L’attente
  • ven, 18/10/2013 - 08:41

Le pouvoir est un exercice obstinément solitaire.
Les grands hommes ont toujours pris le temps de tout mûrir avant de lever les options. C’est le secret de leur longévité et de leur passage à la postérité.

Avec la clôture samedi 5 octobre des Concertations nationales qu’il a initiées et ouvertes samedi 7 septembre, le Président de la République a recouvré la plénitude de sa légitimité internationale. Critiquées par une portion de l’opposition tshisekediste-kamerhiste qui les a séchées, les Concertations ont été clôturées officiellement dans la Capitale devant les yeux du monde, à savoir, le Conseil de sécurité des Nations Unies dont les ambassadeurs au grand complet se trouvaient opportunément en visite à Kinshasa dans le cadre de la recherche des voies de sortie de la crise récurrente des Grands lacs.
Si la question de leur contribution au règlement de cette crise s’est posée et continue de se poser et, de là, pose la question de leur justification réelle, on comprend la valse-hésitation qui s’observe au pays et dans la Communauté internationale à tourner la page de cette crise et, du coup, la poursuite du ballet diplomatique de Kampala aux dépens de ce que souhaiteraient des pans entiers de notre société. C’est signe que le travail est loin d’être terminé.
Si les Chefs d’état des pays membres de la CIRGL (Conférence Internationale des pays de la Région des Grands lacs) ont sommé les négociateurs de la capitale ougandaise (délégation gouvernementale et rebelles du M23) à conclure endéans 14 jours leurs pourparlers, cela fait près d’un mois que plus personne ne se souvient de cette sommation alors que les nerfs sont à vif.
A Kinshasa, l’un des deux membres du présidium, le président du Sénat Léon Kengo wa Dondo (opposition) avait fait une annonce surprise alors que l’initiative présidentielle des Concertations était diversement appréciée à l’interne. La fin des Concertations allait voir se mettre en place un Gouvernement d’Union nationale, avait-il prévenu sans que la majorité n’ait confirmé ni infirmé le propos.

Prendre son mal en patience.
Le 5 octobre, clôturant les travaux de ce forum en se faisant remettre le rapport général ainsi que les rapports des groupes thématiques, le Chef de l’état a, dans un bref message, annoncé qu’il allait convoquer, dans les touts prochains jours, l’Assemblée nationale et le Sénat en Congrès et annoncer «des mesures importantes».
«A brève échéance, je convoquerai les deux Chambres du Parlement en Congrès, afin de rendre compte à la Nation des conclusions et recommandations des Concertations nationales. à cette occasion, des mesures importantes seront annoncées pour y donner suite, répondre aux préoccupations légitimes des délégués, et par-delà à celles de notre peuple, et imprimer un nouvel élan à l’œuvre de reconstruction nationale», avait déclaré mot à mot le Chef de l’état couvert par des pétarades.
Bientôt un mois après cette annonce présidentielle, ce Congrès aura lieu ou pas?
Tentative de décryptage.
Poser cette question revient à envisager l’hypothèse que les deux Chambres parlementaires pourraient ne pas se réunir et ne pas connaître cette matière des Concertations nationales. Cela n’aurait aucun sens. Le Chef de l’état ne saurait avoir fait une annonce, sans tenir parole et méconnaître son ordonnance (n°13/078 du 26 juin 2013, art. 12 qui stipule: «à l’issue de leurs travaux, les Délégués aux Concertations nationales remettent au Président de la République, par le Présidium, les conclusions auxquelles ils ont abouti, assorties des recommandations formulées (...). Le Président de la République rend compte desdites conclusions et recommandations à la Nation devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, en présence des Chefs des corps constitués et des Invités»).
La question consiste de savoir quand les deux présidents des Chambres par ailleurs membres du présidium des Concertations, fixeraient cette session de Congrès car il leur appartient en effet de convoquer cette séance même si on ne peut imaginer qu’ils le fassent sans avoir tenu compte de l’agenda du Chef de l’état, ni de celui des invités dont il est question dans l’ordonnance n°13/078 du 26 juin 2013.
On sait que lors de son précédent mandat, le président de la République avait résolu de s’adresser aux deux Chambres réunies en Congrès en période de session afin d’éviter une session extraordinaire et de le faire le 6 décembre, jour anniversaire et - oh combien symbolique - de prestation de son serment constitutionnel.
Pour son actuel mandat, bien que rien ne l’y oblige, il aurait peut-être pu respecter cette tradition qu’il avait lui-même souverainement instaurée si sa prestation de serment après sa réélection du 28 novembre 2011 avait eu lieu le 6 décembre 2011 ou en période de session parlementaire.
Or, celle-ci a eu lieu le 20 décembre 2011, soit en dehors de la période de session parlementaire. Et, pour son premier message à la Nation de septennat en cours, le Président de la République choisit la date du 15 décembre 2012, soit le tout dernier jour de session - certainement toujours dans son souci d’éviter une session extraordinaire - et au cours duquel il annonça son initiative des Concertations.
La question est désormais de savoir si le Président de la République qui n’a pas encore pour 2013 adressé son message au Congrès sur l’état de la Nation, attendra de respecter cette logique implacable instaurée lors de son précédent mandat en choisissant de le faire à la même date tout au long de son mandat? Si c’est le cas, il faudra attendre le 15 décembre 2013 et demander au pays de prendre son mal en patience pour voir le Président de la République se rendre à nouveau au Palais du peuple en vue de dresser l’état de la Nation. D’ores et déjà, les historiens du présent font le guet...
Ce qui paraît évident est que si le Président de la République doit s’adresser à la Nation, cette fois, ce ne pourrait être que dans le cadre de son message sur l’état de la Nation (art. 77) et ce message ne pourrait avoir comme contenu que celui des Concertations nationales.
Celles-ci ont en effet dressé un état de la Nation dans tous les secteurs et au sens concret lors d’ateliers des cinq groupes thématiques (Gouvernance, Démocratie et Réformes institutionnelles, économie, Secteurs Productifs et Finances publiques, Désarmement, Démobilisation, Réinsertion sociale et/ou Rapatriement des groupes armés, Décentralisation et Renforcement de l’autorité de l’état). Le Chef de l’état avait annoncé dans son ordonnance des Concertations qu’il rendrait compte des «conclusions et recommandations à la Nation devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès». La nouveauté paraît être est que cette fois, le discours présidentiel se nourrirait des réflexions des forces vives de la Nation réunies en Concertations plutôt que de celles de ses conseillers.
Reste la manière.
Rien n’oblige le Président à se rendre lui-même au Palais du peuple. «Le Président de la République adresse des messages à la Nation. Il communique avec les Chambres du Parlement par des messages qu’il lit ou fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat» (art. 77 de la Constitution). Stricto sensu, le Président peut ne pas se rendre lui-même au Palais de la Nation mais communiquer avec les élus. Dans cet exercice, il peut ne pas réunir les deux Chambres et choisir de communiquer avec chacune d’elles.
Il reste que le Pacte républicain limite à quatre les matières du Congrès (art. 119): la révision constitutionnelle, l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège et de la déclaration de guerre, la désignation des trois membres de la Cour constitutionnelle et l’audition du discours sur l’état de la Nation. Il n’est prévu nulle part l’audition des «conclusions et recommandations des Concertations nationales». Mais qui décide que tel discours présidentiel est un message sur l’état de la Nation? Nul autre que lui-même. De même, la Constitution n’impose aucune date pour l’audition par le Congrès du message présidentiel...
C’est clair comme l’eau de roche: le pouvoir est un exercice obstinément solitaire. C’est l’homme seul dans sa totale solitude qui décide des options à lever. D’où le temps que prennent les Grands à mûrir les questions avant de se prononcer. C’est là que réside le secret de leur longévité et celui de leur passage à la postérité.

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