La stratégie congolaise de lutte contre la fraude sur les télécoms fait des émules
  • mar, 11/03/2014 - 00:02

Le Congo fait la couverture du numéro présentement en vente du plus mythique magazine du secteur des télécoms et NTIC du monde francophone. Basée en Suisse, à Genève, la revue Réseau Télécoms Network de l’agence Ecofin (agenceecofin.com) couvre en effet son numéro février actuellement en vente, du titre: «Fraude sur les appels entrants: les stratégies gagnantes de la RDC». Au total, 14 pages sur l’expérience gagnante de la R-dC. Objet de fierté sur l’avenue de la démocratie, siège du ministère des PTNTIC. Extraits.

C’est avec un certain plaisir que le ministre congolais en charge des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, Tryphon Kin-kiey Mulumba, évoque le sujet de la lutte contre les détenteurs des Sim box qui transforment les appels internationaux entrants en appels locaux. Il n’hésite pas non plus à présenter aux populations les résultats du processus qu’il a engagé il y a un an.
Le 18 février 2014 par exemple, le ministre Kin-kiey a présenté aux médias les personnes arrêtées et accusées de détenir les Sim box. Il s’agit, d’après le Ministère congolais en charge des Télécommunications, de quatre entreprises: Atmos/Evox, New Distribution Sprl, Cifor Sprl et Tee-Pro Sprl.
Sept accusés sont également mis aux arrêts en sont en attente de jugement: Yannick Lumbala Kabalonda, Israël Kongolo Mwamba, Isaac Mulumba Kabwanseya, Jolika Boteti Loleke, Espérant Ngongo Mbuli, Vital Komba Nsombi et Gabriel Musafiri Kabwe. Les Français Yannick Goul et Alexandre Saycocie, le Libanais Elie Abou Araj et le Congolais Robert Mampuya Kalenga, eux, ont pris la clé des champs et sont recherchés par la police congolaise selon le ministère.
La lutte engagée par le Ministère congolais des PTNTIC, qui a signé un accord en 2011 avec le consortium franco-américain Agilis International-Entreprise Telecom pour éradiquer la fraude téléphonique sur les minutes internationales entrantes, a des résultats palpables, se félicite le Ministère en charge des Télécoms.
Les recettes de la taxe de régulation qui étaient de 16.033.234 dollars US en 2012 sont passées à 26.095.414 dollars US en 2013, soit une augmentation de 162,75% par rapport à 2012, apprend-on. Pour les mois d’octobre, novembre et décembre 2013,le consortium a calculé respectivement 42.004.331, 35.206.740 et 44.457.745 minutes d’appels internationaux entrants.
Ceci sans compter les chiffres déclarés par l’opérateur Orange qui n’a pas envoyé au consortium ses CDRs. Au total, ce sont 380 millions de minutes d’appels internationaux entrants enregistrés en 2013 contre 274 millions en 2011 et 320 millions en 2012.
Le ministère précise que ces chiffres en augmentation proviennent des déclarations des opérateurs eux-mêmes faites à la DGRAD (Direction générale des recettes administratives et domaniales). Or, durant dix ans environ, ils déclaraient invariablement 20 millions de minutes d’appels chaque mois, malgré l’augmentation de leur parc d’abonnés, constate Tryphon Kin-kiey Mulumba, qui attend pour l’année 2014 environ 625 millions de minutes d’appels entrants. «Chaque jour qui passe, le consortium décèle au moins une centaine de cartes SIM frauduleuses qu’elle fait désactiver par les opérateurs», se justifie-t-il.

STRATEGIE DES FRAUDEURS.
Les Congolais, en effet, constatent que plusieurs appels téléphoniques en provenance des pays étrangers, particulièrement de l’Europe, sont reçus sur leurs portables avec le code indicatif de la RDC, 00243, suivi d’un numéro Vodacom, Airtel, Orange, Tigo ou Mricell. Donc, ces appels internationaux entrants sont transformés en appels locaux. Comment les fraudeurs procèdent-ils? Premièrement, il y a la fraude par les Sim box.
C’est la plus courante en RDC. Un pirate installe une plateforme comprenant une antenne parabolique VSAT à travers laquelle il reçoit les communications internationales, souvent par Internet.
A l’aide de ses ordinateurs et d’un dispositif adéquat, il enlève l’identification de la provenance de l’appelant et le remplace par un numéro local installé dans la Sim box. Un boitier qui comporte plusieurs cartes SIM de différents réseaux. C’est ainsi que l’appel international est transformé en appel local. Le destinataire qui reçoit l’appel ne peut, par contre, pas rappeler l’appelant. Le pirate est payé par les carriers ou transporteurs internationaux (avec qui les opérateurs signent des contrats pour l’interconnexion) au tarif d’un appel international.
Par contre, la taxe de 34% due au Trésor public congolais pour une communication entrante au Congo, ainsi que les frais de terminaison ne sont pas payés par ce pirate, ni à l’Etat congolais, ni à l’opérateur mobile ayant terminé l’appel dans son réseau, celui-ci ne percevant que le coût d’un appel local.
En second lieu, la fraude peut s’effectuer par les opérateurs mobiles autorisés. Ici, un opérateur donné reçoit les communications internationales, modifie certaines caractéristiques de ces appels internationaux et les transfère vers un autre opérateur qui termine ces appels sur son réseau.
Dans d’autres cas, pour payer moins de taxes, les opérateurs mobiles peuvent faire de fausses déclarations. «Ce type de fraude concerne les déclarations de volume des minutes internationales faites par les opérateurs, en l’espèce, nos cinq opérateurs, qui ne correspondent pas à la réalité du trafic reçu de l’étranger», explique le ministre Kin-kiey Mulumba.

LE «NON» DES OPERATEURS.
Si, du côté du gouvernement l’on se félicite des résultats affichés dans la lutte contre la fraude sur les appels internationaux entrants, les autres acteurs des télécommunications ne sont pas toujours d’accord avec les stratégies utilisées par l’Etat. Notamment, les compagnies de téléphonie mobile, qui, pour la plupart, contestent les méthodes du consortium, mais surtout les taxesimposées par le Ministère en charge des Postes et des Télécommunications. Taxes qui, selon elles, plombent leur activité.
En effet, l’arrêté interministériel portant fixation de la taxe de régulation des télécommunications à percevoir à l’initiative de l’Autorité de régulation de la Poste et des Télécommunications, dispose en son article deux que «le taux de la taxe de régulation des télécommunications est fixé à 34% de la quote-part dont il est question à l’article premier ci-dessus, sans être inférieur à 0,08 $ (huit cents) par minute d’appel international entrant. Le taux ci-dessus est susceptible de modification en fonction des paramètres du marché des télécommunications».
La taxe de régulation des télécommunications est perçue sur la quote-part de la recette rétrocédée par les opérateurs des télécommunications se trouvant à l’étranger aux concessionnaires locaux des télécommunications, à la suite d’un appel international qui termine dans un des réseaux desdits concessionnaires. Elle est encore appelée taxe terminale ou frais de terminaison.
Déjà, les opérateurs téléphoniques rencontrés affirment tous que, contrairement à ce qu’annonce le ministre, le volume d’appels internationaux entrants a considérablement baissé.
«Même si sur le plan des recettes, l’Etat peut se vanter de gagner davantage, le volume des appels entrants internationaux a sensiblement baissé. Tous les opérateurs vous le diront», lance d’entrée de jeu John Aluku, le directeur juridique d’Airtel en RDC. Pour étayer ses propos, il présente au reporter de Réseau Télécom Network un document qui rassemble les volumes des appels entrants internationaux de janvier 2012 à septembre 2013. On peut y découvrir qu’en décembre 2012, par exemple, le nombre d’appels internationaux entrants était de 19,9 millions de minutes, alors qu’en septembre 2013 il est de 17 millions de minutes seulement, et ce volume est en baisse depuis mars 2013, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle taxe (voir le graphique). Le problème principal d’après lui ce sont les frais de terminaison très élevés.
Déjà, il y a eu plusieurs modifications de cette taxe, dit-il. «(...) Le ministre a donc signé un autre arrêté en mars 2013 qui augmente le taux de terminaison de 20% à 34%, sans que ce que l’on paye ne soit inférieur à huit cents. Car l’arrêté ministériel dit que le taux de la taxe de régulation des télécommunications est fixé à 34% de la quote-part, sans être inférieur à 0,08 $ (huit cents) par minute d’appel international entrant. Maintenant, les opérateurs des télécommunications (les carriers notamment) se trouvant à l’étranger ne sont plus obligés de terminer leurs appels chez nous, car nous sommes trop chers. Nous étions déjà en train de dire qu’à 20 cents, on avait la concurrence des fraudeurs. Maintenant, nous ne sommes plus obligés à terminer à moins de 23 cents. Au lieu de réduire, on a encore augmenté la taxe. Depuis l’instauration de cette taxe, nous ne connaissons que des baisses sur le nombre d’appels internationaux entrants», explique John Aluku.
Il laisse également entendre que cette taxe va entraîner une hausse des prix, une augmentation de la fraude et un arrêt de la croissance dans le secteur. Pour cet expert juridique d’Airtel, les carriers préfèrent dealer avec les fraudeurs qui, eux, proposent de terminer les appels via leurs cartes SIM locales à douze cents. Le même son de cloche est également entendu du côté d’Orange RDC.JeanLéon Bonnechère, son directeur général: «Nous saluons la lutte engagée par le ministère et le consortium. Nous disons même bravo! Car les fraudeurs des Sim box nous font également perdre des parts de marché importants. Le problème, c’est qu’ils sont nos concurrents, ces fraudeurs. Les arrêter est une bonne chose pour nous. Ces fraudeurs proposent aux carriers des taux de terminaison plus inférieurs que nous. C’est parce que les tarifs que nous impose l’Etat sont très élevés par rapport à ce proposent les fraudeurs. C’est pour cela que l’activité des fraudeurs sera toujours plus présente».
La solution pour lui, c’est la baisse de cette taxe terminale.
Chez Airtel, on tient le même discours. «La seule magie et la seule recette pour lutter contre ces personnes qui ont des Sim box, c’est de faire sauter la taxe de terminaison sur les appels entrants internationaux. Ou alors de libéraliser cette taxe», affirme John Aluku. Il indique aussi qu’il a proposé à l’Etat de baisser ces frais de terminaison, ainsi l’Etat gagnerait sur le volume déclaré et cela découragerait les carriers à aller chez les fraudeurs.
Celui-ci conteste les chiffres avancés par le ministre Tryphon Kin-kiey Mulumba.
«On arrête les fraudeurs qui détiennent les Sim box. Si le nombre des fraudeurs arrêtés a sensiblement augmenté, le volume des appels devrait sensiblement augmenter. Ce n’est pas le cas», affirme-t-il.
Du côté du ministère, l’on brandit les documents officiels que les opérateurs ont déclarés à la DGRAD indiquant une augmentation des volumes de minutes déclarés par rapport aux mois précédents.
Au ministère également, l’on affirme que l’on ne peut supprimer totalement cette taxe, car cela rapporte de l’argent à l’Etat.
«De nombreux pays ont institué cette taxe, pourquoi devrait-on la supprimer chez nous?», confie un cadre du Ministère en charge des télécommunications qui pense que les fonds générés pourront permettre le développement du secteur des TIC et télécoms en RDC.
Le consortium est également pointé du doigt par les opérateurs qui estiment que sa technologie n’est pas très adéquate pour lutter efficacement contre les Sim box, car les cartes ne sont pas rapidement suspendues. Tigo, par exemple, a plusieurs fois déjà montré qu’il pouvait lui-même, à travers sa technologie, détecter et supprimer autant de SIM frauduleuses que le consortium. Jean-Luc Bonnechère, confie à RTN qu’Orange a déjà investi des millions de dollars dans l’acquisition d’un équipement de pointe pour lutter contre les Sim box.
Yann Ikierski, le DG de la firme française Entreprise Télécom, membre du consortium franco-américain Agilis International/Entreprise Telecom, répond à ce reproche.
«Ce qu’il faut noter, c’est que malgré leurs performances, même s’ils découvrent plus de numéros, ils ne mettent pas fin à l’activité. Les pirates continuent à exercer avec ces cartes SIM. Ils mettent 48 heures avant de couper une carte SIM Un pirate a le temps de gagner beaucoup d’argent avec ce temps-là. Il va gagner suffisamment d’argent pour changer de cartes SIM chaque jour. Donc, ils détectent des cartes SIM peut-être en plus grand nombre que nous, mais ils n’ont pas d’efficacité. Notre système est en pleine évolution. Nous allons passer à un système de coupure automatique de carte SIM», explique-t-il à RTN Autre reproche fait au consortium, son manque de collaboration. «Nous déplorons le fait que le consortium ne puisse pas nous associer dans cette lutte.
Quand ils détectent une Sim box, ce sont des quantités importantes de cartes SIM qui sont découvertes. S’ils nous donnaient les numéros des cartes SIM qu’ils détectaient, nous pourrions dire exactement qui a acheté ces cartes et la traque serait plus facile, mais le consortium ne le fait pas.
On identifierait plus facilement les auteurs de ces fraudes», pense le DG d’Orange qui conseille également au gouvernement d’interdire l’importation des VSAT ou de durcir les taxes d’importation de ces appareils utilisés par les fraudeurs pour leur Sim box. «Ce sont ceux qui importent ces VSAT qu’il faut stopper. Là ils ne pourront plus exercer», propose-t-il. Le consortium, lui également, accuse Orange pour son manque de collaboration dans cette lutte.
«Ils ne nous envoient pas les chiffres de leur trafic quand on le leur demande », souligne Yann Ikierski. Qu’importe, les résultats sont là, dit-il. Yann Ikierski lui par contre annonce qu’en une année, l’Etat congolais a gagné environ 12 millions de dollars avec leur système. Interrogé sur la rémunération du consortium pour le travail effectué, Yann Ikierski affirme sans trop de précisions que «l’opérateur gagne quinze centimes de dollars sur la minute de l’appel entrant international et l’Etat récupère une taxe de huit centimes. Le consortium est payé sur les huit centimes». Toutefois, d’après nos informations, le consortium bénéficie de trois centimes sur les huit centimes que l’Etat perçoit sur chaque minute d’appel international entrant. Dans cette lutte acharnée contre les fraudeurs des appels internationaux entrants, la Société congolaise des postes et télécommunications, se plaint d’être écartée alors qu’elle a des solutions pour mettre fin aux fausses déclarations des opérateurs et pour lutter efficacement contre les Sim box. Dans une interview accordée à Radio Okapi en novembre 2013, Placide Mbatika, son directeur général, expliquait que le dispositif à mettre en place pour le contrôle n’est pas compliqué.
«Le phénomène Sim box est facilité en RDC parce que tout le monde [opérateur] importe du trafic de l’extérieur. Il suffit d’avoir une antenne satellite et tous les trafics tombent sur vous et vous mettez une boîte qui a 100 ou 150 SIM qui chacune évacue des appels», expliquait-il. Pour lui, si tous les appels sont canalisés par la SCPT, ce phénomène va prendre fin. «A ce stade, c’est comme si chaque opérateur a ses aéroports et ses avions. Un pays doit avoir un seul aéroport et les avions doivent tous atterrir à cet aéroport. Le code 243 c’est l’aéroport de l’information qui doit être géré et contrôlé par l’Etat à travers son opérateur de référence qui est la SCPT», déclare-t-il.

DEPOURVUE DES RESSOURCES.
«Il est facile de repérer les émetteurs Sim box. La SCPT est assez outillée pour faire ce travail», avait alors déclaré Placide Mbatika à Radio Okapi.
Rencontré par RTN, celui-ci n’a pas voulu réagir. Mais un cadre de la SCPT confie à RTN qu’il a été conféré à la SCPT la mission d’installer et d’exploiter le réseau de référence par lequel les opérateurs doivent transiter et écouler leurs trafics nationaux et internationaux. «Ceci conformément aux lois n° 013/2002 et n° 014/2002 qui régissent le secteur des télécommunications en RDC. Le secteur des télécommunications de la RDC échappe totalement à l’État congolais et se trouve sous l’emprise des groupes puissants et des lobbies étrangers. Ce secteur étant hautement stratégique et intimement lié à la sécurité et la souveraineté du pays, la volonté du législateur reconnaît à la SCPT qui en détient l’équipement, le rôle majeur dans le dispositif d’écoulement et de contrôle de trafics des télécommunications tant sur le plan national qu’international», confie notre source.
Interrogé à ce sujet, Paul Mputu, un cadre du ministère en charge des Postes et des Télécommunications, affirme que la SCPT est aujourd’hui dépourvue des ressources financières et même techniques pour réaliser ce travail. «La SCPT n’arrive même pas à payer les salaires de ses employés. Ils n’ont pas de moyens financiers ou techniques pour ce travail», rapporte-t-on du côté du ministère. A la SCPT, l’on rétorque que c’est le ministère qui a pris en otage certaines ressources financières de la SCPT, notamment celles portant sur les taxes payées par les opérateurs pour l’utilisation de la fibre optique. «Nous avons de l’argent, des millions de dollars même. Mais nous ne pouvons pas utiliser notre argent parce que le ministère nous l’a confisqué», se plaint-on à la SCPT.
Interrogé à ce sujet par RTN, Tryphon Kin-kiey Mulumba reconnaît que c’est bien lui qui a demandé que l’argent issu de la fibre optique ne soit pas encore utilisé par la SCPT.
«J’ai demandé que l’argent de la fibre optique soit versé dans un compte séquestre. Cet argent est dans ce compte-là. Pour déployer la fibre optique en RDC, l’Etat congolais a effectué d’importants prêts auprès des partenaires étrangers. Ces prêts doivent être remboursés. Si l’on se met à gaspiller cet argent maintenant, comment fera-t-on pour rembourser? De plus, l’Etat envisage de déployer des milliers de kilomètres de fibre optique dans l’ensemble du pays. Il faut des financements pour cela. Comment fera-t-on pour financer tous ces investissements prévus?», se défend le ministre.
BEAUGAS-ORAIN DJOYUM.

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