- lun, 26/06/2017 - 04:51
Face au vent de panique, la grande muette ACB s’est fendue d’un communiqué non signé.
Les patrons des banques congolaises (Thierry Taeymens pour la Rawbank, Yves Cuypers pour la BCDC, etc.) ont été «convoqués» à Washington au State Departement. Reçus mi-juin au Département du Trésor américain et à l’Office of Foreign Assets Control OFAC/Sanctions Compliance for The US Operations of an International Firm, agence du Trésor américain en charge du planning et de l’exécution des sanctions américaines, ils ont séjourné quatre jours dans la capitale fédérale américaine.
Après la vague de sanctions américaines visant des personnalités civiles et militaires congolaises de haut rang, l’administration voulait s’assurer de la stricte application de ces mesures par les banques congolaises sous peine de sanctions à leur égard.
COMPTES BANCAIRES A GELER.
Les patrons des banques ont plaidé en l’espèce l’absence d’une réglementation congolaise appropriée faisant valoir néanmoins leur bonne foi en expliquant qu’aussitôt les sanctions connues, ils ont procédé à la clôture des comptes des personnes frappées suivie de la restitution des fonds aux personnes intéressées. D’où le courroux des autorités américaines. Instruction a été donnée aux banques, sauf à être sanctionnées à leur tour, de désormais geler, jusqu’à nouvel ordre, les comptes des personnalités frappées par des sanctions plutôt que de les clôturer en leur restituant les fonds outre que les banques s’interdisaient toute transaction avec ces personnalités.
Mais on sait qu’à son tour, le 29 mai, l’Union Européenne a décidé d’infliger des sanctions individuelles à neuf autres personnalités pour de «graves violations des droits de l’homme». Cette liste s’ajoutait à celle de sept officiers soumis à des sanctions européennes depuis décembre 2016 «en réponse aux entraves au processus électoral et aux violations des droits de l’homme qui y étaient liées» en «faisant un usage disproportionné de la force». Une source gouvernementale dans la Capitale, interrogée par l’Afp, avait déclaré la «situation très préoccupant», accusant l’Union Européenne de chercher à «déstabiliser la RDC, comme la Libye ou l’Irak».
Mais, au fur et à mesure que les relations avec la communauté internationale se détériorent, on assiste à un vent de panique aux guichets des banques. Alors que des rumeurs vont bon train sur une autre annonce et sans savoir à qui le prochain, personnalités publiques et entreprises s’empressent de solder leurs comptes bancaires.
C’est le retour au galop de la thésaurisation par la garde de fonds à domicile dans des coffres ou, mieux, par l’affectation dans des projets économiques, souvent dans la pierre, quitte à attendre que ce vent passe... Vent négatif pour un secteur lié à l’Etat et à l’élite au pouvoir.
Car, suite à la vague de sanctions, les banques européennes - belges et françaises surtout - sont désormais très frileuses à traiter avec le Congo et, surtout, à effectuer des transactions en dollar américain, préférant traiter en monnaie européenne, l’Euro.
Elles rappellent les sévères amendes américaines qui établissent l’extraterritorialité du droit américain, véritable défi à l’indépendance des pays tiers.
En décembre 2016, dans la crise des «suprimes», la deuxième banque helvète Crédit Suisse et la première banque allemande Deutsche Bank, avaient accepté de verser au Trésor américain, 5,28 et 7,2 USD milliards respectivement. De lourdes pénalités après que ces banques eurent vendu de 2005 à 2007 des titres adossés à des prêts immobiliers, les fameux «subprimes», à l’origine de la crise des crédits immobiliers à risque de 2008.
En France, trois banques - BNP Parisbas, Crédit Agricole et Société Générale - avaient déjà été frappées par les autorités américaines pour avoir enfreint la réglementation américaine sur les sanctions économiques.
En juin 2014, BNP Paribas avait été condamnée par un tribunal de New York à payer USD 9 milliards pour «falsification de documents commerciaux» et «collusion». Une sanction record, historique, jamais payée à ce jour pour une violation d’embargo.
BNP Paribas était poursuivie pour avoir facilité des milliards de dollars de transactions avec le Soudan mais aussi avec l’Iran et Cuba enfreignant l’«International Emergency Economic Powers Act». «PNP Paribas a déployé d’énormes efforts pour dissimuler des transactions interdites, brouiller les pistes et tromper les autorités américaines», avait alors déclaré, dans un communiqué, le ministre de la Justice américain, Eric Holder. La même année, le Crédit Agricole se voyait infliger une amende de USD 800 millions. Comme BNP Parisbas, cette banque avait transféré des milliards de dollars pour le compte d’entités soumises à des sanctions américaines en profitant d’une faille juridique des Etats-Unis. L’enquête avait visé les mêmes pays: Soudan, Cuba, Iran notamment.
En septembre 2016, la filiale américaine de la Société générale a écopé d’une «petite amende» civile de USD 750.000 et, en janvier 20017, la banque a accepté de solder pour USD 50 millions un litige lié à la crise «subprimes». Le Département de Justice américain l’accusait d’avoir exagéré la qualité d’un portefeuille titrisé de prêts hypothécaires résidentiels cédés à des investisseurs avérés par la suite toxiques.
LA GRANDE MUETTE RETROUVE LA PAROLE.
Est-ce cette convocation américaine des patrons des banques congolaises suivie d’une admonestation à l’OFAC/Sanctions Compliance for The US Operations of an International Firm à la base de l’affolement des milieux financiers qui justifie la sortie de la grande muette ACB, l’Association congolaise des banques qui s’est fendue d’un communiqué assurant qu’aucune restriction en dollars américains avec les banques congolaises n’avait été décidée par les autorités américaine? Il est vrai que médias structurés, en ligne et réseaux sociaux congolais avaient fait large écho de cette nouvelle qui n’aurait signifié rien moins qu’une mise à l’index du Congo par la communauté internationale.
Pour l’ACB dans son communiqué rendu public mardi 20 juin 2017 mais non signé, il s’est agi ni plus ni moins que d’une rumeur infondée. «Les seules dispositions qui existent et qui sont respectées par les banques congolaises concernent les normes et les exigences du fait de la détention et de l’utilisation du dollar américain en cas de sanctions. Celles-ci sont publiées par l’Office of Foreign Assets Control, OFAC (...). Les listes de sanctions sont publiées sur les sites web du Trésor américain et les entités ou individus visés y sont nommément cités», écrit le texte.
D’ajouter: «Autrement dit, les règles qui sont appliquées aujourd’hui sont celles qui étaient déjà en vigueur par le passé». Puis: «Nous sommes d’autant plus surpris qu’aucun de ces articles de presse ne base ses déclarations sur une disposition concrète des Etats-Unis ou sur un communiqué d’ailleurs inexistant de la part du Trésor américain».
Certes, si des telles restrictions avaient été annoncées, elles auraient signé la faillite du secteur bancaire congolais d’autant que «les Etats-Unis sont un peu la banque centrale du Congo», explique Mustafa Rawji, directeur général adjoint de la Rawbank dans un article du MondeAfrique au titre flatteur: «La Rawbank, rescapée du chaos financier congolais».
Première banque du pays, créée en 2002 par la famille Rawji, originaire de la région diamantifère du Gujarat, en Inde, la Rawbank aurait d’ailleurs été contrôlée par les autorités américaines, après des soupçons d’importation frauduleuse de dollars sur une place financière un temps prisée par le Hezbollah «mais elle a été mise hors de cause», poursuit l’article du MondeAfrique. «Nous voulons être le meilleur et le plus rigoureux tout en cherchant les clients jusqu’au bout», déclare, pour sa part, dans le même article, le directeur général de Rawbank, Thierry Taeymans.
«Nous sommes une banque universelle, à l’européenne», poursuit-il. «Je suis un rêveur», répète le financier né en 1957 à Waterloo, banlieue francophone bruxelloise.
«Ouvrir une banque en RDC était une nécessité et une opportunité. Au début, il n’y avait qu’un seul couloir, avec le coffre au fond. Nous avons commencé petits, alors il a fallu impressionner», se souvient Mustafa Rawji. Avec quatre-vingts agences et un bilan de plus de 1 milliard de dollars, la Rawbank, qui fête cette année ses 15 ans, est certainement la must du pays.
T. MATOTU.