Englué dans moult scandales de corruption, l’anglo-suisse Glencore cherche à redorer un blason terni
  • ven, 13/12/2019 - 06:36

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1475|VENDREDI 13 DECEMBRE 2019.

Après dix-huit ans à la tête de Glencore, Ivan Glasenberg a annoncé son départ du géant minier anglo-suisse dont l’une des filiales congolaises est Katanga Mining Limited. L’annonce de la démission du milliardaire P-dg sud-africain (également australien et suisse) - «le premier courtier du monde» et dont la fortune personnelle est de US$ 10 milliards - a été faite alors que le géant minier zougois fait face à une énième enquête, cette fois du SFO, Serious Fraud Office, l’agence britannique de répression des fraudes graves.
«Glencore a été informé que le Serious Fraud Office a ouvert une enquête pour des soupçons de corruption dans la conduite des activités du groupe», reconnaît le géant dans un bref communiqué, le 5 décembre. Une nouvelle affaire pour Glencore côté à la bourse de Londres où ses actions ont chuté dans la journée de 8,6%, soit son niveau le plus bas en trois ans. Depuis janvier, les titres du groupe minier accusé de corruption au Congo et ailleurs ont baissé de près de 20% à la bourse.
«Les vieux vont partir...», a ironisé le 3 décembre le patron de 62 ans devant les actionnaires lors d’une rencontre avec les investisseurs, confirmant un départ imminent de têtes dirigeantes de ce géant anglo-suisse englué dans des scandales de corruptions au Congo, au Nigeria, au Brésil, au Venezuela, etc. La nomination de son remplaçant pourrait intervenir en 2020, l’année du processus de transition. Dirigé par Ivan Glasenberg depuis 2002, Glencore a été secoué par une multitude de scandales de corruption et de blanchiment d’argent. Dans le collimateur du département américain de la Justice dans le cadre d’une vaste enquête de corruption, le groupe se trouve cette fois face à l’agence britannique de répression des fraudes graves. Au cours des deux dernières années, ces enquêtes ont effrayé les investisseurs et secoué Glencore.
La SFO semble avoir ratissé large. Elle enquête sur des soupçons de corruption par l’entreprise, ses agents et des personnes associées. Enquêtes qui ont «un impact négatif évident pour le dossier des placements de Glencore», déclare un analyste de RBC Capital Markets, Tyler Broda. «Cela nuira clairement à l’image de ce qui demeure un dossier d’investissement complexe pour les investisseurs». Le langage de l’enquête du Royaume-Uni, qui ne communique pas les détails, suggère une enquête plus large dans sa portée, écrit Broda dans une note. Cela pourrait alourdir la peine, si Glencore est déclaré coupable ou parvient à négocier un accord, poursuit-il.
Entre 2013 et 2016, le géant minier auraient versé plus de US$ 75 millions à l’homme d’affaires israélien Dan Gertler accusé aux Etats-Unis d’avoir corrompu de hauts responsables congolais pour booster ses intérêts miniers, à en croire l’ONG Global Witness, dans un rapport de mars 2017. L’ouverture de l’enquête britannique, saluée par l’ONG, est une pression supplémentaire sur Glasenberg. L’enquête sera un test important pour le procureur du Royaume-Uni. Que de ratés dans le passé. Trois officiels de Tesco Plc pris dans un scandale de comptabilité furent blanchis après deux procès et le bureau a abandonné des enquêtes de haut niveau sur des individus dans des entreprises, chez Rolls-Royce Plc et Glaxosmithkline Plc.

UNE FORTUNE DE US$ 1,26 MILLIARD.
Ces enquêtes soulèvent des questions de fond sur la façon dont le business des matières premières est mené à travers le monde. Les traders ont généralement été prêts à faire des affaires dans les pays les plus pauvres et les plus corrompus du monde. Depuis longtemps ils comptent sur des intermédiaires payés à la commission, pour les aider à obtenir des contrats. «C’est du pareil au même, mais on s’attaque maintenant à la question sous un angle différent», déclare Hunter Hillcoat, analyste à Londres chez Investec Securities Ltd. «Glencore se vendait déjà au rabais suite aux poursuites du Département américain de la Justice, mais lorsque cette nouvelle fut diffusée, elle est de nouveau frappée», poursuit-il.
Bien que le SFO n’ait pas précisé quelle partie de l’entreprise elle examinait, l’agence financière Bloomberg a signalé l’année dernière que SFO se préparait à ouvrir une enquête sur Glencore et ses relations au Congo avec le milliardaire israélien Dan Gertler. En 2017, les Etats-Unis ont imposé des sanctions à Gertler, qui aurait eu recours à des liens locaux pour construire sa fortune personnelle évaluée à US$ 1,26 milliard, selon le classement 2016 de Forbes. L’israélien et le groupe minier ont d’abord investi ensemble en 2007 dans une mine au Katanga avant de développer au fil des années un partenariat étroit dans les exploitations de cuivre et de cobalt dans Mutanda et dans Katanga Mining Limited. Alors que Glencore a rompu ses relations d’affaires avec Gertler, il doit payer des redevances pour les mines à l’homme d’affaires.
Glencore fait l’objet d’une enquête par le Département de la Justice américaine et les autorités brésiliennes dans le scandale du lavage de voitures. L’Agence américaine chargée du contrôle des marchés de matières premières enquête également sur la société pour des possibles pratiques de corruption. En réponse à l’enquête du ministère de la Justice, avec laquelle l’entreprise dit coopérer, Glencore a mis sur pied un comité du conseil d’administration pour répondre à une enquête américaine, qui comprenait le président et l’ancien directeur général de BP Plc, Tony Hayward.
En 2019, Glencore a fait face à un chapelet de contre-performances. Son bénéfice net a chuté de 92% par rapport à la même période en juin 2018, pour se chiffrer à US$ 226 millions au premier semestre de 2019. Les résultats du groupe ont pâti de la chute du prix du cobalt. De mars 2018 à octobre 2019, les prix du cobalt sont passés de US$ 94.500/la tonne à US$ 26 000/la tonne. Un bilan alourdi par les taxes supplémentaires imposées par le nouveau code minier promulgué en mars 2018. Le groupe évoque ses résultats en baisse pour justifier la fermeture de l’exploitation de sa mine à ciel ouvert de Mutanda, premier site au monde d’exploitation du cuivre et de cobalt, situé à Kolwezi.
Déterminé à aborder 2020 sous de meilleurs auspices, Glasenberg s’est engagé à réduire encore le ratio de l’endettement net de Glencore sur l’Ebitda (en français, BAIIDA, bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement). Le multi-milliardaire sud-africain, australien et suisse, prévoit également de générer près de US$ 4,4 milliards de cash-flow libre en 2019.
Est-ce suite à ces déboires que le géant zougois cité dans moult scandales au Congo notamment, décide de changer son fusil d’épaule dans son «meilleur pays»? Voici dix ans qu’il s’est installé par effraction au Congo et, jamais, il n’a ouvert la bouche. Or, le conglomérat a organisé sa «première journée d’échange au Congo» pompeusement appelée «événement d’engagement avec les parties prenantes». Quelle mouche a piqué l’arrogant?
Mardi 10 décembre 2019, au Salon Rouge du Fleuve Congo Hôtel by Blazon Hotel, il a dépêché, depuis sa base de Kolwezi, capitale de Lualaba, une armée de ses patrons : Mark Davis, responsable des actifs industriels Glencore Copper Africa, président de Glencore DRC et Directeur général de Kamoto Copper Company, KCC; Gustave Nzeng, président du Conseil d’administration de Kamoto Copper Company SA, KCC; Pacide Nkala, Directeur général adjoint de Kamoto Copper Company SA, KCC; Eric Best, Directeur général Mutanda Mining Sarl, MUMI; Mme Devra Watson, HSE GM, Kamoto Copper Company SA, KCC; Roger Dancause, Glenvore Copper Africa HSEC; Mme Marie-Chantal Kaninda, Executive Director & Head of Corporate Affairs Glencore DRC, etc.
Au programme, outre un mot de bienvenue et de clôture de la nouvelle Executive Director & Head of Corporate Affairs d’origine congolaise nommée le 2 septembre, quatre moments : présentation des opérations Glencore DRC, impact sur les communautés locales, animée par les quatre premiers; présentation du HSEC/Sustainability animée par les deux derniers; présentation du projet Inga par Gustave Nzeng; enfin, des questions et des réponses. Puis, petit verre... d’amitié.
On a entendu du président de Glencore DRC, directeur général de KCC expliquer la vision de Glencore au Congo : «Notre vision est de transformer le KCC en une mine responsable pour l’amélioration des conditions de vie des Congolais. Déjà, le KCC travaille pour l’amélioration et aimerait mettre en place une production du cuivre à long terme». Avant d’ajouter que le groupe envisage de renforcer son engagement comme entreprise dans notre pays. Pour lui, il est impérieux pour son entreprise de travailler de connivence avec le Gouvernement et le peuple congolais, «d’unir nos efforts» dès lors que le cuivre et le cobalt sont des «minerais importants qui doivent être exploités de manière responsable de sorte à éviter des scénarios catastrophiques».
Vision? Etablir des opérations minières dans le monde, montrer qu’une entreprise du Top 3 Mondial peut développer le secteur minier de la RDC. Il y a de ce fait, des projets de 5 à 6 mois élaborés pour attirer des investisseurs, créer des conditions de travail appropriées pour développer l’industrie minière au Congo. «C’est important que nous travaillons ensemble avec l’industrie afin de connaître et de comprendre ce qui est faisable à son niveau».

GLENCORE RECRUTE MARIE-CHANTAL KANINDA.
Si la nouvelle recrue Marie-Chantal Kaninda, venue à Glencore après plus de deux ans à la direction du WDC, le Conseil mondial du diamant, exprime sa joie après cet échange «qui a permis à Glencore d’entendre les desideratas de ses partenaires», le but était, souligne-t-elle, «une première communication de la part de Glencore RDC et qui dit communication, dit faire passer un message et entendre les questions et les préoccupations des autres; nous avons entendu et le dialogue continue».
Elle ne s’en lave pas moins les mains: «Je suis là depuis le 1er septembre 2019. Certes, on a changé la manière de procéder. Effectivement, il y aura d’autres forums d’échange comme celui-ci...».
Si un projet Inga a été présenté (un Partenariat Public-Privé devant produire une énergie de qualité qui implique la réhabilitation et la modernisation des infrastructures de transport sur une distance de 1800 km, du Kongo Central à Kolwezi, US$ 472 millions), les explications sur les conditions infrahumaines dans les mines de Lualaba où le personnel reste dans les mines de 6 à 18 h 00’, n’ont convaincu personne. «Nous travaillons en respectant les normes internationales. Nous prévenons les accidents sur le lieu de travail 24 heures sur 24. En 2013-2014, nous avons lancé une campagne en rapport avec ceux qui travaillent dans les sites miniers, en mettant en place un programme en vue d’éviter à ce que le personnel soit blessé sur le lieu de travail», s’essaie Francesca Santinelli, le responsable RSE.
La multinationale mise-t-elle sur la venue de Mme Kaninda pour changer une image désastreuse dans le monde? En quatre mois, celle qui a travaillé à empêcher, sur le marché mondial, le négoce de diamants des mouvements rebelles pour financer des activités paramilitaires, a noué des liens aux Nations unies, au Département d’Etat, au Conseil européen, à l’Union africaine, à l’OCDE, à l’African Belgium Business Week (ABBW) dont elle a été présidente d’honneur lors des deux dernières éditions, semble vouloir marquer son territoire dans un pays producteur de 60% du cobalt mondial et dispose de 50% des réserves du minerais. Après plus de deux décennies chez des géants De Beers, Anglogold Ashanti et Rio Tinto, cette Congolaise qui apparaît en 2019 dans le palmarès Forbes des 100 femmes les plus influentes, sera, sans aucun doute, de grande utilité.
DEBORAH MANGILI.


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