- ven, 15/03/2019 - 06:32
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Sous Mobutu, il a été tout. Premier ministre, ministre d’Etat chargé de l’Intérieur, ministre de la Justice, ministre des Transports, ministre du Plan et Reconstruction et, last but not least, président du très respecté Conseil judiciaire. Outre des fonctions au sein du MPR où il fut membre des organes dirigeants du parti-Etat. Député national honoraire connu pour sa rigueur scientifique et son franc-parler, Joseph N’Singa Udjuu Ongwakebi Untube - l’homme de Nsontin - a pris, lundi 11 mars, le micro à son domicile de la Gombe, pour s’exprimer sur ce qu’il connaît sans doute le mieux, la justice congolaise et,... les enjeux du processus électoral congolais. Il le dit sans ambages. «Dans le secteur politique, avec le système de scrutin au second degré, la corruption des députés provinciaux pour l’achat de leurs voix lors du vote des gouverneurs et des vice-gouverneurs est devenue une preuve de puissance financière pour plusieurs candidats qui ne se gênent même pas, d’étaler sur la place publique leurs taux de corruption à proposer aux députés provinciaux».
Du coup, «le Président de la République doit réagir immédiatement en sa qualité de garant du bon fonctionnement de toutes les institutions tant nationales que provinciales». Ci-après la déclaration publique du Patriarche Joseph N’Singa Udjuu.
DECLARATION.
Dans le discours-programme de son Excellence Monsieur le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshsilombo, l’on peut relever quelques points essentiels dont le combat des antivaleurs qui rongent la société congolaise, particulièrement la corruption et l’amélioration des conditions de vie des populations congolaises.
La corruption certes existe dans tous les pays du monde et se pratique dans les conditions quasi discrètes, mais en République Démocratique du Congo, la corruption - qui a pris des proportions inquiétantes - s’opère dans tous les secteurs de la vie nationale, d’une façon quasi officielle et en toute impunité.
Dans le secteur politique, avec le système de scrutin au second degré, la corruption des députés provinciaux pour l’achat de leurs voix lors du vote des gouverneurs et des vice-gouverneurs est devenue une preuve de puissance financière pour plusieurs candidats qui ne se gênent même pas, d’étaler sur la place publique leurs taux de corruption à proposer aux députés provinciaux. Une fois élus et installés à la tête de la Province, le Gouverneur et le Vice-Gouverneur s’emploient d’abord à utiliser les ressources publiques pour recouvrer d’importantes sommes d’argent dépensées pour l’achat des consciences des élus provinciaux et ensuite pour étouffer tout au long de leur mandat toute tentative des députés provinciaux de contrôler leur gestion de la Province. Dans de telles conditions, nous pouvons affirmer que les ressources générées par les provinces ne profitent pas aux populations qui continuent jusqu’aujourd’hui de croupir dans la misère. Ensuite, il y a lieu de signaler qu’avec le système actuel de placer à la tête de nos provinces des gouverneurs et des vice-gouverneurs originaires de ces provinces, le régionalisme, le tribalisme et le clanisme ont fortement refait surface dans notre pays, étouffant ainsi le sentiment de nationalisme et de patriotisme permettant a tout congolais de servir son pays sur toute l’étendue du territoire national.
Devant une telle situation qui compromet dangereusement la cohésion et l’unité nationales et ne profite pas aux populations de nos provinces, le Président de la République doit réagir immédiatement en sa qualité de garant du bon fonctionnement de toutes les institutions tant nationales que provinciales. Ainsi, en attendant que certaines dispositions constitutionnelles et légales en matière de désignation des gouverneurs et vice-gouverneurs soient revisitées, le Président de la République, Chef de l’Etat est invité à nommer par ordonnance les personnalités chargées de diriger les 26 Provinces du pays. Ces personnalités doivent être choisies parmi les non originaires des provinces à diriger. A la suite de cette décision du Président de la République, la Commission Electorale Nationale Indépendante
doit immédiatement suspendre les opérations d’élections des Gouverneurs et Vice-Gouverneurs à travers le pays. Toujours dans sa recherche de renforcer l’unité et la cohésion nationale et d’améliorer les conditions de vie des populations paysannes, le Président de la République est invité à nommer à la tête des différents territoires, des fonctionnaires chevronnés et non originaires des provinces dans lesquelles ils seront affectés. Dans toutes ces nominations, l’on devra veiller à ce que chaque Province actuelle soit équitablement représentée. Enfin, nous ne pouvons clore notre déclaration sans rappeler à l’opinion l’importance que Son Excellence Monsieur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République, attache au bon fonctionnement de la justice dans notre pays, conformément à sa dernière déclaration à la presse.
Dans cette recherche du meilleur fonctionnement de l’Institution «Cours et Tribunaux», nous nous permettons de recommander au Président de la République:
- Primo, de révoquer dans les plus brefs délais et de faire arrêter, tous les magistrats civils et militaires reconnus coupables de concussion ou de corruption;
- Secundo, de placer les magistrats dans les mêmes conditions de vie et de travail comme le sont les membres des autres Institutions de la République, que sont le Parlement et le Gouvernement;
- Tertio, de faire traduire en justice, toutes les personnalités accusées de détournement des deniers ou des biens publics.
Retenons tous que la justice telle qu’elle fonctionne actuellement ne peut élever la Nation congolaise. Il est donc urgent de réagir.
Fait à Kinshasa, le 11 mars 2019
JOSEPH N’SINGA UDJUU ONGWAKEBI UNTUBE
Premier Ministre Honoraire
Président du Conseil Judiciaire Honoraire.
Il a une vision sur la justice.
Ancien Premier ministre, ancien président du Conseil Judiciaire, organe qui joua dans l’histoire de l’ex-Zaïre le rôle du ministère de la Justice en coiffant les cours et tribunaux, les idées de Joseph N’Singa Udjuu Ongwakebi Ontube sur la justice congolaise sont généralement connues de ses proches.
Aux yeux de nombreux observateurs, explique-t-il, la justice congolaise apparaît comme une justice à la tête du client, une justice corrompue et incapable de combattre efficacement nombre d’anti-valeurs ayant élu domicile dans le pays. Cas de la corruption, de la concussion, des détournements des deniers et biens publics, du viols et des violations des droits de l’homme.
«On parle démocratie et Etat de droit dans les discours officiels et dans toutes les déclarations politiques mais on oublie qu’il n’y a jamais de démocratie ni d’Etat de droit dans notre pays en l’absence d’un pouvoir judiciaire fort, efficace et indépendant».
Si les magistrats civils et militaires sont généralement bien formés et bien expérimentés, où trouver les causes à la base des dysfonctionnements de l’appareil judiciaire congolais et du comportement défaitiste de certains magistrats dans l’exercice de leur mission de dire le droit? Pour Joseph N’Singa Udjuu, le pays doit préalablement identifier et éliminer ces causes s’il veut espérer tout redressement de la justice dans le pays.
L’ancien Président du Conseil judiciaire cite certaines de ces causes handicapant le fonctionnement harmonieux et efficace du pouvoir judiciaire.
D’abord, la perception incorrecte de la communauté nationale de la place et du rôle du pouvoir judiciaire en son sein, aux côtés des trois autres pouvoirs et institutions de la République, que sont le Président de la République, le pouvoir législatif et le Gouvernement.
Le constat est qu’une grande partie de l’opinion publique congolaise ne se rend pas suffisamment compte que les Cours et Tribunaux constituent une des quatre Institutions de la République énumérées à l’article 68 de la Constitution.
Puisque l’attention et les égards de nombre de Congolais sont principalement tournés vers les institutions politiques, les Cours et Tribunaux sont perçus comme une simple «Haute Autorité Publique spécialisée» à laquelle la Constitution a confié la mission de rendre justice. Du coup, on n’accorde pas aux magistrats la même considération et les mêmes conditions de vie et de travail dont jouissent leurs homologues œuvrant au sein des institutions politiques que sont les Députés, les Sénateurs et les membres du Gouvernement.
Le pouvoir judiciaire apparaît comme une institution de seconde zone et inférieure aux autres institutions.
«Pareille situation provoque nécessairement des grandes frustrations et déceptions dans le chef des magistrats qui se voient victimes d’injustices dans leurs conditions de vie et de travail par rapport aux Honorables du Parlement et aux Excellences du Gouvernement», explique l’ancien Président du Conseil Judiciaire. En vue de mettre fin à ces frustrations, Joseph N’Singa Udjuu préconise de rétablir «un certain équilibre entre les membres de toutes les institutions de la République». L’ancien Président du Conseil judiciaire propose d’une part, que le pouvoir judiciaire jouisse «lui aussi de l’autonomie administrative et financière, en disposant d’une dotation propre, à l’instar de chacune des chambres du pouvoir législatif et du Gouvernement». Comme les Députés, les Sénateurs et les membres du Gouvernement, que les magistrats aient «eux aussi» droit à «une indemnité équitable qui assure leur indépendance et leur dignité». D’autre part, N’Singa Udjuu veut qu’à l’instar des autres pouvoirs constitutionnels, que le pouvoir judiciaire puisse «lui aussi saisir directement le Parlement, afin d’y présenter et de défendre lui-même des textes de lois régissant son organisation et son fonctionnement ou, tout au moins, le pouvoir judiciaire puisse être associé à la préparation des textes de loi devant régir son organisation et son fonctionnement au lieu de le mettre devant un fait accompli face aux textes de loi sur lesquels ses avis et considérations n’ont jamais été préalablement recueillis».
Deuxième cause fondamentale est à la base du mauvais fonctionnement de l’appareil judiciaire? «L’absence totale des mécanismes constitutionnels et légaux susceptibles de permettre au peuple, détenteur primaire et souverain du pouvoir judiciaire d’exercer un quelconque contrôle sur les magistrats pourtant chargés de rendre justice en son nom». «Aujourd’hui, le pouvoir judiciaire apparaît comme la seule institution qui échappe à tout contrôle direct ou indirect du peuple au nom de qui il rend justice. Il n’existe aucune disposition constitutionnelle ou légale faisant obligation aux magistrats de rendre compte au peuple de la manière dont ils rendent justice en son nom. C’est cette absence de contrôle qui est à la base de multiples abus constatés actuellement dans l’administration de la justice qui est quasiment devenue la propriété privée des magistrats, des greffiers et des officiers de l’ordre judiciaire». Plutôt que de continuer à se plaindre du mauvais fonctionnement de la justice et du mauvais comportement de nombreux magistrats, il est urgent d’opérer des réformes constitutionnelles et légales, prévoyant des mécanismes permettant au peuple non seulement d’exercer son droit de contrôle et de sanction sur les magistrats, mais aussi obligeant les magistrats à rendre compte au peuple souverain au nom de qui ils rendent justice».
T. MATOTU.