamikaze.
Au départ du samouraï pour le sacrifice, le soldat candidat au suicide voue allégeance à l’Empereur, récite un tanka pour dire adieu en pensant au devoir de sacrifice suprême qu’il s’apprête à accomplir, prend une gorgée de l’ultime saké en se tournant dans la direction de sa région de naissance avant de hurler, le fameux cri, le «Tennō heika banzai» (Longue vie à Sa Majesté l’Empereur), question de se donner du courage...
Du courage, il en avait besoin, le ministre Tryphon Kin-kiey Mulumba. Comme de la peste, les automobilistes redoutent la Nationale n°1, dans son tronçon Ouest et, en réalité, s’ils s’y aventurent, c’est comme par devoir, contraint et forcé. Au volant de votre bête, sur cette partie de notre unique Nationale, vous prenez deux voire trois fois plus de risques de faire un tonneau que sur la partie Est qui file de Kinshasa à Kikwit, en passant par Kenge et Masimanimba.
Ici, vous pouvez vous permettre de faire du rallye, vous n’aurez qu’un problème: les innombrables dos d’âne qui vous contraignent de ralentir en vous sauvant la vie. à l’inverse, aller au Bas Congo relève littéralement de la bravoure...
Là où vous prendrez allègrement le chemin de Bandundu, au Bas Congo, il vous faut vous remettre à Dieu-Le-Père-Tout-Puissant par deux voire par trois fois. Ceux qui, malgré tout, prennent ce tronçon, soit pour besoin d’affaires, soit pour accompagner un parent à son lieu de sépulture reviennent avec un mort voire plusieurs, suite à un accident de circulation...
Outre que cette voie est bondée d’escarpements de mort - au sortir de Kinshasa et à l’entrée de la grande ville de Matadi qui ressemble drôlement à s’y méprendre comme à l’approche de la Capitale rwandaise Kigali pour qui arrive de Goma en passant par Gisenyi et Ruhengeri, il faut compter avec des camions locomotives qui tirent des conteneurs déboulant de Kinshasa où ils ont déchargé ou surgissant des ports avec leurs énormes chargements. On a tendance à l’oublier, ce tronçon conduit vers deux ports, Matadi et Boma sans lesquels la Capitale voire le pays, ne vaudrait pas un penny...
Rien à Signaler, jusqu’à Matadi.
Quand le 20 avril, le ministre Tryphon Kin-kiey Mulumba annonce qu’il prendra la route plutôt que l’avion - trop cher, pas d’argent, trop risqué par ces temps des crashs aériens en continu - pour se rendre à Muanda, où commence le pays, à l’Océan Atlantique, en visite d’inspection pour tenter de cerner le mystère des reports successifs de l’inauguration de la station d’atterrage de la fibre optique internationale, ceux qui forment sa suite se demandent si l’idée du ministre des PT&NTIC est lumineuse!
Tous savent qu’il aime à prendre son volant - il dit vouloir conjurer lui-même son sort - mais nul n’oublie que Muanda est à 750 kms de la Capitale... Au volant, c’est extrême.
Il se trouve que la veille, les routiers ont annoncé avoir levé le mot d’ordre de grève qu’ils observaient depuis plusieurs jours et qui a failli anéantir les activités commerciales dans la Capitale et le pays. Lever la grève pour les routiers signifie qu’ils vont dès le lendemain se ruer en nombre sur la Nationale pour regagner Kinshasa avec leurs énormes conteneurs bondés ou se rendre aux ports pour charger... Si Bison Futé existait chez nous, distillant des infos route, il aurait annoncé rouge écarlate!
Le ministre Kin-kiey n’est pas de nature à changer d’avis. Sa décision est prise, elle le restera. La mission est kamikaze, il le sait et n’a aucun choix. L’honneur du pays en dépend!
Kin-kiey a offert un ticket d’avion à qui le désire de son staff. Quatre membres ont été tentés.
C’est un petit avion de brousse qui a décollé sur une piste dangereuse à Ndolo, célèbre pour un crash spectaculaire quand un Antonov ukrainien sortit de piste, sous les années Mobutu, fonçant droit sur le marché Type Ka tou proche, fauchant des centaines de personnes.
Les quatre occupants du ministère des PT&NTIC ont eu très peur au décollage et ont vite fait de se confier à Dieu-Tout-Puissant avant de fermer l’œil tout le temps qu’a duré le vol, une trentaine de minutes qui paraissent avoir été une éternité...
Et le gros des troupes a pris la route avec le ministre...
Jusqu’à Matadi, à 365 kms, il n’y a rien à signaler. Les cinq véhicules de la suite ont bien roulé. Le navire amiral du ministre - son Yacht qu’il affectionne - a glissé sur le macadam, loin en tête de peloton comme à son habitude, semant le reste du convoi.
Il faut croire que cette petite bête sortie des usines réputées de Stuttgart fut conçue pour ce genre de route...
Parti à 10 heures à Kinshasa, le convoi a atteint Matadi peu après 15 heures. Protocole oblige, le ministre doit saluer le gouverneur de province, Jacques Mbadu Nsitu, qu’il connaît et admire depuis les longues années du Palais du Peuple. à les voir se parler, entre les deux hommes, c’est larrons en foire. Sénateur à la législature passée (et, drôlement présente), celui qui fut gouverneur du Bas Congo d’octobre 2006 à mars 2007 (nommé entre les deux tours de la Présidentielle) a retrouvé fin octobre 2012 comme il l’a laissé son bureau lors d’un scrutin très disputé qui l’opposait en indépendant au sortant Déo Nkusu Kunzi Bikawa, soutenu par la Majorité présidentielle (17 voix contre 11). Mbadu a ainsi quitté la Chambre basse où il siégeait depuis les dernières élections. Membre de la Majorité présidentielle, fort de ses états de service dans le Mayombé où le Chef de l’état Joseph Kabila Kabange a eu des voix dans le Bas Congo, cet homme qui avait lancé sa campagne pour les Législatives de 2011 monté sur un tracteur, avait expliqué qu’il n’avait pas vocation à passer son temps sur un strapontin mais à gérer les affaires de l’état. Proche de la Banque Mondiale, il brandissait un projet de développement d’une province à l’histoire glorieuse.
Sauf s’il obtenait un maroquin, il avait promis qu’il briguerait et prendrait sans coup férir la province...
Mbadu a réuni le Mayombé en candidat unique, quand d’autres districts se sont lancés dans la course dans le désordre, à plusieurs. Promesse tenue!
Ce gouverneur avenant a dit ne vouloir laisser partir le ministre sous aucun prétexte, pas avant une pause-café qu’il a fait préparer en sa résidence officielle en voie de subir une cure de jouvence.
Il a même offert de faire lui-même le guide jusqu’à Boma, la prochaine étape, à trois heures de route, sur une piste qu’aucun de la suite n’avait empruntée auparavant...
L’offre de Mbadu a fait disparaître toutes les appréhensions. Le convoi se mettra sous sa haute protection d’autant que le départ tarde à être donné, qu’il pourrait intervenir la nuit ou, au mieux, à la tombée de la nuit - le gouverneur a encore des audiences à accorder et de lourds signataires à libérer -, que le ministre doit être à Muanda - symbole fort! - la veille du 22 avril, date annoncée de la cérémonie d’inauguration du point d’atterrage.
Ici comme là-bas c’est le ravissement.
Aller de Matadi à Boma c’est comme aller en enfer. Non seulement la voie est dangereusement escarpée, on s’y croirait rouler sur une terre qui a tremblé! Ceux qui, à Kinshasa, vont à l’Université en traversant la commune de Ngaba, seront assurément moins dépaysés.
Quand de nuit, vous rencontrez ces longs serpents de route qui vous foncent pleins feux au visage, venant de Boma, le port d’où débarquent les «occasions d’Europe» dédiées à notre cimetière, dans le convoi, il ne vous reste qu’à faire précipitamment un signe de croix! Quand on apprend que le ministre des Travaux publics et Aménagement du territoire a pris ses quartiers dans la contrée, l’espoir est permis. Cela dit, on pourrait se plaindre de tout, sauf de cet accueil sans prix auquel la délégation a droit à Boma, dans le salon lumière latifundiaire de la superbe villa privée de Mbadu, perchée sur les hauteurs imprenables de la ville.
Il est 21h30’ quand le convoi fait son entrée dans cette cour d’où, au loin, les navires approchant du port, offrent un régal à l’œil...
C’est le lendemain - après une nuit réparatrice - que le convoi reprend la route et atteint Muanda peu avant 17 heures.
Attendant de mieux organiser sa propre venue à Muanda qu’il n’a pas encore visité depuis son retour à la tête du Bas Congo, le gouverneur a joint à la délégation son ministre provincial en charge des Mines et TIC Anselme Mbaku Nimy et la maire de la ville de Boma Marie-José Nsuani de qui dépend aussi Muanda. Longue de 120 kms, cette étape est physiquement la plus éprouvante.
Le convoi avait quitté trois heures plus tôt Boma où tout est histoire: le vieux port, la maison du 1er Gouverneur général de l’état Indépendant du Congo, le baobab que Stanley perça pour y passer trois nuits du 9 au 11 août 1877, dans des conditions extrêmes, la première Cathédrale du pays arrivée du port d’Anvers à bord d’un navire, une réplique en miniature de Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles, la maison et le cimetière de Joseph Kasavubu, le premier président du pays et sa voiture de marque Mercedes, les restes des deux Cadillac de collection qui firent certainement les premiers véhicules à moteur à rouler ici et qui appartiennent à un couple d’Allemands qui se lança dans la pêcherie industrielle et de là ce nom de Ficher (pêcheur) que les habitants leur collèrent et qu’ils ont donné au quartier, etc. Il faut des jours et des jours pour qui veut visiter cette ville ocre...
Muanda c’est tout différent de Boma. Il faut d’abord s’assurer de trouver un lit. Il n’y a rien d’évident.
Mais la délégation venue par l’avion de brousse s’est débrouillée comme elle a pu. La mine défaite est hors saison. Il faut aller vite, sans avoir à attendre, mettre le cap sur le point d’atterrage!
Surprise! Fièrement, pimpant neuf, de son bleu, rouge et jaune, le drapeau tricolore flotte au vent. Les extérieurs sont d’apparence correcte, rien à envier à une succession de villas sud-africaines... La clôture en barres de fer métallique renvoie à du grand art, tout comme le sol dont l’entrée en pavés force l’admiration. Dans les jardins, on aperçoit deux types de lampes, les unes couchées au sol pour illuminer les fleurs, les autres plantées.
L’homme ou l’entreprise qui a conduit ces travaux a du goût... Mais des parties de sol servant de bacs de fleurs restent encore nues. Par endroits, il manque du gazon...
Si cela n’est pas un préalable à la cérémonie de remise reprise, du travail demande à être fait pour parachever l’ouvrage. Le jour du passage des témoins, aucun détail ne devrait être ignoré.
Après les extérieurs, au tour des parties nobles: l’intérieur. Ici, tout est ravissement, ne cachons rien. Couloirs et pièces sont de parfaites œuvres d’architecture moderne, très fonctionnelles. Les climatiseurs répondent à la satisfaction générale et envoient le froid nécessaire au bon fonctionnement d’un matériel très sensible. Les racks en forme de grosses armoires qui enferment les équipements sont bien debout, tout comme les écrans d’ordinateur. Mais aucun meuble et les ordinateurs traînent à même le sol...
Rien à signaler: tout est en règle.
Le système de surveillance électronique est en place. Se courbant pour naviguer sur un écran, un agent nous fait visionner l’arrivée et le déploiement de la délégation.
«Tout est en règle. Il n’y a rien à signaler», assure-t-il, satisfait, avant de nous inviter à visiter la salle des batteries de réserve, puis vers trois énormes groupes électrogènes de secours placés dans un hangar. C’est la norme...
Signe qu’il est impensable que la station tombe un jour en panne à la suite d’un manque d’alimentation électrique.
Si tout est en règle, il existe un point qu’il reste à visiter: le Beach Man Hole, sur une berge de l’océan, le point de rencontre où le câble sous-marin à fibre optique du consortium WACS rencontre celui sous-terrain à fibre optique construit par le Chinois CITCC et qui porte le haut débit à l’intérieur du pays.
En mai 2012, ce point de rencontre n’était qu’une chambre de visite béante qui ressemblait à une bouche conduisant vers un couloir souterrain. Il était prévu d’y ériger un ouvrage de maçonnerie.
Bientôt, il va faire nuit! Les véhicules glissent sur du macadam tout noir, tout propre, qui redonne de la valeur au site...
A la berge, tout est achevé. Le trou béant a disparu. Sauf à planter du gazon et à ériger un jardin de fleurs en vue de stabiliser le sol, on attend ici que les hôtes de marque. Tout comme tout Muanda.
Depuis des mois, les habitants ont rafraîchi les murs des maisons et balaient les devants des habitations. Ils savent que la ville attend cet événement mais ne comprennent pas l’interminable attente.
«à quoi jouent ces Messieurs de Kinshasa?», s’énerve un jeune. «Pourquoi l’inauguration se fait-elle attendre?» Qui doit répondre?
Avons-nous les bonnesinformations?
Le ministre Tryphon Kin-kiey Mulumba a annoncé une première fois la date du 26 mars. Retenue dans l’agenda de nombre d’autorités devant faire le déplacement, à la toute dernière minute, WACS a fait savoir que son compte n’avait pas reçu le solde des 3 millions USD dû par l’état pour confirmer la cérémonie de remise reprise.
Là où un simple SWIFT aurait suffi pour mettre le consortium en confiance, WACS a exigé le plein encaissement. Il réclame l’inscription physique de ce fonds dans son compte. Quand ceci arrive, on est déjà au-delà du 26 mars... Mais, au lendemain de la réception de ce solde, le consortium adresse une lettre officielle à la partie congolaise, explique que le pays ne doit plus désormais rien au consortium qui, fort de ce paiement, fixe la date du 19 avril comme celle de la tenue de son conseil d’administration à Muanda.
C’est à cette date, selon le protocole de WACS, que la station d’atterrage jusqu’ici encore sous la responsabilité de l’équipementier français Alcaltel-Lucent, serait réception par WACS, qui, à son tour, après examen du site, le remettrait à la partie congolaise.
Tout logiquement, WACS annonçait pour le 22 avril le jour de cette remise reprise qui coïnciderait avec l’inauguration et la mise en fonctionnement de la station et de la connexion internationale.
Kinshasa attendait ce 22 avril qui n’a pas tenu non plus promesse. Qu’est-ce qui s’est à nouveau passé? Pourquoi ce deuxième ou, mieux, ce troisième report? Lors des préparatifs du Sommet de la Francophonie, il avait été annoncé que la connexion internationale à la fibre optique allait être réalisée avant ces Assises francophones afin de donner les capacités voulues aux hôtes de marque et aux nombreux journalistes attendus...
Il faut faire état de la «particularité» du «Système WACS» et noter que ce ne sont pas les états qui représentent les pays au consortium mais les opérateurs «historiques».
Ainsi en est-il pour Vodacom, Telkom, MTN Group, Broadband Infraco, Tata Communications/Neotel (Afrique du Sud), pour Togo Telecom (Togo), pour Telecom Namibia (Namibie), pour Portugal Telecom/Cabo Verde Telecom (Cap Vert), pour Congo Télécom (République du Congo), pour Angola Cables (Angola) et, pour l’Ocpt (RDC).
A toutes les réunions de WACS où toutes les décisions sont prises et annoncées, notre pays est représenté par la Scpt (Société congolaise des Postes et télécommunications) et c’est par elle via son administrateur-directeur général a.i Patrice Mbatika que le pays est informé des annonces de WACS.
A Matadi, sur le chemin de retour, lors d’un deuxième night stop et à l’issue d’une visite au gouverneur, pressé de questions des journalistes, le ministre Tryphon Kin-kiey Mulumba réfléchit à haute voix, en posant une série de questions. «Alors que la République ne doit plus aucun sou à WACS, pourquoi WACS ne s’est pas rendu le 19 avril à Muanda comme il nous l’avait annoncé lui-même? Pourquoi ce troisième report qui n’obéit à aucune logique? Avons-nous eu à ce jour les bonnes informations de WACS? Ne faut-il pas penser à mettre en place une structure d’accompagnement qui prenne directement contact avec WACS pour savoir exactement de quoi ça retourne»?
Au cabinet des PT&NTIC, on a juré que cette fois, le Congo doit connaître la date de l’inauguration de son point d’atterrage. La prochaine sera la bonne.
Les proches du dossier disent que pour tout boucler, une dizaine de jours suffisent désormais. La Scpt a besoin d’une petite trésorerie, qu’elle n’a pas. Mais rien de si important. Mais la Scpt en est cruellement dépourvue!
Elle aurait pu lever les fonds sur le marché interbancaire local qui déborde de crédit, donne à qui jouit du crédit. On ne prête qu’aux riches...
Et c’est la tragédie! Partout où elle a frappé à la porte, la réponse a été courtoise, si ce n’est le dédain!
Se pose le problème criant de crédibilité et de compétence. La Scpt n’a que ses yeux pour pleurer et se tourne vers le Père bienfaisant, l’état propriétaire dont les comptes sont en proie à moult demandes mais qui n’a pas la mémoire courte: il se rappelle un passé récent peu glorieux.
Résultat des courses, il faut attendre, attendre, attendre.
A ce train, côté opérateurs du mobile sans lesquels le point d’atterrage n’a aucun sens, les derniers lambeaux de crédibilité foutent le camp. C’est la quadrature du cercle...
L’état doit s’assumer dans un secteur clé, porteur de croissance, qui a conduit l’Inde à l’émergence. En levant les options pour un projet dont la longue attente plombe les affaires.
T. Matotu