Entre Synamac et Constant Mutamba, la guerre entre juges et Dupond-Moretti en France?
  • lun, 19/08/2024 - 08:50

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1617|LUNDI 19 AOÛT 2024.

Les magistrats congolais prennent-ils la voie des magistrats français qui s'en étaient pris durement au ministre de la Justice et Garde des Sceaux sortant, l'ancien ténor du barreau, redouté des cours d'assises, Eric Dupond-Moretti au point de le conduire devant la Cour de Justice de la République, la CJR, ce qui arriva pour la toute première fois dans l'histoire en France, à savoir, un ministre en exercice attrait devant cette juridiction pénale spéciale ? Le Synamac, le Syndicat Autonome des Magistrats du Congo, a publié, le 15 août, un communiqué qualifiant le ministre congolais de la Justice Constant Mutamba Tungunga de «populiste», qui fait des annonces susceptibles d'être jugées « inconstitutionnelles ».

Un communiqué diffusé quand le ministre d'État en charge de la Justice et Garde des Sceaux venait de déposer au président de l'Assemblée nationale Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi quatre textes sur l'organisation, le fonctionnement et la compétence de l'ordre judiciaire, le Conseil Supérieur de la Magistrature, le statut des magistrats, ainsi que sur la loi régissant le barreau. Des textes examinés lors de précédentes législatures, jamais transmis pour promulgation.

Des textes que le ministre lui-même a présentés comme des «propositions de lois» et dont nombreux critiquent la légalité. Outre qu'«une proposition de loi» émane d'un député, le ministre dépose «un projet de loi».
« L’initiative des lois est partagée, elle appartient au Premier ministre et aux parlementaires (...). On parle (...) de « projets de loi » lorsque l’initiative émane de l’Exécutif et de « proposition » lorsqu’elle provient du Législatif. (...).

Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres (...), les propositions de loi proviennent des députés ou des sénateurs », cfr. Dalloz. Paris. « L’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement, à chaque député et à chaque sénateur. Les projets de loi adoptés par le Gouvernement en Conseil des ministres sont déposés sur le Bureau de l’une des Chambres (...).

Les propositions de loi sont, avant délibération et adoption, notifiées pour information au Gouvernement qui adresse, dans les quinze jours suivant leur transmission, ses observations éventuelles au Bureau de l’une ou l’autre Chambre», art. 130, Constitution de la République Démocratique du Congo. À 36 ans d'âge, Constant Mutamba Tungunga parle-t-il trop ou trop vite, en clair, sans faire attention à ce qu'il dit ou fait ?

« DES ANNONCES DE BUZZ ».
Il a été nommé le 28 mai 2024 ministre du Gouvernement Suminwa. Il fut opposant au régime Tshisekedi, assistant du Gouverneur de l’ex-Province Orientale Jean Bamanisa Saïdi, leader de Nogec, la Nouvelle Génération pour l’Émergence du Congo, ex-membre du FCC, assistant du coordonnateur du FCC Néhémie Mwilanya, rapporteur du bureau politique, compagnon du questeur de la CÉNI Aggée Aje Matembo Toto avec qui il crée la Dypro, la Dynamique Progressiste Révolutionnaire, candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2023, candidat malheureux au poste de rapporteur adjoint au bureau de l'Assemblée nationale, etc.

L'homme se rend à son cabinet tenant en laisse son chien, se fait photographier en compagnie de ses collaborateurs avec à la main une tasse de café, multiplie des sorties médiatiques, fait régulièrement des annonces «buzz», etc.

Dans le « communiqué du Synamac sur les sorties médiatiques ministre de la Justice et Garde des Sceaux» («concerne : discours du ministre de la Justice et Garde des Sceaux»), signé par le Président national Isofa Nkanga qui est substitut du Procureur Général et, pour le Secrétaire Général Adj empêché, par Shabani Watenda Junior, Président du Tribunal de Grande (Instance), on lit notamment :

« Le Synamac dénonce la propension du ministre de la Justice et Garde des Sceaux dans ses sorties médiatiques à vouloir rendre les magistrats seuls acteurs de la justice, responsables de la mauvaise administration de la justice, éludant ainsi les questions de fond à la base du dysfonctionnement de ce secteur ». Puis: «Ainsi, par ses discours à la limite populistes et outrageants à l'égard de tout un corps, il expose les magistrats dont la sécurité est déjà précaire ou pas du tout assurée ».

«Le Synamac fustige d'une part la création des tribunaux populaires où le ministre se transforme tantôt en juge, qualifiant certaines œuvres du juge des décisions iniques, tantôt en procureur, ordonnant des arrestations, et de l'autre, la création des commissions ayant pour objet de statuer sur les actes des magistrats (...) C'est dans ces attaques et contrevérités distillées ça et là à longueur de journée contre les magistrats qu'ils sont victimes d'agressions ».

Le syndicat des magistrats «attire l’attention des membres du bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature sur la participation de certains magistrats dans des commissions créées en vue de censurer les actes relevant des attributions des cours, tribunaux et parquets et, ce, sans s’en référer à leur hiérarchie respective. Pareil agissement ne doit laisser indifférent».

Puis : « Dans un État de droit, le seul moyen d’attaquer une décision de justice demeure les voies de recours prévues par le législateur. Et lorsqu’elles sont toutes épuisées, la seule possibilité qui reste est le pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi. Agir autrement, c’est se comporter en hors la loi », écrit le communiqué.

Les magistrats «invitent le ministre (...) d’arrêter avec ses agressions et de chercher à travailler avec les magistrats dans cette lutte dont il n’est pas seul, et n’en a pas non plus le monopole (...) Le Synamac relève que les modifications intempestives des lois organiques régissant le Pouvoir judiciaire ne régleront rien tant que les questions de fond débattues lors des assises des États Généraux de la Justice ne seront pas résolues. Par contre, elles provoquent des collisions des textes tendant à leur inconstitutionnalité».

COMME EN FRANCE.
«Si la justice doit être considérée comme une chaîne, la magistrature n’est que l’un des maillots parmi les autres acteurs de l’administration de la justice qui en sont aussi les maillons. Il s'agit entre autres des avocats, des parties, du ministre de la Justice, etc. Si la « chaîne justice» est malade, c’est donc tous les maillons qui sont malades y compris le ministre de la Justice. Car chacun a sa part de responsabilité dans l’administration de la justice».

Les magistrats congolais prennent-ils la voie des magistrats français qui s'en étaient pris durement au ministre de la Justice et Garde des Sceaux français sortant, l'ancien ténor du barreau Eric Dupond-Moretti au point de parvenir à le conduire devant la Cour de Justice de la République, CJR, ce qui fut la première fois dans l'histoire de France qu’un ministre en exercice était attrait devant cette juridiction pénale spéciale ?

C'est l'affaire dite «Dupont-Moretti», « Bismuth » (nom d’emprunt de l'ancien président Nicolas Sarkozy), ou « Azibert » (du nom d’un magistrat de la Cour de cassation) appelée devant le PNF, le Parquet National Financier, contestée en son temps par l’avocat Dupond-Moretti.

Les syndicats de magistrats poursuivaient le Garde des Sceaux français devant cette cour en l'accusant d'avoir cherché à se venger d’un certain nombre de magistrats avec lesquelles il était en conflit ouvert avant sa nomination. Dupond-Moretti avait diligenté des enquêtes administratives à l'encontre de ces avocats.

L'affaire porte sur une ramification de l’enquête initiale et principale portant sur le financement lybien de la campagne électorale de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. La petite cellule du PNF avait estimé opportun de mobiliser de considérables moyens d’enquête pour retrouver la «taupe» censée avoir prévenu l’avocat de Sarkozy (Me Thierry Herzog) que la ligne téléphonique ouverte par son client sous le nom de Paul Bismuth était sous écoute.

Sans en informer sa hiérarchie, elle avait demandé à la police d’éplucher les désormais célèbres fadettes, relevés téléphoniques détaillés qui permettent de connaitre la durée et le correspondant des appels passés, concernant une quinzaine d’avocats proches de Me Herzog, dont faisait partie Eric Dupond-Moretti. L’enquête n’avait jamais permis de connaître le nom de l’informateur et la plainte a été classée sans suite.

Scandalisé d’apprendre, incidemment, par les avocats de Nicolas Sarkozy, qu’il avait été ainsi espionné par le PNF dans le cadre de cette «enquête parallèle» - « l’enquête 306 » disent les initiés - l'alors avocat Eric Dupond-Moretti fut le seul avocat à oser porter plainte contre X pour la commission de trois délits : atteinte à l’intimité de la vie privée, violation du secret de la correspondance des avocats et abus d’autorité.

Les syndicats de magistrats avaient estimé que Dupond-Moretti aurait été, dès sa nomination, en tant que ministre de la Justice, le 6 juillet 2020, dans une position de conflit d’intérêts.
Il aurait ainsi commis le délit de « prise illégale d’intérêt » et qu'il cherchait à assouvir sa vindicte envers les magistrats concernés par l'affaire. C'est vrai que Dupond-Moretti s'était retrouvé dans une si mauvaise position qu'il risqua une condamnation et se vit même à la porte du Gouvernement n'eût été la confiance dont lui témoigna le président français Emmanuel Macron.

Reste que s'agissant du ministre d'État en charge de la Justice au Congo, Constant Mutamba, « le Chef de l'Etat, déclare-t-il, nous a nommé pour redresser notre justice et redorer son image. Rien n'arrêtera cet engagement ferme du Magistrat Suprême. Les réformes courageuses en cours vont se poursuivre à la satisfaction générale de notre peuple. Des réseaux mafieux démasqués craquent déjà ».
ALUNGA MBUWA.


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