- ven, 02/10/2020 - 21:23
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1501|VENDREDI 2 OCTOBRE 2020.
Il y a, à observer de près, de la revisitation d’actes posés par des pouvoirs publics précédents. Qui s’en plaindrait ? Etat de droit oblige ! Des phrases récemment sorties de la bouche de Jules Alingete Key, confiées au Soft International, vous glacent le sang. «Il y a eu une planification du sous-développement du Congo. La mafia a eu comme objectif : hypothéquer l’avenir du pays. On pourrait à la limite faire table rase du passé mais on ne peut hypothéquer l’avenir du Congo».
L’inspecteur en chef des Finances faisait allusion au secteur des finances publiques particulièrement en épinglant des cas d’exonérations, d’allégements fiscaux et de compensation consentis à des opérateurs économiques voire à des institutions en violation de la loi en vigueur. Le n° 1 de l’IGF va plus loin.
Il accuse : ces exonérations ont été tarifés et monnayés.
Même l’Etat, assure-t-il, citant des textes de lois, «n’est pas exonéré sauf dans des cas d’importations liées à la défense nationale». Ajoutant : «cela est du domaine - et du seul domaine - du ministère qui a le Budget dans ses attributions».
Il faut s’attendre à des débats houleux en Conseil des ministres en commençant par des affrontements entre ministres et le patron de l’IGF dans des plate-formes inter-ministérielles, commission ECOFIN, de même que celle en charge des lois et textes réglementaires, par exemple. C’est du moins ce qu’en a décidé le Conseil des ministres à l’issue de sa réunion de vendredi 25 septembre dernier.
Mais voilà qu’à la même réunion, un autre dossier a fait jour : celui en lien avec de «nombreux cas de spoliation des biens de l’Etat, terrains et immeubles» dans les grandes villes du pays, Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani, Bukavu, Goma, etc. A en croire le compte -rendu qui en a été fait par le porte-parole officiel du Gouvernement, le ministre de la Communication et des Médias, l’UNC David Jolino Diwampovesa Makelele, «à l’initiative du Président de la République, le Conseil des ministres a décidé de l’interdiction par voie de décret ou d’arrêté, en particulier des terrains et des immeubles et ce, avec effet rétroactif à la date de l’acte incriminé».
Selon toute vraisemblance, dans ce dossier de spoliation des biens de l’Etat comme dans celui des exonérations fiscales, non fiscales et douanières et dans des cas d’allégements fiscaux et des compensations, c’est certainement au cas par cas, à en croire une source proche d’un ancien ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, que la question sera réglée.
Dans un passé lointain, il y a eu des ministres qui ont désaffecté des biens de l’Etat par simple arrêté «jusqu’à 100 maisons de l’Etat», les mettant en vente sans autre procès.
Ministre des Infrastructures du Gouvernement Matata, Fridolin Kasweshi avait déjà, en avril 2014, devant l’Assemblée nationale en plénière, avoué des cas de «spoliation à grande échelle» du patrimoine immobilier de l’Etat sans que rien n’ait pu être fait. Expliquant que ce sont des agents de l’administration publique ainsi que des cadres de l’armée et de la police qui étaient à la manœuvre.
CACIQUES DE L’EX-PARTI PRESIDENTIEL.
«S’il se trouve qu’un bénéficiaire n’a pu payer ce qu’il doit à l’Etat - une désaffectation se déroulant toujours à titre onéreux sauf si elle est faite par le Président de la République ou qu’une opération de désaffectation s’est faite dans l’illégalité, alors là, à chacun d’en tirer des conséquences», a expliqué un proche du dossier.
Or, en l’espèce, le lanceur d’alerte est précisément le haut fonctionnaire du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat. Dans une «plainte contre inconnu» (datée du 14 juillet 2020, réf. MIN.URB.HAB/SG/DIV.UN/440/JBB/2020) que Le Soft International a pu consultée, l’ingénieur Adolphe Mabulena-Massamba alerte la justice et réclame une enquête «sur le Partenariat Public-Privé signé par l’autorité ministérielle de l’Urbanisme et Habitat de l’an 2000 à 2007 avec les partenaires privés concernant les immeubles du Domaine Privé de l’Etat congolais situés dans les communes de Limete et de la Gombe en vue de rétablir l’Etat congolais dans ses droits selon les clauses conclues dans lesdits partenariats ».
Et il ne s’agit pas d’une mince affaire.
Interrogé en août par un magistrat du parquet général à Kinshasa qui lui demandait s’il confirmait sa plainte, le haut fonctionnaire du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat na va pas par quatre chemins. «Le ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat gère plusieurs immeubles privés appartenant à l’Etat congolais et ce, au travers tout le pays. Il s’avère que certains de ces immeubles donnés en location ont été spoliés par les locataires. Nous demandons à la justice de mener des enquêtes afin de rétablir l’Etat dans ses droits».
Tout part d’une «convention de partenariat» signé le 09 décembre 2005 entre une société, la Société générale de l’immobilier sise boulevard Tshatshi au n°36, dans la commune de la Gombe, représentée par un sujet étranger certainement un libanais du nom de Rachid El Chaer au titre de gérant statutaire et le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat John Tibasima Mbogemu Ateenyi, représentant la République et aujourd’hui sénateur et 2ème vice-président de la Chambre haute.
Dans ce texte en huit articles, la convention est justifiée par «l’état de dégradation très avancée des unités de logement du domaine privé de l’Etat dû au défaut d’entretien rendant dérisoire et insignifiant le taux de loyer» conduisant à une situation généralisée de «défaut de paiement de loyers» et aux «difficultés éprouvées par l’Etat de recouvrer les loyers échus».
Dès lors que l’Etat a voulu «sécuriser juridiquement et matériellement» ses biens, en les rentabilisant, les entretenant et les sauvegardant et qu’un Libanais s’est offert pour «accompagner l’Etat dans l’effort de protection, de sécurisation, d’entretien et de rentabilisation» de ces immeubles, il n’y avait donc guère de choix.
En clair, l’Etat congolais failli s’est délesté de son patrimoine au bénéfice d’un sujet libanais qui avait ainsi la charge de «réfectionner les immeubles à ses frais mais remboursables par le biais des frais de loyer» en ayant soumis au préalable pour approbation le devis des travaux et, en même temps, de «concourir à la sécurisation juridique et matérielle» de ces immeubles, «par l’obtention des titres de propriété au nom de l’Etat, de «rentabiliser par le biais de la sous-location, ces immeubles, de verser à l’état une garantie locative équivalente à six mois de loyer mensuel avant toute occupation des lieux, de payer régulièrement à l’Etat pour chaque unité de logement son loyer, de répondre des dégradations du bien loué qui subviendraient pendant le bail et pour lesquelles il serait responsable, de ne pas céder tout ou partie de son droit de bail, de souscrire personnellement une police d’assurance obligatoire contre l’incendie, les explosions et autres sinistres.
Outre cela, «les parties conviennent que la durée de bail (...) ne pourra être inférieure à cinq ans».
A l’annexe 1, le ministre John Tibasima Mbogemu Ateenyi mettait dix villas à la disposition de la Société générale de l’immobilier, toutes dans la commune de la Gombe, trois avenue de la Gombe (n°4, 38, 40), deux avenue Lubefu (n°23, n°33), une avenue des 3Z (n°21), une avenue Goma (n°27), une avenue Uvira (n°56), une Place des Acacias (n°2), une avenue des Cocotiers (n°13).
S’il est acquis que l’Etat congolais est un Etat failli dans ses obligations, on peut considérer cette convention avec un privé comme une tentative de sauver ce qui peut l’être sauf qu’il s’agit d’un accord obtenu sans appel d’offre outre que l’Etat semble s’être offert pieds et poings liés au ressortissant d’un pays dont la réputation établie est la recherche des opportunités des opérations de mafia.
Le Soft International a cherché sur Google l’existence de cette Société générale de l’immobilier, sise boulevard Tshatshi au n°36, en vain et n’a trouvé qu’une vidéo de virée bling-bling avec partie de cigares d’un Rachid Al Chaer présenté comme «patron d’Afri Food ex-Congo Futur». S’agit-il du même homme ?
Reste que les listes des immeubles et villas de l’Etat spoliés finit par convaincre qu’il s’agit d’une opération pensée, réfléchie, planifiée.
Deux des listes consultées par Le Soft International recense une cinquantaine de biens privés l’Etat spoliés, dans les communes de la Gombe et de Limete essentiellement mais aussi dans les communes de Mont Ngafula (S.U. 1984), à Barumbu (S.U. 1557). A Limete, on trouve des biens sur la 7ème rue place commerciale (S.U. 378), avenue Canas (S.U. 498), 11ème rue (S.U.123), 1éème rue (S.U. 674), rue du petit boulevard, 8ème rue (S.U. 473).
Dans la commune de la Gombe, avenue Cocotier (S.U. 3260), avenue Okito, n°60 (S.U. 760), avenue des 3 Z (S.U. 3087), immeuble Ruwenzori (S.U. 4837), immeuble Moanda (S.U. 1478), Galerie Albert (S.U. 2201), immeuble Mungul Diaka (S.U. 4007), avenue Marinel (S.U. 3129), immeuble Bata (S.U.88), immeuble Vodacom (S.U. 109), etc. Sur une autre feuille, des noms sont cités.
Tels Augustin Kitakia (16 ème rue, Limete S.U. 107), Mme Gracia Matawa, Limete (S.U. 1921), Léonard Batende Ruganga (S.U. 571 Limete), Ngoma Masangi (S.U. 3096 Limete), Sabine Mingomba Limeme (S.U. 850 Limete), Mme Bandele wa Elikya (11ème rue Limete, S.U. 712), Tumba Blanco (6ème rue, Limete, S.U. 206), Katchelewa Zakayo (Limete, S.U. 5123), Tambi Tangelo, Minda Yakera, Zola Nzeza Katshekwa Chakayo, etc. Dans nombre de ces immeubles, des caciques de l’ex-parti présidentiel PPRD & Alliés se sont installés, ont installé les leurs, parents, oncles ou multiples épouses dans des maisons spoliés de l’Etat.
D. DADEI.