L'insubmersible Kamerhe avait engagé la guerre d'une vie
  • jeu, 02/05/2024 - 14:23

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1606|MERCREDI 24 AVRIL 2024.

Il se fait appeler «l'attaquant de base et de pointe».

Kamerhe a arraché le perchoir face à deux prétendants, Christophe Mboso N'kodia Pwanga et Modeste Bahati Lukwebo qui venaient de présider chacun l'une des chambres législatives. Le Président de la République n'aurait pas voulu imposer un homme. Il avait suggérer que les Députés membres de la majorité présidentielle les départagent.

« Le Présidium de l’Union sacrée de la nation me charge, comme responsable de la première force politique de la coalition majoritaire, d’inviter les députés nationaux de la Majorité pour l’élection primaire en vue de la désignation d’un seul candidat au poste de président de l’Assemblée nationale », a écrit dans le communiqué d’Augustin Kabuya Tshilumba, membre du Présidium et Secrétaire général de l’UDPS, Union pour la démocratie et le progrès social, parti présidentiel.

«Ladite rencontre élective aura lieu ce mardi 23 avril 2024», a-t-il précisé. Il avait fallu deux jours de concertations, samedi et dimanche, autour du Chef de État Félix Tshisekedi, pour que l’Union Sacrée de la Nation, USN, lève l’option d’organiser des primaires pour désigner le futur président de la Chambre basse du Parlement », a expliqué à l’Agence Congo Presse un membre de l’USN. Les députés sont invités, au siège du Parlement, à départager les « concurrents » : Modeste Bahati Lukwebo, Christophe Mboso N'Kodia Pwanga, Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi.

« Cette procédure est mise en place pour éviter les frustrations et l’arbitrage du Chef de l’État qui s’apparente dans ces circonstances comme de la dictature », a réagi un conseiller politique du président Tshisekedi. La mise en place du bureau de l’Assemblée nationale tarde à cause des ambitions des acteurs politiques de la majorité qui tiennent à tout prix à occuper ce poste.

Les élections de décembre 2023 avaient donné le camp du président Tshisekedi vainqueur aux législatives. Les partisans du président avaient raflé plus de 450 sièges. Aucun parti ni regroupement politique inscrit à la CÉNI n’a pu réunir la majorité de 251 députés à l’issue des législatives de 2023, au regard des résultats définitifs publiés par la Cour constitutionnel. Néanmoins, la coalition de l’Union Sacrée du président élu Félix Tshisekedi est largement majoritaire avec plus de 400 députés. En termes de poids politique au sein de la nouvelle Assemblée nationale, l’UDPS-Tshisekedi vient en tête avec 69 députés.

Conformément aux textes, la présidence de l’Assemblée nationale de la quatrième législature devait revenir au parti présidentiel, selon un analyste politique qui a requis l’anonymat. « Dans la présente désignation issue des primaires, l’UDPS a cédé le poste par commodité politique, démontrant par là son long combat pour le partage des responsabilités», a-t-il fait remarquer.

Résultat des courses: Bahati : 69 voix, Mboso : 109, Kamerhe : 181. Plus de débat. L'insubmersible Kamerhe appelé aussi VK.

Extraits : Tryphon Kin-kiey Mulumba, Une Histoire du Congo, de Mobutu à Tshisekedi.

Il avait tout, il suffisait de…
J’ai rencontré Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi Nkingi pour la première fois en 2002 à Sun City. Dans cette magnifique cité touristique d’Afrique du Sud se tient le Dialogue inter-congolais. Kamerhe, un homme de contacts et de réseaux. Un homme captivant. Un vrai séducteur.

L’assassinat à Kinshasa le 16 janvier 2001 du président Laurent-Désiré Kabila change tout au Congo. (...)
Commandant en chef de l’armée de terre, son fils, Joseph, âgé de trente ans, est choisi pour succéder à son père. Les proches du défunt le présentent comme le seul homme à même d’assurer le consensus et de trouver le compromis.
Joseph Kabila annonce des mesures qui vont dans le sens de ce qu’attend l’Occident rejoint par la sous-région : libéralisation de la circulation des devises, loi sur les investissements, abolition des prérogatives de la très redoutée Cour d’ordre militaire dans le domaine des affaires civiles, libre fonctionnement des partis politiques, ouverture du dialogue inter-congolais avec la levée des obstacles à la mission de l’ancien président botswanais Ketumile Masire désigné médiateur par l’Union Africaine, etc. (...).

À ce dialogue, le professeur Guillaume Samba Kaputo, docteur en science politique qui, sous Mobutu, a été plusieurs fois gouverneur dans plusieurs provinces et ministre, passe pour le plus qualifié des Katangais qui entourent le jeune président.

Il forme avec Kamerhe, un duo de rêve à la tête de la délégation gouvernementale. Samba Kaputo est conseiller spécial du président en matière de sécurité. Commissaire général adjoint du gouvernement chargé des relations avec la mission onusienne MONUC, puis commissaire général du gouvernement chargé du suivi du processus de paix dans la région des Grands lacs, Kamerhe est dans son rôle à Sun City. Il se fait appeler « l’attaquant de base et de pointe » pour sa virulence contre une délégation de la rébellion du RCD-Goma déplorable. (...).

Kamerhe qui a, depuis, pris le nom de «Le pacificateur», est à l’œuvre même si certains lui refusent cette appellation. Lui qui, pour être, pour rester, pour perdurer, a nargué tout. Lui qui a livré les batailles les plus féroces.
Même contre ce Rwanda, pays qu’il connaît le mieux, dont il se dit le plus proche, dont il parle la langue, qu’il a retrouvé le 13 mars 2019 après la victoire à la présidentielle de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Lui qui est revenu à Kigali le 26 mars 2019 aux côtés du Président de la République. Toujours avec la même chaleur.

Augustin Katumba Mwanke avait prédit un destin funeste à Kamerhe. Un destin qui paraît tant hanter cet homme.
Samedi 20 juin 2020, à la chambre foraine de la prison centrale de Makala, un jugement est tombé : vingt ans de travaux forcés, dix ans de non-éligibilité après l’accomplissement de la première peine. Au total : une peine de trente ans. Outre la confiscation des fonds et des biens meubles... Une catastrophe ! Comment cet homme en est-il arrivé là, lui qui a tout été, a fait tant rêver ? Comment en est-il arrivé à cet exploit ? Il y a certainement une opinion pour contester le verdict, croire à un procès politique.

Augustin Katumba Mwanke avait eu l’honneur, me dit-il, de me recevoir en tête-à-tête deux fois. Deux jours d’affilée. Une première fois à son minuscule bureau officiel de deux bâtiments qui furent des salles de classe désaffectées d’une concession privée de Procoki cédée à l’AMP, l’Alliance de la Majorité Présidentielle. Quatre heures durant. Une seconde fois, le lendemain, à quelques encablures de Procoki, à nouveau quatre heures durant, dans une autre minuscule pièce qui lui servait de bureau dans une petite bâtisse contiguë de son habitation, non loin de la Jewels International School of Kinshasa, l’école indienne de Kinshasa.
La première fois, le tout puissant « Vice-président de la République » sinon «le Président de la République en personne» - comme l’appellent les chancelleries - vissé dans un fauteuil quelconque, fond en larmes quand il évoque la mort de Guillaume Samba Kaputo en août 2007. Une mort survenue en Afrique du Sud, officiellement, des suites d’un arrêt cardiaque. Puis, il m’annonce sa décision de quitter son poste de Secrétaire exécutif de la Majorité Présidentielle.

« Je n’en peux plus avec ces traîtres » qui siègent au Bureau politique de l’AMP, me dit cet homme trop puissant mais aussi trop détesté au point où quand il perd la vie, en février 2012, dans un mystérieux crash aérien survenu à l’atterrissage du jet privé, sur la piste de Kavumu, à Bukavu, au Sud-Kivu, à bord duquel il avait pris place, ses amis ne veulent pas laisser son corps passer une nuit à Kinshasa. (...).
Le jour de la rencontre dans la concession de Procoki, Katumba Mwanke m’explique que la politique ç’en était fini pour lui. Que désormais, il avait décidé de consacrer sa vie à protéger « le Chef, le Raïs ». Il ne voulait plus se mêler des hommes politiques (...).

Pendant des tours de passe-passe, Kamerhe qui avait co-présidé la délégation gouvernementale à Sun City, avait dû se retrouver de justesse dans ce partage contraint de se contenter d’un maroquin de bas niveau, le ministère de l’Information et de la Presse qu’un ancien journaliste de radio résidant en Afrique du Sud, Barnabé Kikaya Karubi, avait sportivement accepté de céder. (...).

Je l’écoutais longuement, longtemps, sans réagir sauf pour dire à cet homme de petite taille, physiquement frêle, qui s’asseyait sur la dernière rangée de l’hémicycle, que nombre de ses collègues à l’Assemblée nationale ne connaissaient pas tellement qu’il n’avait jamais pris la parole une seule fois, et qui n’attire pas de regard quand il est dans les travées, que s’il voulait «vraiment protéger le Président», il n’avait pas à quitter son poste de Secrétaire général du Bureau politique de la Majorité Présidentielle, une structure qui enferme de grosses pointures susceptibles de faire mal.
Au contraire, il devait garder ce poste, travailler en interne à changer ceux qui y siègent, faire bouger les lignes de sympathie auprès de ce cercle et auprès des Congolais qui ne connaissaient pas son Chef.

Katumba Mwanke ne m’avait pas entendu. Il ne se passa pas une semaine qu’il officialisait son départ. L’annonce en fut faite un jour de décembre 2009 par son adjoint, un homme aux ordres, un Mobutiste repenti, Louis Alphonse Koyagialo Ngbase te Gerengbo qu’il désignait à sa succession mais dont l’avenir politique sera trop étrangement bref. (...).

Co-fondateur du parti présidentiel PPRD dont il fut le premier Secrétaire général de l’histoire, Kabila lui confie en 2006 la direction de sa campagne présidentielle. Au lendemain du triomphe électoral, Kamerhe se voit tout refuser mais parvient à enlever la présidence de l’Assemblée nationale par un vote massif des députés du PPRD et des opposants.

Poussé à la porte de sortie trois ans plus tard par ses camarades du PPRD pour avoir critiqué l’appel fait par Kabila aux troupes rwandaises de venir au Congo se battre aux côtés des forces loyalistes contre des mouvements armés, Kamerhe se maintient à son poste trois mois durant mais doit abandonner son marteau quand ses co-équipiers s’éloignent de lui et démissionnent en bloc. S’il broie du noir, Kamerhe organise son rebond. Il crée une année plus tard en décembre 2010 son propre parti politique, UNC, l’Union pour la Nation Congolaise, avant de se porter candidat à la Présidentielle du 28 novembre 2011. Les chiffres officiels de la Commission électorale nationale indépendante lui accordent 7,74 % des voix. Résultat dont il est fier. (...).

Quand le régime Kabila fait face à une crise politique sans précédent et prépare un « glissement » de mandat, Kamerhe prend la tête d’un groupe de personnalités de l’opposition qui participe en septembre et en octobre 2016 à un énième dialogue, celui de la Cité de l’Union Africaine boycotté par toutes les têtes couronnées de l’opposition occupées à une grande rencontre qui ouvre ses travaux en juin 2016 à Genval dans une banlieue cossue de Bruxelles.

Kamerhe s’était laissé convaincre par le médiateur de l’Union Africaine, le Togolais Edem Kodjo que Kabila lui donnerait la direction du Gouvernement qui en sera issu mais ce poste va à l’un des membres de sa délégation.
Le 17 novembre 2016, l’ex-UDPS Samy Badibanga Ntita a été nommé Premier ministre contre toute attente. Kamerhe est effondré. Littéralement !

Mais la crise perdure et, face à son ampleur, les évêques catholiques ayant activement saisi la rue, réclament un plus large consensus... Très fortement contesté par l’opposition, Kamerhe monte néanmoins en puissance, rallie le dialogue des ecclésiastiques.

Le dialogue du Centre inter-diocésain qu’a rejoint le Rassemblement de Genval qui donne lieu à l’Accord de la Saint-Sylvestre. Mais, à nouveau, le 18 mai 2017, Kamerhe loupe la primature. (...).
La forteresse ne s’ouvre pas pour Kamerhe même s’il entretient de bonnes relations avec des membres de la famille biologique du président.

Mais qui a dit que les carottes peuvent être cuites? Certes, les carottes peuvent être cuites, elles ne le sont néanmoins pas pour tout le monde. En tout cas pas pour des acteurs de trempe.
Car voilà qu’une présidentielle se prépare fiévreusement et que tous «aujourd’hui plus que jamais», font bloc contre Kabila. Fayulu, Bemba sorti de prison à La Haye, Katumbi Chapwe, etc. Ces deux derniers interdits de course par une CÉNI aux ordres. Katumbi fut très proche de Katumba. Il n’a pas oublié Kamerhe.

Cet « étranger » - venu de Kinshasa - qui, dans la ville de Lubumbashi où Katumbi est un monarque absolu, ose l’affronter publiquement et l’humilier sur ses terres ! Président de l’Assemblée nationale élu fin décembre 2006 et qui doit encore faire ses preuves, Kamerhe atterrit sur la piste de la capitale cuprifère. Il a été désigné pour représenter le Président de la République aux festivités de l’indépendance le 30 juin 2007.

Ce Kamerhe - du lointain Kivu - estime qu’il lui revient à lui et à lui seul, à son titre de représentant personnel du Président de la République, non de se précipiter à aller s’asseoir à la tribune d’honneur, mais de passer les troupes en revue, d’être accueilli par le gouverneur au pied de la tribune au terme de ce passage des troupes. Un air déjà de Président... avant l’heure !

Le roi du Katanga oppose un refus catégorique.
Le début des cérémonies attendra tant que l’accord n’aura pas été trouvé entre les deux hommes. Le roi reste dans son palais, attendant un règlement de la crise. Spécialiste de la parade, Kamerhe s’éloigne. Il fait intervenir le Président de la République. Des députés de la délégation, avec Augustin Katumba Mwanke qui fut gouverneur ici sous Mzee, assistent incrédules à la bagarre. Quand Moïse apparaît, debout, dans la limousine réhabilitée ayant appartenu autrefois à l’autre roi du Katanga, l’autre Moïse (Tshombe), nul ne sait comment l’affaire s’est négociée.

Dans la course pour cette présidentielle de novembre 2018, Kamerhe a réussi un autre exploit : se faire adouber aux diverses rencontres anti-Kabila qui recherchent, sous une médiation internationale, un candidat commun susceptible d’affronter avec succès le dauphin de Kabila, les pays de la région, reprenant des thèses occidentales (l’Amérique de Trump veille, elle, qui a fait venir à Kinshasa sa représentante aux Nations Unies Nikki Halley revêtue d’un titre d’envoyée spéciale de Trump avec un message sans équivoque) ont juré de ne plus voir Kabila tenter de se succéder à lui-même.

L’initiative qui consiste à faire barrage à Kabila ou à l’un des siens, est menée par un team d’organisations sud-africaines qui, soudain, se trouve en rupture de fonds. Qu’importe !

D’autres milieux anti-Kabila - le collectif des miniers très décidés - prennent la relève, mettent la main à la poche et, début novembre 2018, la rencontre de Genève a lieu. Attiré dans les filets, Kamerhe n’est pas au bout de ses peines.

Le séducteur hors pair n’a vu venir aucun coup quand il lui est assuré que c’est lui et lui seul qui serait désigné candidat commun. Par un curieux vote - en l’espèce, tout sauf un mode de sortie de crise - ce candidat sera l’homme le plus faible du groupe, Martin Fayulu Madidi qui a promis que s’il était élu Président, il organiserait des nouvelles élections dans les deux ans de son pouvoir et s’en irait. Pour remettre à ses mentors que la CÉNI a, à tort ou à raison, invalidés !

Plébiscité président du Rassemblement après le décès de son père, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui aurait dû logiquement lever cette candidature commune, a aussi été roulé dans la farine.
Colère et deuil parmi ses proches qui n’avaient jamais envisagé une autre candidature que la sienne et qui annoncent, bien avant que la nuit ne tombe, ce même 11 novembre 2018, le retrait de la rencontre et, aussi incroyable que cela, Kamerhe qui a senti le vent souffler, l’a rejoint. La donne a changé.

Ainsi naît, le 23 novembre, à Nairobi, sous l’égide du président kenyan Uhuru Kenyatta, la plate-forme électorale CACH, Cap pour le Changement, que consolident à Kinshasa, des personnalités clés et qui va porter Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo au pouvoir. (...).

Ce CACH légitimé qui a porté le fils du Sphinx au pouvoir et dont le nom revient de temps à temps dans certaines bouches, qui n’a pu vraiment exister, est l’ombre de lui-même. Voyant l’arrivée d’hommes pouvant l’effacer de ce cercle, faut-il s’assurer qu’on est seul face au Président expliquant que cela est mieux ainsi ? (...).

Il peut compter sur l’Est, les Sud et Nord Kivu comme sur une armée numérique faite d’Amazones acquises voire aller à l’étranger où il compte des amis Chefs d’État et vante une amitié (...).

Tryphon Kin-kiey Mulumba,
Une Histoire du Congo, de Mobutu à Tshisekedi.


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