- jeu, 05/12/2019 - 03:48
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1474|JEUDI 5 DECEMBRE 2019.
MATADI.
Envoyé Spécial.
C’est une crise sans précédent qui a lieu au Kongo Central. Le gouverneur Atou Matubuana réhabilité dans ses fonctions par l’autorité territoriale nationale est immédiatement contesté par le président de l’Assemblée provinciale Matusila Malungeni lui-même accusé d’irrégularités, est contesté par des élus et, plus grave, par trois des cinq membres de son bureau. L’affaire du sextape est l’arbre qui cache la forêt. C’est Kinshasa qui tient les clés d’une énigme sur fond de contestation de leadership quand deux camps opposés et décidés s’affrontent, que des élus réclament à haute et intelligible voix la partition d’une province qui a connu dans un passé récent, des mouvements messianiques entraînant des morts. Faut-il ajouter que la ministre du Genre a remis sa démission et que dans la Capitale, le chef de la Territoriale a été pris à partie par des élus nationaux.
Rien ne va plus au Kongo Central. Si à Kinshasa, le gouverneur Atou Matubuana Nkuluki a été réhabilité par le chef de la Territoriale, un groupe d’élus appuyé dans la Capitale par la plate-forme au pouvoir FCC, n’en veut pas. Une plénière convoquée mercredi 4 décembre à Matadi a failli tourner à la tragédie. Ayant à l’ordre du jour examen d’une motion de défiance contre Atou, de même que celui de déchéance du président du bureau Pierre Anatole Matusila Malungeni, elle s’est terminée en queue de poisson suite à la confusion dans l’hémicycle. Voulant comprendre et certainement, en l’espèce, être mieux compris, le Vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, Sécurité et Affaires coutumiers, Gilbert Kankonde a convoqué à Kinshasa, «toutes affaires cessantes» (...) «pour consultation» les principaux protagonistes, le gouverneur et le président de l’Assemblée provinciale. Matusila devra être accompagné des quatre de ses collègues du bureau. Trois des membres du bureau ne partagent plus, en l’espèce, ses positions et l’ont fait savoir. Le Kongo Central est plongé dans le chaos depuis la diffusion du sextape Mimi alors que deux camps s’affrontent et des voix réclament la partition de la province.
Tension extrême au Kongo Central. A Matadi, nul ne se résout à parler. Pierre-Anatole Matusila Malungeni Ne Kongo, le Président de l’institution parlementaire locale, se terre...
Quand un envoyé du «Soft International» arrivé la veille, cherche à l’interroger dans son cabinet sur la situation trouble que vit la province, le médecin répond qu’il ne peut parler, invoque la tradition séculaire Ne Kongo qui veut que quand il y a problème en famille, on garde silence jusqu’à l’éclaircie. Espérant «le problème» se régler «vite», Matusila jure, devant un collaborateur, de se confier en primeur à un «grand journal du pays» qu’il connaît...
LA MORT N’EFFACE RIEN.
Quel «problème»? Quand espérer une éclaircie? Motus et bouche cousue pour l’opposant qui, en 2006, eût le toupet d’annoncer contre Kabila sa candidature à la présidentielle mais s’affaissa à sa première sortie en public, au bas de son micro, mitraillé par une crise inconnue...
Le médecin fut évacué dans une ambiance de tragédie vers un centre médical. Il ne communiqua pas sur cette attaque perpétrée à la Place YMCA, là d’où partit le mouvement de l’Indépendance avec à la tête le Ne Kongo «Mbuta Muntu Kasavubu». Pour Matusila, le débat électoral et politique avait pris fin.
Elu plus tard député de Madimba - pays Bantandu - dont la ville phare est Kisantu, l’homme qui revendique l’héritage de Kasavubu au point d’avoir tenté de ressusciter son parti ABAKO, l’Alliance des Bakongo, est porté le 11 mars 2019 à la tête de l’Assemblée provinciale quand l’opinion clivante lui conteste tout. Au moins, Matusila sait-il que cette province aux quatre ethnies clés - les Ntandu, les Ndimbu, les Nianga, les Yombe - très ancrées chacune dans ses traditions séculaires et son histoire glorieuse, est prête à lui déclarer une guerre de cent ans...
Voilà la province qui s’est liguée contre son gouverneur Jacques Mbadu Nsitu plusieurs fois à la tête de l’ex-Bas-Zaïre dont le corps n’a pu être rapatrié, la population lui a refusé une dernière sépulture chez lui à Boma où il a érigé un palais royal ou, mieux, à Tshela où il trouve ses origines Yombe.
Dans le pays Ne Kongo, la mort n’efface rien...
Le gouverneur foudroyé à Kinshasa dans la journée de 19 juillet 2018, à l’approche du Palais du Peuple où il se rendait à bord de son tout-terrain Toyota pris en charge par une escorte de véhicules, pour un événement politique majeur - Kabila allait parler à la Nation dans l’une de ses rares adresses - fut admis aux soins intensifs à l’Hôpital du Cinquantenaire tout proche. Il n’ouvrira plus l’œil... Mais la nouvelle de décès de celui qui défia son propre parti politique PPRD en se présentant en indépendant à l’élection de gouverneur avant de s’en rapprocher, fut fêtée comme un jour de libération dans les villes, cités et villages du Kongo Central. Le roi est mort... Vive le roi, son successeur Atou Matubuana Nkuluki, un ancien du parti ARC, qui fut longtemps son vice-gouverneur passé au parti PPRD (présidentiel) avant d’être élu gouverneur et d’adhérer à la plate-forme (présidentielle) FCC, est cité dans un sextape. Il aurait piégé son vice-gouverneur quand dans une déclaration, le FCC s’empresse de lui retirer la confiance et réclame sa démission ou son éviction par le Président de la République. Son mal : avoir défié et battu (26 contre 12) le candidat officiel PPRD-FCC, un autre ex-gouverneur Yombe, Simon Mbatsi Mbatsia... Depuis, Atou s’est jeté dans la forêt voulant organiser une résistance féroce...
FOUDROYE.
S’il se trouve des députés pour réclamer sa destitution, au vote, une majorité d’élus (21 contre 19) lui reste fidèle, mettant, à une délégation politicienne kinoise peu au courant dépêchée la veille, une raclée d’indépendance toute Ne Kongo. Mais voilà que l’anti-Atou président de l’Assemblée provinciale est aux cordes. Une motion de défiance s’apprête à le déchoir. Un ténor de la vie politique nationale, le député de Kasangulu passé à la province, est bon pour le service. Son propre frère Muntandu Jean-Claude Vuemba Luzamba proche du richissime ex-gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe. Mais voilà qu’alors que Vuemba s’apprête à monter dans sa voiture pour aller prendre le marteau de la chambre parlementaire, ses belles pompes italiennes retiennent ses pieds. Foudroyé! Un sabot de Denver cloue au sol ce député au verbe haut...
Ses collègues l’attendent en vain. Sur les réseaux sociaux, la nouvelle devient virale.
Dans un état critique, Vuemba a quitté Matadi et sa cité Kasangulu.
Admis aux soins intensifs dans un établissement hospitalier de la Capitale, il passe d’un hôpital à un autre et reçoit des «vieux potes». L’un d’eux lui glisse une petite enveloppe «inespérée et très appréciée» qui l’aide à payer la facture de l’hôpital. Depuis, ses médecins lui ont prescrit un repos complet et ont conseillé un centre de retraite où, surveillé nuit et jour par son éternel cuisinier, les visites sont filtrées.
Les ancêtres qui l’ont préservé à YMCA ont sauvé Matusila. En attendant ceux de Vuemba?
Des mystérieux accidents qui rendent prudents l’élite locale qui n’ose pas s’exprimer publiquement sur le chaos que vit la province. Même Atou toujours gouverneur qui a des soutiens appuyés à Kinshasa, reste introuvable - son téléphone sonne aux abonnés absents, il a changé de carte SIM - quand tout le monde dit qu’il est présent au Kongo Central. Là où, un jour, l’élite fédérée fit la différence. Contrairement à ce qui se passa ailleurs, lors de l’opération démembrement du pays, l’ex-Bas Zaïre décidait de maintenir indivisible «le patrimoine légué par Mbuta Muntu Kasavubu» alors que partout, les élites dépeçaient leurs territoires pour qu’un maroquin revienne à chacun au sein de la tribu rassemblée.
Si le Kivu ne put poursuivre son dépeçage, le Kasaï fut le grand déménagement (six provinces) suivi par trois autres provinces démembrées chacune en cinq provinces mais le Bandundu moins gourmand prit l’option d’aller à trois (Kwilu, Kwango, Maïndombe).
Le Kongo Central rattrapé par ses démons? Obnubilée par le désir d’administrer une leçon de cohésion aux autres provinces, celle qui se vante d’avoir été la première à être au contact avec la civilisation occidentale veut avancer.
A Matadi, ceux qui ont le plus dirigé la province sont les Yombe (peuple à l’extrême est entre les deux rives et proche du Congo Brazzaville), l’ethnie du premier président du Congo, Kasavubu toujours majoritaire au Sénat avec trois sur quatre membres. Mais au Gouvernement national, pas un Yombe quand dans le passé, «ils régnaient en maîtres», accuse un ténor d’ailleurs. Inacceptable au Bas-Fleuve.
La gestion des ambitions est-il l’arbre qui cache la forêt?
RATTRAPEE?
L’arrivée d’un homme du centre, Ndimbu de Mbanza Ngungu, Atou Matubuana Nkuluki, ne fut tolérée que lorsqu’il forma un ticket avec un jeune Yombe Justin Luemba qu’il voulut sacrifier par le sextape de sa secrétaire Mimi Mathy Muyita... Si, ensemble, le Ntandu et le Yombe ont présenté leurs excuses, certains ont la rancune dure. Certes, le Ntandu Vuemba a rejoint le Ndimbu Atou de Mbanza Ngungu mais a été foudroyé quand il voulut reprendre la main au Ntandu Matu... de Mbanza Ngungu
L’entrée en scène de ce Ntandu de Kinvula est-il un appui à un ticket consensuel porté par un Ndimbu géographiquement proche? Son accident - l’enflement de ses pieds au moment où il s’apprête à arracher le marteau de son frère Ntandu Pierre-Anatole Matusila Malungeni Ne Kongo de Mbanza Ngungu
- est-il compris, dans un pays où le fétiche et la sorcellerie sont rois, comme un message subliminal d’outre-tombe?
Nul doute, le Kongo Central se dirige vers la partition. Trois provinces sur le papier. L’Embouchure (pays Yombe, capitale Boma avec Lukula, Seke Banza, Tshela); les Cataractes (pays Ndimbu capitale Matadi avec Luozi, Mbanza Ngungu, Songololo), la Lukaya (pays Ntandu avec capitale Kisantu avec Madimba, Kasangulu et Kinvula).
Si Matusila, Vuemba et un certain Kikoka iraient à la Lukaya, Gilbert Kiakwama, Jacques Lungwana, Déo Nkusu, Ne Muanda Nsemi et Atou se retrouveront dans les Cataractes quand les Yombe se voient dans la nouvelle province de l’Embouchure avec deux villes Muanda et Boma. Là où se retrouveraient l’éternel candidat malheureux Mbatsi Mbatsia, l’opposant extrême Puela et... un certain élu local Fuani qui, ces temps-ci, a la cote...
T. MATOTU.