Ce qu’a dit Kengo
  • lun, 21/03/2016 - 16:24

Les petites phrases de Kengo qui en disent long.

Dix ans de Constitution, cela valait une… célébration! Longtemps PGR, habitué à ces exercices savantesques qu’un esprit érudit a décidé récemment de rassembler dans un ouvrage pour en tirer une cohérence, le président de la Chambre haute du Parlement est resté égal à lui-même, prononçant mardi 15 mars 2016 dans son discours inaugural de la session mars une nouvelle herméneutique dont il ne sait, ne peut se départir.

A chaque rentrée parlementaire, Léon Kengo wa Dondo tient à marquer les esprits de son auditoire et de ses contemporains. Cet ancien Procureur Général de la République - sa véritable fonction symbole des années Mobutu - sait qu’une rentrée parlementaire est son heure. Il la prépare lui-même minutieusement.

EXEGESE D’UN DISCOURS.
Comme lors de ces Assemblées semestrielles des cours de justice de l’ancien temps qui se tenaient un mercredi - d’où le mot mercuriale - où le président, dans un discours, devait faire la critique de la justice et des juges (ce qui deviendra plus tard le discours inaugural prononcé par un membre du parquet à la rentrée des tribunaux), à chaque rentrée parlementaire, le président du Sénat est l’homme qui donne le tempo, crée l’évènement, en fait un beau moment pour l’œil et l’oreille. Bref, pour l’intelligence.
Si lors de l’une des dernières rentrées, il avait longuement discouru sur la femme dans le droit congolais, mardi 15 mars 2016, prenant prétexte de la commémoration le 18 février 2006 de la Constitution nationale - issue d’un projet du Sénat de la transition -, ce grand juriste à la voix pointue s’est chargé de faire une relecture du texte fondamental du pays. Indubitablement, cela vaut le détour! Exégèse.
Qu’a donc voulu le constituant congolais, pourrait ainsi être la question à laquelle a tenté de répondre cette énième «mercuriale»? Pourquoi ce texte paraît inqualifiable? A quoi a voulu jouer le constituant du 18 février 2006?
Voici un texte qui n’instaure ni l’unitarisme, ni le fédéralisme, ni le présidentialisme, ni le parlementarisme mais un ... «régionalisme constitutionnel (...), antichambre du fédéralisme». Un texte «déroutant», bâtard, n’exprimant pas une identité précise. Un texte qui n’a jamais réglé le débat sur la forme de l’Etat qu’il installe, ni clos celui du régime politique du pays qu’on pourrait qualifier de «tendance parlementaire».
Ainsi, par exemple, pourquoi le Président de la République est-il élu au suffrage universel direct (art. 70, al. 1), c’est-à-dire par la Nation pleine et entière comme en France et non comme aux Etats-Unis), qu’il convoque et préside le Conseil des Ministres (art. 79, al. 1) sans en être responsable, c’est-à-dire, sans avoir à en répondre devant le Parlement? Voici une politique, c’est-à-dire, un programme du Gouvernement qu’il définit (art. 91, al. 1) en concertation avec le Gouvernement, est approuvé par les représentants du Peuple (le Législatif (art. 90. 5) par lequel ceux-ci investissent le Gouvernement (l’Exécutif (art. 90. 5) avant l’entrée en fonction, que des décisions sont prises sous la direction présidentielle mais qui ne l’engagent pas, n’exposant que le Gouvernement (Premier ministre, Chef du Gouvernement et ministres, art. 91, al. 5)?
Pourquoi le constituant, s’interroge le Président du Sénat, a-t-il abordé certaines questions fondamentales «avec la plus extrême vigilance»?
En clair, ce juriste de haut vol pose la question de la pertinence et de la cohérence de certaines dispositions de notre Constitution même s’il affirme que ce texte enferme «sa logique et sa cohérence interne», affirmant néanmoins que certaines de ses dispositions - cette ingénierie - sont difficiles à s’appliquer. D’où, pose-t-il, en dix ans de promulgation de la Constitution, l’administration de notre pays n’est guère devenue plus proche de l’administré.
En clair, même s’il dit que son propos «n’est pas une incitation à remettre les choses au goût du jour», Léon Kengo wa Dondo appelle à une revisitation de certains articles de la Constitution du pays. A sa modernisation. Il le fait à haute et intelligible voix. D’ailleurs, n’invite-t-il pas à «poursuivre» sa réflexion, qui n’est «ni exhaustive ni exclusive d’autres types d’analyses». Plus clair encore si besoin en était: «Faisons de cet anniversaire l’occasion de poursuivre le débat dans tous les cercles, en commençant par les milieux universitaires de notre pays».
Du coup, le Président de la Chambre haute détabouise le débat sur la révision constitutionnelle. Du coup, le dialogue annoncé devient plus politique que… folklorique, rassembler les maîtres penseurs, l’élite de la majorité et de l’opposition, tout comme les têtes pensantes de la société civile, les universitaires...
Ci-après, l’extrait Mercuriale du discours interpellateur du Président du Sénat:
«La présente Session intervient à un moment unique de l’histoire récente de notre pays, marquée par la commémoration, cette année, des dix ans de la Constitution du 18 février 2006. Cette Constitution ayant été à l’origine l’œuvre du Sénat de la transition, et compte tenu de l’importance de cet événement, permettez-moi d’y consacrer l’essentiel de mon propos.
La Constitution actuelle est le fruit d’un consensus politique obtenu à Sun City, grâce à la médiation des amis du Congo. L’Accord global et inclusif a été le couronnement historique des efforts, en vue de mettre fin à quatre ans de guerres fratricides. Elaborée par le Sénat de la transition, puis adoptée par l’Assemblée nationale, cette Constitution a été approuvée par près de 85% de la population congolaise.
Par la vertu du référendum, elle est devenue la volonté politique du peuple congolais.
Cristallisée dans un document solennel et public, cette volonté s’impose aussi bien aux Institutions qu’au Peuple lui-même, désormais devenu acteur du jeu constitutionnel.
C’est en tant qu’acteur de ce jeu constitutionnel que le peuple se déclare souverain. Il indique, dès lors, les moyens d’exercice de son pouvoir souverain:
- soit indirectement par ses représentants,
- soit directement par voie d’élection ou de référendum.
C’est ce que dit l’article 5 de la Constitution.
Pour exprimer son pouvoir d’autolimitation, le peuple a circonscrit le cadre d’exercice de ce pouvoir direct:
- d’une part, l’élection qui relève de lui ne porte que sur certains animateurs des Institutions de la République (Président de la République, Députés nationaux et provinciaux, élus locaux);
- d’autre part, le référendum populaire n’a été expressément prévu que pour trois matières: le transfert de la capitale (art. 2 al. 3); l’éventualité de cession, d’échange ou d’adjonction du territoire (art. 214 al. 2) ainsi que la révision constitutionnelle (art. 218).
La Constitution a donc sa logique et sa cohérence interne.
Comme nous le rappelle son Exposé des motifs, cette Constitution a été adoptée «en vue de mettre fin à la crise chronique de légitimité des institutions et de leurs animateurs depuis 1960 et de donner au pays toutes les chances de se reconstruire».
Elle est assise sur les sept «préoccupations majeures» suivantes:
1. assurer le fonctionnement harmonieux des Institutions de l’Etat;
2. éviter les conflits; non seulement au sein de ces Institutions, mais plus globalement, au sein de l’ensemble du corps social;
3. instaurer un Etat de droit, ce qui implique la soumission de tous à la loi, en commençant par la loi suprême;
4. contrer toute tentative de dérive dictatoriale, ce qui signifie le rejet de toutes les antivaleurs de la IIème République;
5. garantir la bonne gouvernance;
6. lutter contre l’impunité;
7. assurer l’alternance démocratique.
Tous les articles de la Constitution s’interprètent à l’aune de ces sept préoccupations majeures, qui en constituent la ratio legis.
Dix ans de vie d’une Constitution est à la fois peu et beaucoup.
Peu, si l’on pense à la longue histoire constitutionnelle de certains Etats, comme par exemple les Etats-Unis d’Amérique, dont la Loi fondamentale est déjà bicentenaire.
Beaucoup, si l’on songe à l’histoire particulière de notre pays, marquée par l’instabilité chronique de ses institutions, et par le faible enracinement de la Constitution dans les mœurs.
C’est la raison pour laquelle, même si elle n’a que dix ans d’existence, la Constitution mérite d’être célébrée.
C’est un moment important, qui permet de dresser un premier bilan de son application et, partant, de son intériorisation par le peuple et par les acteurs politiques.
Comme vous le savez, la Constitution actuelle est un pacte historique, politique et social qui scelle l’union du peuple congolais.
Au plan social, elle contient des dispositions importantes relatives notamment aux droits et libertés fondamentaux des personnes.
Au plan politique, elle réalise un dosage subtil des principaux équilibres, qui permettent à notre Etat d’exister et de fonctionner.
Sur le premier volet, tous les spécialistes de la question s’accordent à souligner la richesse des droits fondamentaux contenus dans cette Constitution. Pas moins de 50 articles leur sont consacrés! Ils sont catégorisés’ en «droits civils et politiques», «droits économiques, sociaux culturels» et «droits collectifs».
Dans la pure tradition africaine, la Constitution institue même des «devoirs du citoyen», dont le tout premier est le respect de la Constitution et des lois de la République (art. 62, al. 2). En matière de droits civils et politiques, tous les droits classiques sont consacrés. A titre d’exemples, on peut citer:
 le droit à la vie, considéré comme «sacré»;
 le droit à l’égalité et à la non-discrimination, qui touche à plusieurs matières de la vie sociale;
- la liberté individuelle dans toutes ses facettes: sûreté, libertés de pensée, de conscience, de religion, de réunion, de circulation, d’expression, de manifestation, etc.
Ces droits sont essentiels à notre société démocratique. Ce sont eux qui justifient l’épithète «démocratique» accolée au nom de notre pays.
Afin de garantir l’égalité politique des sexes, la Constitution est allée jusqu’à proclamer la parité homme-femme au sein des institutions nationales, provinciales et locales.
En cette matière, elle apparaît comme l’une des pionnières dans notre continent.
En matière des droits économiques, sociaux et culturels et en matière des droits collectifs, l’innovation majeure aura consisté principalement dans la consécration de certains droits de type révolutionnaire comme:
 le droit à la culture;
 le droit à un logement décent; voire
 le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique.
Dans ce monde où les droits économiques et sociaux bénéficient plutôt d’une faible protection, il faut se réjouir du statut que la Constitution leur a conféré chez nous.
Placés sous la protection des cours et tribunaux, complétés dans cette tâche par la Commission nationale des droits de l’homme, tous ces droits fondamentaux bénéficient de la même protection. Ils constituent le premier pacte qui unit la République. D’où la nécessité de protéger ce pacte. Au plan politique, la Constitution de 2006 se distingue notamment par son ingénierie institutionnelle.
Tout en étant lisible, cette ingénierie paraît cependant parfois déroutante pour les non-initiés.
J’en veux pour exemple la question de la forme d’Etat. Cette question semble avoir été abordée avec la plus extrême vigilance.
A la vielle querelle entre unitaristes et fédéralistes, le Constituant a eu la sagesse de substituer le régionalisme constitutionnel, une forme d’Etat qui, comme vous le savez, est l’antichambre du fédéralisme.
La répartition constitutionnelle des compétences entre le Pouvoir central et les Provinces (avec des zones de compétence concurrente et exclusive), l’instauration d’une caisse nationale de péréquation pour corriger les déséquilibres de développement entre Provinces ainsi que l’existence d’une Cour constitutionnelle chargée notamment du règlement des conflits de compétences constituent des indices majeurs de cette tendance fédéraliste. Il n’en reste pas moins vrai qu’il ne s’agit pas d’une Constitution fédéraliste, l’absence de «constitutions» autonomes pour les Provinces confortant ce point de vue.
Aussi est-il admis que la forme de notre Etat reste un régionalisme constitutionnel, couplé à la décentralisation administrative au niveau des entités de base.
A l’analyse, ce régionalisme éprouve cependant quelques difficultés à s’appliquer, ainsi que l’a montré la pratique de ces dix dernières années.
Après deux ans d’attente, le processus de décentralisation politique et administrative du pays a été amorcé en 2008 avec l’adoption des trois lois sur la «territoriale»:
 la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces;
 la loi organique portant composition, organisation et fonctionnement des ETD et leurs rapports avec l’Etat;
 la loi organique portant modalités d’organisation et de fonctionnement de la Conférence des Gouverneurs de province.
Ce processus s’est poursuivi par l’adoption d’autres lois, dont la plus récente - fruit de la révision constitutionnelle du 20 janvier 2011 - est celle de programmation sur l’installation de nouvelles provinces.
En y jetant un regard rétrospectif, il apparaît que ce processus n’est pas encore très avancé. Au vu des résultats, rien ne permet, à ce stade, de conclure qu’en dix ans de promulgation de la Constitution, «l’administration de notre pays est déjà devenue plus proche de l’administré».
En réalité, c’est à cause de certaines pesanteurs d’ordre politique et psychologique que ce processus lambine.
Et, face à la tentation d’un retour en arrière, prenons garde de confondre la pauvreté de nos pratiques politiques avec la richesse des principes affirmés dans la Constitution.
Une chose est de vouloir le régionalisme constitutionnel; une autre est de l’appliquer dans toutes ses exigences.
En somme, sur l’avenir de ce régionalisme, il faut s’en tenir à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 septembre 2015, qui a eu la sagesse d’affirmer, si heureusement, que ce processus est devenu, au stade actuel, irréversible.
En ce qui concerne le régime politique institué, la grande majorité des spécialistes s’accordent à reconnaître qu’il est de tendance parlementaire:
 la responsabilité politique du Gouvernement devant l’Assemblée nationale est organisée;
 la possibilité de dissolution de cette Assemblée par le Président de la République est également prévue.
Toutefois, l’emprunt fait à certains mécanismes du présidentialisme - qui est un legs de notre tradition - pousse parfois à s’interroger sur la cohérence du régime.
A titre d’exemple, si l’on convient que le Premier ministre est le Chef du Gouvernement, qu’il est issu d’une majorité parlementaire, qu’il conduit la politique nationale et qu’il répond de sa gestion devant l’Assemblée nationale, comment peut-on expliquer que le Président de la République - qui n’engage pas cette responsabilité - puisse participer à la définition de la politique nationale?
Mieux, comment admet-on que, dans une République parlementaire, le Chef de l’Etat soit élu au suffrage universel direct; ce qui, par voie de conséquence, le pousse à se faire élire sur base d’un programme gouvernemental propre!
Là se trouve l’une des ambiguïtés majeures de notre système institutionnel.
Sur le plan de l’organisation institutionnelle globale, notre Constitution a eu le génie de prévoir, à côté des institutions politiques traditionnelles de l’Etat, ce que l’on appelle les «institutions d’appui à la démocratie».
Ceci est une innovation dans le constitutionnalisme moderne. C’est même une avancée sur le terrain de la participation citoyenne à la gestion de la chose publique.
Mais, la pratique institutionnelle des dix dernières années a-t-elle réservé la place qui leur revient à ces institutions citoyennes?
Je ne vise pas ici que de simples questions protocolaires; il s’agit de la perception que nous nous faisons du véritable rôle de ces institutions dans la consolidation du processus démocratique.
Je pense qu’après dix ans d’application de la Constitution, le moment est venu de réhabiliter ces institutions citoyennes!
En ce qui les concerne, les Institutions traditionnelles ont fonctionné conformément aux prévisions, après la désignation de leurs animateurs en deux cycles électoraux consécutifs. C’est là l’un des acquis de la Constitution actuelle.
S’il faut s’en réjouir, il faut cependant se garder d’occulter la question du bilan du fonctionnement desdites Institutions, en dix ans de vie de la Constitution. En ce qui concerne le Parlement, je crois pouvoir affirmer que celui-ci s’est relativement bien acquitté de sa double mission de législation et de contrôle. .
A titre d’exemple, jusqu’à la dernière session ordinaire de septembre, le Sénat a adopté 210 lois en 9 ans d’existence; soit une moyenne de 22 lois par an, pour un système qui n’organise, en principe, que six mois de sessions parlementaires par an.
Sur le registre du contrôle parlementaire, ce Sénat a posé 32 questions orales avec débat, 24 questions d’actualité et 12 questions écrites; il a constitué 11 Commissions d’enquête et procédé à une interpellation d’un membre du Gouvernement, dans le même intervalle de temps de travail. C’est dire qu’en dix ans d’existence, la Constitution n’a souffert au Sénat ni d’un déficit de production législative, ni d’une carence de contrôle parlementaire.
Concernant le retard enregistré dans l’installation d’autres institutions, j’ose espérer que les prochains mois seront mis à profit pour compléter tout l’édifice. .
Je pense ici spécialement à certaines institutions du Pouvoir judiciaire, tels le Conseil d’Etat et les autres juridictions administratives ainsi que les Tribunaux de paix.
Avec l’adoption de la loi organique sur les juridictions administratives, nul doute que le processus va s’accélérer, après les travaux de la Commission mixte paritaire.
Au total, c’est une Constitution complète, une Constitution démocratique et une Constitution stable.
Le caractère complet de la Constitution résulte de l’abondance et de la diversité de ces matières.
Son caractère démocratique découle des valeurs qu’elle renferme:
 le principe de la souveraineté du peuple,
 l’obligation de conquête du pouvoir par des voies démocratiques,
 le principe du respect des droits fondamentaux,
 la forme républicaine de l’Etat, etc.
Sa stabilité découle autant des mécanismes rigides de sa révision que de l’intangibilité proclamée de certains de ses articles. C’est grâce à cette stabilité que nous célébrons, cette année, le dixième anniversaire de cette Constitution.
Pour ma part, cette brève réflexion n’étant ni exhaustive ni exclusive d’autres types d’analyses, je vous invite à la poursuivre. Elle n’est pas davantage une incitation à remettre les choses au goût du jour. Ce n’est pas mon propos!
Aussi était-ce un devoir pour moi de rappeler ce sujet, à l’occasion de cet événement important qu’est la célébration des dix ans de la Constitution. Faisons de cet anniversaire l’occasion de poursuivre le débat dans tous les cercles, en commençant par les milieux universitaires de notre pays.
Sur ce, je déclare ouverte la Session ordinaire de septembre et je vous remercie.
LEON KENGO WA DONDO.


Related Posts