- lun, 30/09/2013 - 05:26
Les Concertations nationales (Kinshasa, 7-28 septembre 2013) ont été l’occasion de faire le diagnostic du pays et d’en indiquer les voies à suivre. Fort de ses seize ans passés à la tête de la Banque Centrale du Congo, Jean-Claude Masangu Mulongo a donné le 13 septembre 2013 une contribution remarquée dans le cadre du groupe thématique économie, secteur productif et Finances publiques qui se réussissait à l’hôtel Royal et présenté huit principaux défis du développement intégré et intégral auxquels le Congo fait face, de même que cinq préalables majeurs pour son émergence économique et politique. En notant d’entrée de jeu qu’«un peuple sans mémoire est un peuple sans repères et donc condamné à répéter les mêmes erreurs», le gouverneur honoraire a indiqué qu’en 2012, les investissements publics ne représentaient que 11,1% dans l’exécution des dépenses du Budget national et 3,1% du Produit intérieur brut. Expliquant qu’une «croissance économique actuelle de 6 à 7 % en moyenne observée ces dernières années, «est très insuffisante pour conduire au développement». Ci-après en intégralité cette contribution que l’ancien gouverneur de la Banque Centrale a fait parvenir au Soft International.
1. INTRODUCTION
1.1. Si j’ai l’honneur et le privilège de prendre la parole aujourd’hui devant vous, au titre de ma première contribution à ces assises, c’est en vertu principalement de ma qualité de Gouverneur Honoraire de la Banque Centrale du Congo qui m’a permis de ce fait d’être, d’une part, témoin direct durant 16 années d’affilée et sans désemparer de l’évolution de l’économie de la République Démocratique du Congo, et d’autre part mieux encore, un des acteurs-clé dans le processus de prise de décisions dans les domaines politique, économique et social qui non seulement ont façonné cette économie, mais ont également déterminé le cours des événements.
1.2. Ainsi, j’espère mettre à la disposition de mon pays, à l’occasion de cet historique rendez-vous, toute mon expérience accumulée sur terrain. à ce sujet, et d’entrée de jeu, je voudrais rappeler avec force, pour l’avoir vécu, la corrélation qui lie intimement les deux mondes politique et économique. Ceci pour dire que les décisions et recommandations de chaque Groupe thématique composant les états Généraux des Concertations Nationales auront immanquablement une incidence sur les autres Groupes. D’où la nécessité in fine, de s’assurer des cohérences des politiques proposées afin de dégager une suffisante synergie à même d’offrir progressivement au peuple congolais du développement et du bien-être.
1.3. Comme vous le savez, un peuple sans mémoire est un peuple sans repères et donc un peuple condamné à répéter les mêmes erreurs. Aussi, me permettrez-vous de procéder à un bref rappel de l’histoire économique de la République Démocratique du Congo depuis son accession à sa souveraineté nationale et internationale. Quatre périodes distinctes caractérisent cette histoire:
2. RAPPEL HISTORIQUE.
2.1. La période de 1960-1964 personnifiée par le 1er Président de la République Démocratique du Congo Joseph Kasavubu. Cette période se distingua par une instabilité politique et institutionnelle récurrente, les sécessions katangaise et kasaïenne, ainsi que par des rebellions meurtrières dans le Bandundu et dans la Province Orientale.
Au plan économique, les sociétés congolaises dites à charte transférèrent leurs capitaux au Royaume de Belgique, l’ancienne métropole, et rapatrièrent tout leur personnel qualifié. Ce fut-là la genèse de la 1ère crise congolaise qui fut suivie d’un coup d’état militaire le 24 novembre 1965.
2.2. La période de 1965-1997 sous feu Président Mobutu Sese Seko fut le théâtre de l’émergence de plusieurs crises économiques et financières, conséquences de mesures de nationalisation, de zaïrianisation, de rétrocession et de création de grandes entreprises publiques dans la foulée de l’érection d’un Parti-état, le Mouvement Populaire de la Révolution.
Pour faire face à ces crises, appel fut fait à l’endettement extérieur à outrance et aux programmes d’ajustement structurel édictés par les Institutions de Bretton-Woods (Fonds Monétaire International et Banque Mondiale).
Cette période connut aussi des crises d’ordre socio-politique avec l’avènement de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), les pillages à répétition, la défaillance des services publiques, l’hyperinflation et l’agonie d’une économie et des infrastructures en ruines.
2.3. La période de 1997-2000 sous la direction du Président Laurent-Désiré Kabila. Cette période débuta avec la guerre de libération en 1996, suivie en 1998 de celle d’agression qui affecta une portion importante du territoire national. Ce fut aussi une période qui se caractérisa par l’absence d’une politique économique cohérente ainsi que par l’absorption de l’essentiel des ressources nationales par l’effort de guerre. Il importe de signaler que le pays, durant cette période, fut le théâtre d’au moins sept armées qui s’affrontaient. Ce qui entraîna l’intervention de l’Organisation des Nations Unies avec plus ou moins 20.000 hommes, par le biais de la MONUC et, plus tard, de la MONUSCO et de la Brigade d’intervention.
2.4. Enfin, la dernière période qui débute à partir de 2001 jusqu’à ce jour, sous l’égide du Président Joseph Kabila Kabange. Elle est caractérisée par la recherche de la paix et la libéralisation de l’économie, la reprise des relations avec les Institutions Financières Internationales de Bretton-Woods à travers plusieurs Programmes économiques du Gouvernement, le lancement de réformes structurelles majeures touts azimuts ainsi que des ambitieux programmes dits de Cinq Chantiers et de la Modernité.
Grâce aux options économiques annoncées le 26 janvier 2001 lors du discours d’investiture du Président Joseph Kabila Kabange, l’hyperinflation est éradiquée, la stabilité macro-économique ainsi que la croissance sont retrouvées, le pays devient attractif aux investissements directs étrangers pendant que de grands travaux publics sont entamés. Au plan diplomatique et politique, cette période a coïncidé avec le lancement de nombreuses initiatives de paix (Opérations Kimia I et II, Amani Leo, Résolutions de l’ONU, Accords internationaux, etc.) et le processus de démocratisation avec l’organisation des élections notamment présidentielles et législatives en 2006 et 2011 ainsi que, cérise sur le gâteau, la tenue des présentes Concertations Nationales.
3. HUIT DéFIS DU DéVELOPPEMENT.
3.1. Après avoir stabilisé le cadre macroéconomique, le premier défi du développement intégré et intégral du Congo à relever concerne le niveau de la production nationale. Il sied de signaler la faiblesse du PIB de notre pays qui se situe fin 2012 à USD 8 milliards, soit USD 109 par an et par habitant, sur une population évaluée à 73,4 millions d’habitants. En d’autres termes, c’est USD 0,30/jr/habitant! Ce faible niveau de production a une incidence négative sur le niveau des recettes de l’état, de la consommation intérieure, de l’épargne et des investissements. à titre indicatif, à fin 2012, la contribution à la croissance de 7,2% du PIB des secteurs productifs clés se présente comme suit:
- Mines et Hydrocarbures: 32%;
- Commerce: 22,2%;
- Travaux Publics et Bâtiments: 16,2%;
- Agriculture: 14,5%;
- Autres: 15,1%.
3.2. Le caractère rudimentaire et non intégré de l’économie congolaise constitue un deuxième défi. Il existe certes une multitude de «petites» économies locales par-ci par-là, mais sans ou avec peu d’effet d’entraînement interprovincial.
3.3. Le troisième défi réside dans la faiblesse du potentiel d’investissement. Les investissements publics ne représentent que 11,1% dans l’exécution des dépenses du Budget national et 3,1% du PIB en 2012. Quant aux investissements privés, ils dépendent de l’épargne intérieure et des investissements directs étrangers. Or, l’épargne intérieure est faible tandis que l’accès aux marchés de capitaux étrangers se révèle pratiquement inexistant. Par ailleurs, il y a lieu de souligner l’incidence des contraintes d’endettement vis-à-vis des engagements du pays auprès du FMI. Et enfin, le Congo ne peut tabler sur l’aide publique au développement qui ne fait que baisser année après année.
3.4. Le capital humain est un atout de taille tant pour la production que la consommation. Il doit être bien formé pour être qualifié et compétitif. En outre, il doit être en bonne santé. Or, les insuffisances constatées dans la qualité de l’enseignement et des soins de santé dispensés nous indiquent les défis à relever.
3.5. La croissance économique actuelle de 6 à 7 % en moyenne observée ces dernières années, est très insuffisante pour conduire au développement. En effet, dans l’hypothèse d’une croissance de 6 % l’an et d’une projection d’une augmentation démographique de 3% l’an pour atteindre 145 millions d’habitants en 2035, le PIB par an et par habitant ne serait que de USD 394, soit USD 1/jour/habitant!
Les insuffisances dénoncées ci-avant ne permettront pas de réduire la pauvreté, malgré la bonne gestion des finances publiques, la stabilité CDF/USD retrouvée, l’inflation maitrisée et la réduction de 80 % de la dette extérieure, ramenant celle-ci de USD 13,7 milliards à 2,9 milliards!
3.6. On peut par ailleurs signaler le défi d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et celui d’accélérer le développement de l’agriculture ainsi que de l’agro-industrie. Au moins 65% des Congolais vivent dans l’arrière-pays si pas dans les milieux ruraux. L’atteinte de ces objectifs permettrait d’améliorer la qualité de vie de cette population majoritaire, et aussi de baisser le coût de la vie pour ceux vivant en milieux urbains.
3.7. Il est aussi indiqué de relever le caractère insuffisant et délabré des infrastructures économiques de base, notamment celles de transport et des voies de communication ainsi que celles des secteurs de l’électricité et de l’eau potable. En effet, la production et distribution de l’eau et de l’énergie ne contribuent au PIB qu’à concurrence de 2,7%. Quant au transport et voies de communication, leur contribution n’est que de 4,7%. Ces chiffres doivent nous interpeller et nous rappeler que Henry Morton Stanley avait vu juste lorsqu’il avait prophétisé, je le cite: «Sans chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny!». Extrapolons ledit chemin de fer aux infrastructures économiques de base et donnons un poids économique et politique réel à notre pays en relevant le défi des infrastructures.
3.8. L’intégration économique régionale et internationale de la République Démocratique du Congo constitue un autre défi. En effet, notre pays n’exploite pas ses avantages comparatifs au sein des organisations régionales dont elle est membre: la CéPGL, la CééAC, le COMESA et la SADC. Partout, la RDC est classée dernière, ou avant-dernière en termes d’effort d’intégration. Aussi, l’impact de l’adhésion récente à l’OHADA doit encore produire ses effets!
Quant au niveau international, que ce soit auprès de l’ONU, de l’OMC, de l’UA, de la FAO et autres organisations, le poids des arriérés financiers nous empêche de jouer pleinement notre rôle.
4. EMERGENCE: CINQ PREALABLES majeurs.
4.1. La paix et la sécurité, ainsi que la restauration de l’autorité de l’état constituent le premier préalable majeur pour l’émergence économique et politique du Congo.
Ces préalables concernent, d’une part, la recherche de la paix et la sécurité intérieures sur toute l’étendue du territoire national et, d’autre part, la paix et la sécurité extérieures avec tous les neufs pays limitrophes. à ce propos, on peut ramener la problématique aux deux questions suivantes: Quelles sont nos attentes vis-à-vis de nos voisins et, a contrario quelles sont les leurs vis-à-vis de nous?
Dans la gestion des relations internationales, ce sont les intérêts et non les sentiments qui priment.
Priorité devrait être réservée aux intérêts nationaux avant les intérêts régionaux ou internationaux. Toutefois, il faut une synergie entre les trois!
4.2. La stabilité politique et institutionnelle représente un deuxième préalable et suppose un état de droit, une Justice pour tous et un large consensus politique permettant le règlement des différends et conflits par la voie judiciaire et celle du dialogue.
4.3. La nécessité d’une bonne gouvernance générale de l’état au sens large, tant au plan politique, qu’économique, social, militaire, sécuritaire et diplomatique.
4.4. Un autre préalable réside dans l’optimisation de la mobilisation des ressources financières et la lutte contre l’évasion fiscale, la corruption et l’impunité; et enfin,
4.5. L’établissement des priorités et de la cohérence des politiques entre tous les secteurs clés retenus, ainsi que le maintien des objectifs globaux retenus grâce à des indicateurs de performance et des mécanismes de suivi-évaluation à mettre en place constituent aussi un préalable qui a une importance capitale.
Jean Claude MASANGU MULONGO
Gouverneur Honoraire