- mar, 25/02/2025 - 00:17
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1630|LUNDI 24 FÉVRIER 2025.
Les anniversaires sont des moments de jeter un regard sur le passé. Au centenaire de la Mission Catholique Yasa, diocèse de Kikwit, célébré l'année dernière, le regard s’ouvre sur une anecdote en rapport avec ses origines.
C’est la confrontation entre Catholiques et Protestants lors de la colonisation qui a conduit les Jésuites, les premiers missionnaires catholiques au Kwilu-Kwango, à s’installer à Yasa. Pour éviter les affrontements entre les deux religions qui, depuis la métropole, se regardaient en chiens de faïence, l’État colonial avait établi un principe d’intangibilité des frontières des missions : le droit du premier occupant. Les Jésuites devaient faire vite pour verrouiller l’espace entre les rivières Inzia et Kwilu, pour contrer les Baptistes qui avaient déjà jeté l’ancre à Vanga.
Ils vont construire trois forteresses pour les tenir en respect, avec au Sud la MC Kingungi, au Nord la MC Yasa et à l'Est, la MC Djuma. Depuis une décennie, le récit du Diocèse de Kikwit au Kwilu est focalisé sur les missions qui fêtent les unes après les autres leurs centenaires d’évangélisation. Au mois de juillet 2024 ce fut le tour de la Mission catholique de Yasa, mieux connue comme Bonga-Yasa, fondée par le Jésuite Henri Van Schingen, mais, construite presqu’essentiellement par son collègue et compagnon de la première heure, l’Italien Joseph Greggio. Ce qui lui a valu un culte de la part des Chrétiens et du groupe folklorique Mokamo Populaire.
En marge de ce centenaire, pour lui rendre un hommage posthume, l’ASBL Bana Greggio, composé de Bana Makwela, a organisé conjointement avec le Curé doyen Toussaint Pidi, la cérémonie d’exhumation et de réinhumation de la dépouille de Mfumu Nkuluntu Greggio. Désormais, il repose, comme il l’avait souhaité de son vivant, derrière l’Église Saint Louis, son opus. Les morts ne sont pas morts, écrivait Birago Diop.
Un fait insolite qui indiquerait que Greggio a apprécié l’acte posé à son endroit est qu’au moment où sa dépouille redescendait à la terre, le sol de Yasa a été secoué par une tempête de tonnerre. Pour le président Patience Kiteba de Bana Greggio, « cela ressemble aux 21 coups de canon qui annoncent le départ au-delà des Grands Personnages. C’était terrible, j’ai dû me réfugier pour me protéger, témoigne le frère Eric Lemba, de la Congrégation des Frères Joséphites de Kinzambi».
C’est depuis une année que les manifestations commémoratives ont commencé avec la messe d’ouverture célébrée, en décembre 2023, par Mgr Timothée Bodika Mansiyayi, fils de Masimanimba, évêque du Diocèse de Kikwit. Pour la clôture, deux activités majeures ont immortalisé ce centenaire, la méga messe concélébrée par une centaine de prêtres sous la présidence du même prélat à laquelle assistait une foule nombreuse de fidèles, et le colloque scientifique organisé par le professeur jésuite Lucien Madiangungu Kikuta qui avait précédé de trois jours la grand-messe dont le thème était « Jésuites, Abbés, Frères, Sœurs et Fidèles laïcs : Collaborateurs au service de la « trilogie missionnaire » au sein du Complexe Yasa-Bonga-Kiniati. Regards croisés ».
Initiative bien accueillie, ce colloque poursuivait trois objectifs. Le premier consistait à réfléchir sur l’état de la Paroisse de Yasa qui comporte aujourd’hui trois nouvelles paroisses issues de ses limites d’origine (Tumikia en 1957, Kitoy et Mokamo en 2019) et quatre sous-paroisses (Kiniati Saint Michel, Aumônerie Bonga, Fula et Luwanga), en tournant un regard rétrospectif vers son parcours centenaire, de ses origines en 1924 à nos jours. Le deuxième était de regarder et voir la complexité de la réalité actuelle de cette paroisse, en considérant les défis multiformes qui se posent quant à la poursuite de sa mission d’Église-Famille au service de l’annonce et du témoignage évangélique.
Et enfin, projeter la MC Yasa dans l’avenir en abordant les défis de l’heure comme autant d’opportunités susceptibles d’engager la responsabilité des chrétiens dans la recherche des voies de proximité pour la relever et aller de l’avant avec l’audace qui vient de l’Esprit et la créativité qui a caractérisé les fondateurs de Yasa et leurs successeurs. Au total, huit communications ont été livrées, focalisées sur trois axes: l’axe historique, l’axe pastoral et l’axe socio-économique.
S’agissant des résolutions pratiques prises lors de ces réflexions, elles touchent à la réorganisation de la vie de la paroisse afin de mettre en place des structures qui facilitent son épanouissement et son développement (le conseil paroissial, les différentes commissions), à l’impératif de faire de la paroisse une industrie de production en voyant comment travailler avec le peu qui s’y trouve et surtout bien prendre soin des biens communs et enfin, à se débarrasser de la mentalité d’assisté, de l’aide extérieure en comptant sur ses propres forces par la relance des activités qui ont fait l’âge d’or de Yasa tels que la menuiserie, les travaux de l’étang, l’élevage du gros bétail.
Prenant acte que l'époque de la manne est passée et dépassée, les participants ont insisté sur l’impérieux changement des mentalités à opérer et lancé un appel à tous les chrétiens de Yasa pour œuvrer activement et en toute conscience, honnêtement et ce dans l’harmonie, le dialogue et la compréhension mutuelle. Les mégatendances d’aujourd’hui notamment l’écologie et les NTIC n’ont pas laissé les participants indifférents.
Un appel a été ainsi lancé pour éduquer les esprits à la bonne préservation de l’écologie et aux personnes de bonne volonté pour l’implantation d’une radio communautaire. Soucieux des générations futures ce colloque scientifique a forgé un slogan mobilisateur pour le deuxième centenaire : « Yasa d’abord, Yasa avant tout, Yasa en première position».
Le colloque qui a pris trois jours a vu intervenir des religieux, des professeurs d’université et d'autres chercheurs. On cite entre autres les Pères Jésuites Lucien Madiangungu et Ernest Kombo, des Abbés Guillaume Mukwanga, Guy Masieta et Dosithée Kembie, des Frères Joséphites de Kinzambi, dont le Professeur Gilbert Nakahosa et Hubert Ndikita Ngunza et d'un ancien élève de l’Institut Sainte Marie de Yasa Désiré Muwala-La Bol’Makob Matala-Tala, PCA de l’Autorité de l’Aviation Civile, AAC.
Axée sur la recherche des voies et moyens en vue de sortir de la crise, la Paroisse Catholique Congolaise et celle de Yasa, la réflexion de Muwala est intitulée « le modèle de gouvernance économique des missions catholiques hérité de la colonisation peut-il aider à résoudre la crise de la paroisse d’aujourd’hui, cas de la MC Yasa».
Ci-après :
«Précarité, prévarication, infrastructures délabrées et immenses déficits, etc., ces maux qui rongent la paroisse catholique congolaise en général et la Mission Catholique de Yasa en particulier. Le défunt Mgr Marie-Édouard Mununu-Kasiala (né le 15 août 1936 à Bukanga-Pindi, diocèse de Kikwit, décédé le 5 décembre 2022 à Bruxelles) semble en avoir mesuré l’ampleur avec amertume lors d’une rencontre avec un évêque japonais possédant un jet privé pendant que lui trimait à trouver un véhicule. C’est là l’impact de la crise multiforme congolaise sur sa sphère spirituelle.
Cependant, l’œuvre d’évangélisation est une cause sacrée qui doit se poursuivre jusqu’au retour du Christ, car « ni les Chrétiens, ni l’Église ne peuvent exister ou fonctionner sans économat… Tout comme l’essieu est au centre de la roue et celle-ci porte le poids du wagon, Christ est le centre de la vie de l’économe ». D’où, l’impérieuse nécessité d’une quête de solution à cette crise structurelle.
Notre sujet y puise un fil conducteur de recherche pour une sortie de crise afin que la MC Yasa puisse retrouver sa trajectoire de prospérité d’antan. Ce texte se subdivise en quatre chapitres, puis d’une conclusion :
1. La géographie de la MC Yasa et sa place dans le diocèse de Kikwit ; 2. Le fonctionnement de l’économat colonial : apogée et crise ; 3. Les tentatives de redressement ; 4. Les pistes de solutions innovantes et durables.
I. La géographie de la MC Yasa et sa place dans l'évangélisation du diocèse de Kikwit.
La Mission de Yasa s’étend sur un vaste territoire situé dans la partie occidentale de la province du Kwilu. Couvrant pratiquement tout le territoire de Masimanimba à sa création en 1924, elle a subi plusieurs modifications territoriales à la suite de création de nouvelles paroisses en son sein (Tumikia en 1957, Kitoy et Mokamo en 2019).
Actuellement, la paroisse compte quatre sous-paroisses : Kiniati Saint Michel, Aumônerie Bonga, Fula et Luwanga. Elle est gâtée par la nature. D’abord construite au confluent de deux rivières, la Lukula et la Yasa comme «(...) les missions et les villes au début de la colonisation», et puis traversée par les rivières navigables Inzia et Lukula, qui arrosent un espace fertile offrant plusieurs opportunités avec de fortes potentialités en élevage du gros bétail.
Yasa est surtout connu pour être un des centres de rayonnement intellectuel du Kwilu avec dans son hinterland le Collège Saint Ignace de Kiniati, le creuset où une bonne partie de l’élite du Kwilu a été formée ; l’École d’infirmières de Bonga, créée par Dr A.-M. Verwilghen et l’Institut Sainte Marie de Yasa, ISMY, fondé en 1962 par le dynamique frère joséphite Nestor Miwu.
Kiniati a eu le bonheur de propulser la MC Yasa au panthéon de l’histoire nationale, étant archivé comme l’un des trois premiers collèges des humanités complètes du pays avec les Collèges Jean-Berghmans de Kamponde au Kasaï et de Mbanza-Mboma au Kongo Central, qui ont composé la première promotion d’étudiants à l’inauguration, en 1954, de l’Université Lovanium.
Dans le Diocèse de Kikwit, la MC Yasa, mieux, le trinôme Bonga-Yasa-Kiniati se taille une place de choix parmi les trois pôles de l’évangélisation à coté de Kikwit-Leverville/SOA-Makungika et de Djuma, le berceau de la vie religieuse jésuite en Afrique centrale. Selon le Jésuite Lucien Madiangungu Kikuta, Yasa était en compétition avec Djuma dans le choix du lieu devant abriter « le premier Noviciat congolais d’une congrégation sacerdotale missionnaire».
II. Le fonctionnement de l'économat colonial : apogée et crise.
L’économie de la mission catholique, mieux son économat reposait à l’époque coloniale belge sur une série de paramètres dont certains ne sont plus reproductibles. Il s’agit des catéchumènes, fruit de la foi ardente, appelés «Bana midi», inscrits pour deux ans de cours de catéchuménat avant de recevoir le baptême, qui ont constitué une main-d’œuvre abondante et gratuite ayant servi à la construction à moindre coût de principales infrastructures; dons paroisse demandés aux fidèles qui étaient mensuels dans le diocèse de Kikwit ; la quête, le fameux makabu, offrande faite au cours de la messe par les fidèles; du casuel, offrande faite à l’occasion des baptêmes, mariages et sépulcres; intentions de messe, dons que font des paroissiens lorsqu’une messe est célébrée à une intention particulière; dons et legs provenant des parents des prêtres européens, des personnes de bonne volonté et surtout de Caritas Internationalis et autres organismes d’aide à l’Église missionnaire; dividendes tirés de certaines activités génératrices des revenus et enfin, subsides gouvernementaux pour les œuvres sociales.
Bref, il s’agit essentiellement des ressources de la charité qui ont permis aux missionnaires de réaliser d’importants investissements dans les infrastructures socio-culturelles (couvents, églises, écoles, internats, hôpitaux, orphelinats, maisons des enseignants et des catéchumènes) et dans des activités génératrices des revenus tels l’élevage, l’imprimerie, la menuiserie, etc.
Face à l’immense tâche d’évangélisation, d’éducation et de santé, les missionnaires faisaient feu de tout bois, car, les élèves ont aussi été mis à contribution en fournissant des matériaux de construction et divers services. Par exemple, dans les années 1950, à mon école de Buseke, située à 60 kms de Yasa, notre travail manuel consistait à creuser pour déterrer des vieilles briques des maisons tombées en ruines après la délocalisation, à la fin des années 1930, des activités commerciales du Centre de Mushuni à Mokamo CÉKA.
Elles étaient dans la suite acheminées à Yasa. Buseke n’était pas une exception : dans tous les postes, les élèves construisaient les maisons en pisé/paille des enseignants et des écoles. À Yasa, on est loin d’oublier le travail manuel exigé de chaque élève : cultiver un lopin de terre dans un jardin aménagé. La récolte approvisionnait et les internats et le marché local. Il faut ici rappeler un facteur crucial qui ne reviendra plus : le travail forcé. En effet, comme l’écrit E. Pinipini : «Les efforts demandés aux Congolais pour construire les missions sont les mêmes que les travaux forcés auxquels ils sont soumis dans les villes et villages».
Résultat : dans la décennie 1950, l’économat colonial était à son apogée. Yasa était déjà une grande cité moderne resplendissante avec ses couvents calqués sur le modèle architectural des Basiliques romaines, ses camps des enseignants, appelés Makwela et des catéchumènes, ses hôpitaux, ses écoles, ses dortoirs et réfectoires pour filles et garçons. Tous ces quartiers étaient approvisionnés en eau courante et en électricité. Les salariés de la Mission étaient régulièrement payés, les internats approvisionnés à temps par l’inamovible Ernest Pemba et l’atelier de menuiserie fournissait aux écoles les pupitres dont elles avaient besoin.
Une anecdote de Damase Kabuna, un ancien maître de Yasa : lors des obsèques d’un curé à Yasa, l’évêque venu pour pleurer son prêtre était émerveillé de voir le beau cercueil fabriqué par le menuisier de la mission avec des planches venant de la MC Djuma. Lorsque pour la première fois, je la découvre, en 1955, à l’occasion d’un concours d’admission, je suis subjugué par la splendeur de ses bâtiments, la grandeur nature de ses statues, le beuglement de tant de vaches broutant le gazon, la richesse de son charroi automobile et la constellation des soutanes blanches dans un maelström humain.
Malheureusement, sous l’effet de la crise multiforme que vit le pays depuis son indépendance, ces rentes se sont vite épuisées. La courbe du catéchuménat a été inversée par le phénomène du baptême des enfants à bas-âge; l’affadissement de la foi a amenuisé les makabu; la sécularisation de l’Occident a rétréci l’assiette de la collecte de fonds par Caritas et la succession des prêtres expatriés nantis par des autochtones sans ressources.
En effet, selon le Jésuite Lucien Madiangungu, les prêtres expatriés jouissaient de la solidarité villageoise, paroissiale, voire diocésaine de leurs pays d’origine, qui cessait à leur départ, privant ainsi leurs anciennes paroisses de cette sève vivifiante. Cette solidarité était à rebours pour les prêtres africains qui, parfois, continuent à partager les maigres deniers du culte avec leurs proches.
En 1959, la MC Yasa a connu un tournant historique, avec la nomination du premier curé congolais, en la personne de l’Abbé Léon Nkama. L’avènement de ce prêtre de transition, par ailleurs, un des personnages culte de la mythologie de l’indépendance a été ressenti par les chrétiens comme signe précurseur de la décolonisation de l’Eglise. Encore qu’on lui prêtât des pouvoirs surnaturels. Comme dans cette anecdote certifiant qu’en plein vol, son avion en panne de carburant causée par les colonialistes pour l’assassiner, a été miraculeusement approvisionné aussitôt qu’il a ouvert son bréviaire. Ce qui lui vaut d’être accueilli en héros lors de la tournée entreprise dans les villages de sa nouvelle Mission.
À l’étape de Bwatundu-Koy, papa Munsié lui a dédié une chanson célèbre chantée pour vénérer les chefs : Luyo Nkam may’a, bangaa maal. La reprise de la gestion des Missions par les autochtones, boostée par le « les soleils des indépendances » et la politique de l’aggiornamento de l’Église promue par le Concile Vatican II (1962-65) se révèle dramatique notamment à Yasa à cause de la disparition de l’équilibre financier décrit ci-dessus. Preuve : les dernières constructions, le couvent des Frères Joséphistes et une villa des professeurs remontent à 1966. À propos de ces bâtiments que les Frères ont érigés dans le jardin potager, qui servait de matériel didactique pour apprendre aux élèves les bouillons de culture des plantes, on peut se demander avec Francis Fukuyama, si c’est la fin de l’histoire ?
III. Tentatives de redressement.
Les espoirs suscités par la reprise en mains de l’église par les autochtones s’évanouissent rapidement à mesure que les ressources qui ont fait le succès du modèle colonial se raréfient. Ainsi, Yasa ne peut plus compter que sur les reliquats constitués essentiellement du cheptel du gros bétail. Non seulement la gestion du kraal pose problème, mais Léon Nkama est souvent en conflit avec l’économe, le père Mali pour le paiement des factures des fournitures destinées à sa ferme privée.
Lorsqu’en 1992 , la Compagnie de Jésus qui gérait la MC Yasa depuis sa création en 1924 a cédé la Mission au Diocèse de Kikwit, le rapport de remise-reprise a dressé l’inventaire de 1.903.040 FB, 3 véhicules, des chambres bien équipées et de 269 vaches alors que les effectifs s’élevaient en termes de milliers de tête de bétail. De leur côté, les Frères Joséphistes ont commis une erreur monumentale, cause de leur appauvrissement, en se partageant les vaches, à l’occasion du cinquantenaire de leur congrégation, en 1989, afin de permettre à chacun d’aider sa famille.
Face à ce naufrage, plusieurs tentatives de sauvetage sont menées dont la plus prometteuse aura été, sans doute, l’action de lobbying menée par l’Abbé Willy Manzanza, prêtre congolais vivant en Allemagne. En effet, en 2006, il a facilité la conclusion d’un partenariat entre la Paroisse Putchen de l’Allemagne et la Mission de Yasa avec dans l’escarcelle 70.000 euros libérés intégralement et mis à la disposition du Curé de l’époque. Cet argent frais a permis de réaliser plusieurs activités créatrices des revenus, notamment la création d’un kraal des bovins, d’une porcherie, des étangs.
Cette coopération a été interrompue lorsqu’un contrôle a révélé une gestion peu catholique au point que lorsque le Curé Toussaint Pidi est arrivé, dix ans plus tard en 2017, il n’y avait pas trace de ces investissements. La faillite retentissante d’un projet qui a bénéficié d’un si grand capital financier relance l’épineuse question de la gestion des projets dans nos paroisses notamment à Yasa, qui n’a pas, à ce jour, installé le conseil paroissial.
La deuxième tentative aura été un succès qui démontre qu’avec un peu de bonne volonté, on peut renverser la vapeur. Il s’agit de l’initiative entreprise, il y a deux ans, par l’Abbé Toussaint Pidi, curé doyen de Yasa, à l’occasion du centenaire de la présence des Sœurs de la Charité de Namur au Congo. Ce projet a permis à Bonga-Yasa-Bwalayulu d’être desservi en eau et en électricité.
IV. Pistes de solutions innovantes et durables.
Il va de soi que la recherche de la reproduction de l’économat version coloniale devient illusoire. Il convient d’inventer un nouveau modèle qui prend en compte la nouvelle donne. Cette dernière se caractérise par deux composantes. La première est d’origine interne à l’église comme nous l’avons déjà souligné : la base matérielle de l’économat fondée sur la charité et l’idée d’une église en expansion continue ont subi une mutation.
L’avenir de l’église se trouve au Sud, qui est malheureusement, matériellement encore pauvre. Si la solution palliative qui consiste à laisser aux Chrétiens le financement de leurs paroisses, elle donne des résultats mitigés en ville, à fortiori en milieu rural où sévit une grande pauvreté.
À ce sujet, la Paroisse Saint Noé Mawaggali à Kinshasa Mont Ngafula s’invite au débat. C’est depuis plus de six ans que son curé, l’Abbé Grégoire Nswami peine à parachever la construction d’un immeuble à un seul niveau financé sur Nsisani des fidèles.
La seconde composante est externe. Le monde a radicalement changé, notamment dans le domaine économique avec le triomphe de la révolution conservatrice Reagan-Thatcher des années 1980. Cette révolution a remplacé le vieux consensus keynésien de l’État-Providence combinant les objectifs économiques et d’équité sociale par un nouveau consensus mondial privilégiant la seule efficience économique, le Consensus de Washington.
Ce modèle néolibéral qui a fait de la pauvreté, un choix politique, l’a rendue massive et a creusé des inégalités criantes. Selon le FMI, les 10% les plus riches empochent 52% de l’ensemble des revenus, tandis que la moitié la plus pauvre de la population en perçoit seulement 8.5%. Deux conséquences sont à tirer de ce modèle néolibéral pour notre sujet : l’État-providence qui protégeait le pouvoir d’achat est mort, il a été remplacé par le marché, la fameuse main invisible d’Adam Smith.
Désormais, c’est dans cette nouvelle bible des économistes qu’il faut trouver le sésame des versets du financement de l’économat. À la MC Yasa, les chrétiens sont convaincus que cette remise en question ne peut réussir sans invoquer les mânes de ses bâtisseurs. Ils évoquent le martyre de l’ancien curé, le Jésuite italien Joseph Greggio, considéré comme la cheville ouvrière de la construction de la Mission pendant 29 années.
En 1957, le jésuite belge Charles lui a succédé lors de l’épilogue de ce qu’on pourrait qualifier de divergence d’approche en matière d’évangélisation. Greggio, conscient de la nécessité de disposer de la main-d’œuvre permanente, maintenait le baptême des catéchumènes après deux ans d’évangélisation pendant que son vicaire, l’abbé Thomas Gumakesa, assurément un anticolonialiste, allait dans les villages baptiser sans délai, comme l’Abbé Eloi Musongi à Kibwari. Dépité par le traitement d’ingratitude lui infligé, le père Greggio a quitté son manoir pour aller construire un autre, Mosango.
Avant de partir, il aurait secoué contre les populations de MC Yasa la poussière de ses pieds, jurant de ne plus y mettre pied ni d’y être enterré. Cette malédiction expliquerait le blocage du développement de la MC Yasa. Divulgué près d’un demi-siècle après sa mort par son confident, Wenceslas Kiteba Muzama, le chef de secteur de Mokamo de l’époque, le testament post-mortem de Mfumu nkuluntu Greggio a été lu au cours de la messe de l’ouverture du centenaire de la MC Yasa, le 8 décembre 2023, présidée par Mgr Timothée Bodika, évêque de Kikwit, qui a assuré la médiation de la catharsis collective.
Revenons sur terre, la paroisse a impérieusement besoin d’une réforme qui passe par la découverte de la culture d’entreprise pour «doing business and making money». Pour survivre, elle doit se doter d’un économat avec des nouvelles missions et structures. Selon le droit canon, « doté d’une compétence canonique, l’économe diocésain administre sous la responsabilité hiérarchique directe de l’évêque les biens et ressources de l’église diocésaine et veille à la cohérence entre choix pastoraux et moyens économiques».
Nous pensons à la séparation de ces deux fonctions de telle façon que l’économe ne s’occupe que de brasser de l’argent et que la fonction de cohérence revienne à l’autorité hiérarchique. En conclusion, cette réforme fondamentale, doit s’accompagner sur le plan philosophique du changement de paradigme de financement de l’église dont le trait caractéristique est la charité.
Cette remise en question doit viser la reconversion de l’économat-charité en économat-business en s’inspirant de l’éthique protestante qui a révolutionné le capitalisme, à l’instar des paroisses protestantes occidentales. Nous pensons qu’elle doit commencer par les fondamentaux pour introduire le cours de management dans le programme de formation des prêtres. L’économe devrait donc être formé à l’esprit du management qu’enseigne Peter Drucker, pour devenir un entrepreneur au sens schumpetérien du terme.
Il doit posséder une expérience dans la maîtrise de la gestion budgétaire, financière et des placements. Comme chef d’équipe, il devrait garantir la bonne gestion des cinq grandes fonctions de l’économe : développement des ressources et conduite des projets ; administration, comptabilité, finances, fiscalité, assurances; gestion des ressources humaines ; gestion de l’immobilier et gestion de la dimension juridique. À ce sujet, les structures paroissiales de cogestion entre le curé et les fidèles ne changent pas la dimension du problème de gestion par des financiers chevronnés.
D. MUWALA-BOL’MAKOB MATALA-TALA.