- mar, 04/02/2020 - 07:58
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1480|MARDI 4 FEVRIER 2020.
Au moins 1000 ex-Interahamwe suivent un cycle de réinsertion au camp de Mutobo.
MUTOBO.
au pied du Mont Karisimbi.
Envoyé Spécial.
Le Rwanda s’est incroyablement transformé. Les investisseurs affluent. A tout coin de rue sort de terre un immeuble en béton et en verre. Tout comme les banques et les hôtels aux enseignes prestigieuses. Marriott Hotel, Radisson Blu Hotel & Convention, Serena, etc.
«SINGAPOUR
SOUS LES TROPIQUES».
La Capitale du Rwanda est une ville propre et verte où jeter une feuille dans la rue, pire, un papier plastic, est synonyme de délit.
«C’est Singapour sous les Tropiques», commente un homme.
Les petites cabanes d’antan faites de terre et de tôles rouillées ont été rasées par une suite de buldozers et leurs propriétaires indemnisés.
«C’est justice», explique un autre homme rencontré à un coin de rue sur un macadam pimpant neuf à l’enrobée à faire pâlir d’envie le Parisien.
Sur la route conduisant à la frontière congolaise à Gisenyi, ville désormais au nom de Rubavu à un jet de pierre de la capitale du Nord-Kivu en passant par Ruhengeri devenu Musanze, rien de ce que fut le Pays des Mille Collines ne ressemble à aujourd’hui.
Des petits et coquets établissements poussent le long de la route serpentée comme jamais au monde où on rencontre de géants longs châssis de conteneurs filant à toute allure vers le Congo où tout manque quand de petites industries produisent jus de fruits extrait du fruit de la passion, lait - le légendaire Kivuguto extrait de la vache -, haricots, thé vert (The Mountains), etc.
«Sous cette terre d’argile, de grands Dieux se sont bien fracassés comme peut-être jamais dans l’histoire et voici le résultat devant vous. Le Rwanda aurait été plus vaste n’eût été ce grondement d’Enfer qui l’a rétréci», ironise mon accompagnateur d’un professionnalisme introuvable.
CORPS DE
LIANE ET ALLURE PARFAITE.
Il pleut dans la contrée mais qu’importe!, policiers et militaires droits dans leurs impeccables bottes, la belle casquette noire visée sur la tête, une tenue du délire dans ces corps de liane où tout embonpoint est exclu, sont à leurs postes.
Il y a des parents qui aimeraient compter sous le drapeau quelques-uns de leurs beaux-fils tellement ces hommes à l’allure parfaite en service toujours à deux semblent mieux habillés que l’est le Rwandais Lambda. «Il n’y a rien au Rwanda qui dépasse la défense, la sécurité du pays et la citoyenneté», m’explique un autre homme.
Pour se rendre à l’aéroport de Kanombe qui va sous peu céder sa place à une gigantesque plateforme qui portera le nom de Bugesera Airport, co-financée par l’émirat du Qatar et pourvue de plusieurs pistes d’atterrissage et de décollage capable de faire concurrence, toutes proportions gardées, à l’aéroport international d’Istambul et que l’on pourra joindre en moins d’une demie-heure, depuis la ville nichée sur une colline, par une autoroute en phase de finition, le voyageur et ses bagages sont soumis à quatre contrôles dont celui d’un chien policier entraîné et à l’odorat développé sous le regard discret mais vigilant de deux ou trois militaires debout depuis plusieurs heures sans bouger sauf quand il s’agit de se dégourdir les jambes, sous un mètre carré, un doigt interminablement sur la gâchette d’un Galil AR, long fusil d’assaut de fabrication israélienne pendant de la ceinture à la chaussure.
Même image devant les hôtels les plus branchés comme sur des ronds points...Rien qu’à la vue de ces hommes qui ne parlent pas, s’occupant de la sécurité de l’Etat et des personnes, leurs armes énormes, le canon aux pieds, c’est comme si vous vous trouviez sur une piste aéroportuaire à Paris ou à Washington. Au fond, difficile de savoir quel sentiment développer: inquiétude, assurance...
Au moment de décoller, Kigali offre un beau visage : toits de tuiles cuites, alignement des maisons formant des demis cercles, cette ville a été pensée, conçue, et il n’hésite pas de place pour le hasard.
CAPTURE
DANS LE PARC DE KAHUZI BIEGA.
Il y a vingt ans, Paul Kagame le Président du pays, avait lancé sa Vision 2020 en vue d’aider le Rwanda à atteindre le statut de «pays à revenu intermédiaire».
A l’arrivée, on peut affirmer que ce Kagame cité en modèle de vision et de gouvernance et qui affecte la disciple et l’ordre strict, a atteint nombre de ses objectifs. Quand on pose la question à un Interahamwe repenti s’il a été surpris par les transformations intervenues au Rwanda après vingt-six ans de brousse, la réponse est sans hésitation.
L’homme dit avoir disposé, pendant toutes ces années, d’une radio portative et savait comment le Rwanda se transformait jour après jour depuis la fin du régime de Juvénal Habyarimana.
A Mutobo, je m’attendrais à voir des hommes et des femmes squelettiques et en guenilles. Ils sont en excellente forme, vêtus comme quiconque, portant un manteau neuf au pied d’une chaîne de montagnes où le Karisimbi congolais qui culmine à 4.507 mètres, est le plus haut sommet des montages des Virunga jetant ses pentes dans le parc rwandais des Volcans. Là où la température peut descendre jusqu’à 5 degrés.
L’explication est dans les conditions d’accueil.
«Ce sont des frères qui m’ont reçu». Il n’envisage pas de retourner au Congo sauf comme touriste avec un passeport rwandais qu’il espère obtenir.
Informé en brousse de ce climat de paix et du pas franchi par le Rwanda dans la bonne direction, pourquoi n’était-il pas revenu plutôt, de son propre gré que plutôt que d’être capturé par des soldats des FARDC, des groupes armés Maï-Maï en compagnie de 3.000 autres Interahamwe dans le parc de Kahuzi Biega?
Le septuagénaire qui se présente comme un artiste ne fournit aucune réponse mais consent qu’il peut s’être agi d’une question d’idéologie. La sienne «ne correspondait peut-être pas à celle établie par le gouvernement» en place à Kigali.
C’est à Mutobo, site d’accueil de la RDRC (The Rwanda Demobilization and Reintegration Commision) que j’ai rencontré cet homme qui a tué ou fait tuer des centaines voire des milliers de Rwandais et de Congolais et violé des femmes.
Quand la question de viol des femmes est posée, il explique qu’«il y a au Congo beaucoup d’idéologies». La sienne n’a jamais pratiqué le viol d’autant que lui et ses camarades étaient tous en famille.
Sur la qualité d’accueil au centre de Mutobo, «les époques changent. Les conditions d’accueil sont très très bien. Notre capture a été heureuse. Nous sommes devenus des Rwandais», explique-t-il.
«NOUS NE POUVONS LES ABANDONNER».
Sur ce site d’accueil, séjourne 1000 hommes et femmes arrivés en décembre. Depuis que la commission RDRC existe, 11.000 combattants ont été reçus à Mutobo. Des rapatriés volontaires se sont rendus eux-mêmes. D’autres ont été capturés par les FARDC, la MONUSCO ou les groupes Maï Maï.
Depuis l’investiture le 24 janvier 2019 du Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombe, le nombre d’Interahamwe aux origines politiques multiples (FDLR, CNRD, RNC, RUD, CNDF, etc.) arrivés à Mutobo a connu un important bond en avant. La Commission salue la vision et le leadership du nouveau Président congolais. «Nous travaillons à ce qu’aucun Rwandais ne reste au Congo. Le Rwanda dispose d’assez d’espace et d’assez de moyens financiers pour accueillir les siens», explique un membre de la RDRC qui s’exprime dans les trois langues officielles du pays, le Kinyarwanda et l’anglais et, parfois, le français. Cette équipe à la compétence avérée compte des commissaires, des experts en plusieurs domaines, humanitaire, psychologie pour la désintoxication, éducation professionnelle (formation à des métiers, coupe et couture, maçonnerie, agri-élevage, cuisine, hôtellerie, etc.). Elle compte des civils, des militaires, des policiers.
Un cycle d’insertion s’étend sur trois, six mois voire neuf; selon les cas.
Les rapatriés qui ont un dossier de justice et sont reconnus coupables partent en prison. Les autres insérés ou réinsérés reçoivent, à la fin de leur cycle, un «paquet de subsistance ou de réinsertion» pour lancer des «petits projets socio-économiques générateurs de revenus», US$ 100,00 ou US$ 200,00, selon le cas. D’autres sont admis à l’école classique, à l’université par exemple. Dans le petit groupe venu à ma rencontre figure un colonel FDLR, Narcisse Musabyimana, capturé en décembre 2019 par les FARDC lors d’une traque à Walungu, groupement Ngweshe au Sud Kivu. Il dit avoir quitté le Rwanda en 1994 avec la défaite de l’armée de Habyarimana avant de faire un véritable tour d’Afrique centrale, les deux Congo, la Centrafrique où il a pris part aux combats de Bangui aux côtés des rebelles de Jean-Pierre Bemba.
Avec d’autres combattants, le colonel est recruté par le président Laurent-Désiré Kabila et envoyé au front, avec ses camarades - une grosse compagnie - au Katanga, à Pweto, se battre contre les forces du RCD.
Il rappelle ses hauts faits d’armes à l’AFDL : contre des contingents tchadiens, contre des soudanais, etc. Au Congo, Tingi Tingi, N’Sele, Camp CETA, Ifondo, aéroport de la Luano à Lubumbashi, Kamina, etc., avant d’être admis à l’Université de Lubumbashi où il fait Science Po qu’il interrompt avec la campagne de stigmatisation des Rwandais qui le déclare persona non grata sur le campus. Et retourne dans la forêt.
En dépit du grand nombre de rapatriés, la RDRC reconnaît que le succès n’est pas toujours au rendez-vous. «Il arrive que des rapatriés retournent d’où ils venus mais leur nombre est infime : 1%. Quant à nous, nous à cœur de ne jamais les abandonner. Nous organisons un suivi continu de ces compatriotes afin qu’ils ne repartent pas». Puis : «Nous avons foi d’en faire des citoyens Rwandais à part entière». D’excellents signaux quand le Président Kagame s’adressant aux Ambassadeurs lors de la cérémonie d’échange des voeux 2020 note un redressement des relations avec Kinshasa. «Le Rwanda apprécie les relations productives avec notre pays voisin à l’Ouest. Nous avons entretenu des relations difficiles dans le passé. Il existe désormais une bonne collaboration sur le commerce transfrontalière et des infrastructures conjointes ainsi que sur les urgences de santé publique entre le Rwanda et le Congo. Nous saluons les efforts du Président Tshisekedi et des Forces Armées congolaises pour stabiliser l’est du Congo. Cela a donné de très bons résultats. Nous avons déjà vu certains de ces groupes qui se déplaçaient d’un endroit à l’autre, principalement entre deux de nos voisins. Certains d’entre eux ont été appréhendés. Ils sont ici et ils sont devant les tribunaux. Nous apprécions donc le soutien de nos partenaires dans le processus de réhabilitation et de réinsertion».
D. DADEI.