Rwanda, la guerre du M23 est de trop
Rwanda, la guerre du M23 est de trop (Updated).
  • sam, 17/12/2022 - 10:45

PARIS, BRUXELLES, KINSHASA.
Ni Paul Kagame, ni Yuweri Museveni, ni aucun autre dirigeant à l'Est du Congo, n’était à l’aise à Washington. .
Nul doute, la guerre du M23 est une guerre de trop pour le Rwanda. Le général-président Paul Kagame en a fait des guerres depuis son retour précipité d'un stage de commandement militaire aux États-Unis, à Fort Leavenworth au Kansas, après qu'un contingent de l'armée de Mobutu, volant au secours du président Hutu Juvénal Habyarimana, stoppa la première invasion de l'APR, l'Armée Patriotique Rwandaise, l'aile militaire du FPR, le Front Patriotique Rwandais, fondé dans les années 1980 par des exilés Tutsis arrivés en Ouganda depuis 1959, et abattu le 2 octobre 1990, dès le lendemain de l'offensive de l'APR, l’homme qui est célébré à Kigali, Fred Rwigema.
C'est le vaillant militaire zaïrois, surnommé « le Tigre », sorti en 1978 de l'école spéciale militaire française de Saint-Cyr, Donatien Mahele Lieko Bokungu, qui sauta sur Kolwezi pour reprendre la ville aux mains des rebelles, qui fit feu dans les bananeraies rwandaises. Après ce cuisant échec, le FPR dût refaire ses calculs. Le parrain ougandais Yoweri Museveni rappelait en Ouganda le vieil ami de Rwigema, Paul Kagame.
L'actuel président du Rwanda avait rejoint dès ses 22 ans, en 1979, les maquisards ougandais venus de Tanzanie qui allaient porter au pouvoir Museveni. Soutenue politiquement, économiquement et militairement par les États-Unis, la NRA, National Resistance Army, combattait Idi Amin Dada. Les réfugiés rwandais dont Kagame, font partie du noyau de cette rébellion qui renversa en 1985, Milton Obote, puis, en 1986, le président Tito Okello. Après le coup d'État de la NRA en 1986, c'est avec eux que Museveni s’empare du pouvoir à Kampala. Plusieurs de ses compagnons d'armes rwandais deviennent officiers de l'UPDF, la nouvelle armée ougandaise. Major, Kagame est directeur adjoint des services de renseignement militaire de l'UPDF. Après l'attentat contre l'avion de Habyarimana qui déclenche le génocide, le FPR et Kagame prennent le pouvoir à Kigali. Le Hutu Bizimungu est président mais l'homme fort est le vice-président et ministre de la Défense, Paul Kagame.
En 1996, Kagame soutient l'invasion du Zaïre, renverse Mobutu en 1997, combat Laurent-Désiré Kabila puis le fils de celui-ci, Joseph Kabila. De 1998 à 2003, lors de la «deuxième guerre mondiale africaine», Kagame soutient plusieurs groupes rebelles. En 2000, après la démission de Bizimungu, Kagame a pris les commandes du Rwanda. Il est réélu en 2003, en 2010 et en 2017. À l'international, il use du génocide pour se légitimer. Il brandit la croissance économique, la stabilité, la réduction de la corruption. Est-ce suffisant pour continuer à mener des guerres et se maintenir au pouvoir à vie ? La guerre du M23 et les dégâts humanitaires qu'elle provoque semblent ouvrir une nouvelle page.

À UN TOURNANT.

À la suite de la diplomatie de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, qui, à force de condamner l'hypocrisie et la complicité de la communauté internationale, de la couvrir de honte, face à la mobilisation de la société civile qui pousse les Nations Unies à publier des rapports, face aux médias qui parlent de « répression mondiale », de «serment de loyauté forcé» imposé à la diaspora rwandaise, aux menaces d'enlèvement et de disparition qui pèsent sur celle-ci - cas de l'ambassade de Londres révélé par la BBC -, la communauté internationale n'est-elle pas à un tournant ? Quand on suit les débats aux Nations-Unies, n'y voit-on pas une évolution ? Des mots comme ceux prononcés par le président congolais samedi 10 décembre 2022, lors du discours sur l'état de la Nation, ne commencent-ils pas à parler ? «Le Congo est victime d’une agression sans équivoque par le Rwanda» ; «notre pays fait l’objet d’une agression lâche par le Rwanda, sous couvert du mouvement terroriste du M23 avec pour conséquence directe, un drame humanitaire qui expose des millions de nos compatriotes à une situation d’errance et de précarité»; «des centaines d’hommes, femmes et enfants (sont) lâchement assassinés à Kishishe, dans le Nord Kivu, par les terroristes du M23 avec la complicité du Rwanda» ; «notre pays est, depuis des décennies, le théâtre de plusieurs conflits armés attisés par des forces négatives, entraînant des violences insoutenables sous toutes les formes, ainsi que le pillage systématique de nos ressources naturelles, dans l’indifférence quasi totale de la Communauté Internationale». Le président dénonce «la résurgence des velléités expansionnistes du Rwanda, sous couvert du M23».
Et… bis repetita. Tout cela à la veille d’un sommet - le deuxième de l’Histoire du monde réuni à Washington après celui de 2014 sous la présidence de Barack Obama - où une cinquantaine de Chefs d’État et de gouvernement africains étaient invités par le Chef de la Maison Blanche pour un US-Africa Leaders Summit.
Joe Biden, l’homme le plus puissant de la planète, qui l’affirme jour après jour dans « America is back » (l’Amérique est de retour sur la scène internatio-nale) n’a eu qu’à mettre une ou deux phrases dans sa bouche pour se faire entendre des Chefs d’État impliqués dans la guerre à l’est du Congo.
Lorsque, dans un discours, Joe Biden dit : «Quand l'Afrique réussit, les États-Unis réussissent. Le monde entier réussit (... Nous ne pouvons pas résoudre les défis qui nous sont posés sans leadership de l'Afrique. Je n'essaie pas d'être gentil. C'est un fait », il envoie un message clair.
Aucun doute. Ni le président rwandais Paul Kagame (qui a répété à Washington que «les problèmes du Congo c'est au Congo, pas au Rwanda », sans convaincre - ni son frère aîné ougandais Yuweri Museveni, ni aucun autre dirigeant éventuellement impliqué à l'Est du Congo, n’était très à l’aise à une rencontre qui a duré trois jours, du 12 au 14 décembre.
Pour bien faire, Joe Biden a reçu mercredi 14 décembre, en bilatéral, dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo avant une rencontre élargie à cinq autres Chefs d’État africains.
À la Maison Blanche, le président congolais est resté sur le même registre de Kinshasa. Il a demandé « une implication forte des États-Unis dans ce conflit en vue de faire pression sur le Rwanda afin qu'il stoppe tout soutien au M23». Il a «remercié le président Biden pour les récentes déclarations de Washington allant dans ce sens ».
Sur des photos diffusées par la presse présidentielle congolaise, on voit que Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo est à droite du président américain qui a, à sa gauche, le président nigérian, Muhammadu Buhari. On y voit la même chaleur, la même proximité entre les deux hommes. En diplomatie, le protocole emporte tout.
Il faut noter que lors de ce sommet, un accord à trois a été signé au Département d’État américain entre les États-Unis, le Congo et la Zambie en présence du président congolais Tshisekedi et zambien Hakainde Hichilema. Il concerne la production d’une chaîne de valeur dans la production des batteries pour voitures électriques. En Afrique, les États-Unis font désormais face à la Chine et à la Russie.

T. MATOTU.

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