- jeu, 28/11/2019 - 03:55
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1473|JEUDI 28 NOVEMBRE 2019.
Au mois d’août dernier, une commission d’enquête parlementaire du Kongo Central a dénoncé une situation de mauvaise gestion du poste de péage sur la RN1 accusant les services officiels affectés à la collecte de cette taxe de détournement des fonds, évoquant la Constitution qui institue la rétrocession, estimant que 40 % des recettes de ce poste péage devaient revenir à la province. Sauf que chiffres à l’appui, l’ACGT défend et vante le Business Model de concession conclu avec des entreprises du secteur privé dans le cadre des contrats chinois qui vient de générer un chiffre record de US$ 2,3 milliards en 2017 et a permis de lancer d’importants ouvrages d’infrastructures à Kinshasa et dans l’arrière-pays.
Des débats à en point finir au Kongo Central. Faut-il interdire l’érection du pont Brazzaville-Kinshasa sur le fleuve et bloquer la marche du développement du Continent quand l’Afrique unanime presse, que la BAD, Banque Africaine de Développement se déclare prête à débloquer d’importants fonds en vue de relancer l’Afrique? Le sujet fait polémique au Kongo Central où des voix farouchement opposées hier à ce projet semblent cependant avoir évolué ces derniers mois et n’exigeraient finalement que «la construction au préalable» du port en eau profonde de Banana, projet ambitieux datant des années Mobutu, non loin de la ville de Muanda, à l’embouchure du fleuve qui permettrait de sauver l’économie de la province menacée par le projet d’érection du pont à Kinshasa.
DES VOIX DISCORDANTES.
Faut-il privilégier une province seule même si les communautés demandent à être consultées en toute matière d’intérêt général ou, au contraire, le Congo, l’intérêt national et donc, le Continent africain? A en croire des ténors locaux, l’arrivée du pont sur le fleuve réduirait à néant l’économie du Kongo Central basée sur ses deux ports Boma et Matadi au profit du port brazza-congolais de Pointe-Noire déjà porte d’entrée du bassin du fleuve Congo desservant au moins six pays, Centrafrique, Tchad, Cameroun, Gabon, Angola et... Congo-Kinshasa.
Quand dans la Capitale, un Gouvernement national invoque des raisons de sécurité, veut sauvegarder des vies humaines autant que placer la mobilité dans le pays sur un standard international, et décide de limiter l’importation de véhicules à moteur à un type d’automobiles - interdiction d’importation d’engins de plus de dix ans - à Matadi et Boma, des voix s’élèvent et mobilisent. La mesure va asphyxier l’économie de la province bâtie autour... des importations des véhicules. C’est comme si le Congo doit servir de cimetière d’engins déclassés dans leurs pays d’origine, interdits de circulation et voués à la casse... Si l’Etat a mission d’écoute de sa population, il a aussi mission d’explication sinon aucune infrastructure d’envergure - pont, viaduc, tunnel, etc., - nécessitant un aménagement de territoire, ne serait possible...
En août, une commission parlementaire du Kongo Central a clos une enquête sur le péage sur la route nationale n°1. Dénonçant un état de mauvaise gestion de la ressource provenant du péage, accusant des services officiels affectés à la collecte de cette taxe de détournement des fonds, évoquant la Constitution qui institue la rétrocession aux provinces, estimant que 40 % des recettes générées par le péage sur cette route devaient revenir au Kongo Central. Sauf que, depuis de longues années, le débat portant rétrocession aux provinces reste sur la table.
Les élus critiquent le contrat de concession liant le ministère des ITPR (Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction) et la Société SOPECO, Société de péage du Congo. Le contrat «a amputé la province, d’une manière unilatérale et arbitraire, d’une très grande partie des recettes, qui fait que le Kongo Central ne reçoit plus aucune quotité, la petite qui lui revenait jadis a été confisquée suite à un dossier judiciaire»...
LA VOIE ROYALE
DES OUVRAGES.
A Matadi, chef-lieu de la province, pas un élu n’a demandé de démonter un système instauré par le gouverneur César Tsasa-di-Ntumba en 2001.
Car ce droit que les véhicules acquittent sur la RN1 est une voie royale pour tout Etat qui veut aménager des infrastructures, entretenir ses voies de communication, moderniser celles-ci et, ne disposant pas de fonds pour financer ces ouvrages, rejette l’idée d’un impôt spécial ou, comme en Suisse, d’une vignette autoroutière. A Kinshasa, que des personnes non seulement des citoyens Lambda ont raté un vol à la suite d’énormes et permanents bouchons sur l’unique voie conduisant à l’aéroport?
Des solutions alternatives existent, il suffit de le vouloir. L’Etat peut autoriser tout projet de transport héliporté ou fluvial ou construire, grâce à un PPP (Partenariat Public-Privé) une voie rapide et payante le long du fleuve. Quand actuellement, trois ou quatre heures peuvent ne pas suffire pour joindre l’aéroport, un autre moyen de transport innovant pourrait impliquer dix à vingt minutes...
Quelle firme dans le monde ne serait pas intéressée par une offre de construction d’ouvrages d’art facilitant la mobilité des personnes et des biens en se faisant rembourser les fonds investis directement par les usagers de ces ouvrages?
En Europe ou aux Etats-Unis comme partout où ce système existe, ce sont des sociétés privées ou d’économie mixte titulaires d’une licence de concession d’exploitation qui gèrent les infrastructures de ce type. En France existe une société concessionnaire d’autoroutes. Pourquoi un modèle qui fonctionne ailleurs ne le serait pas au Congo?
Reste la gestion du péage. Qui gère la recette issue du péage? Quel système a été mis en place? L’Etat y trouve-t-il son compte ou la concession octroyée le désavantage-t-il? Il est possible que le système actuel ne permette pas la prise en compte suffisante des intérêts des usagers et de l’État.
Face à d’importantes dégradations des chaussées - décollement du revêtement sur des sections du réseau du réseau -, on doit s’interroger sur les obligations d’entretien du réseau routier qui ne seraient pas respectées et, sur la qualité de l’enrobé par exemple... Comment comprendre que l’avenue de l’Université en plein quartier populaire de Ngaba reconstruite à grands frais il y a deux mois, se lâche à la première pluie, se transformant en trou béant, comme cela l’a été dans la nuit de lundi 25 à mardi 26 novembre?
L’ACGT VANTE
SON MODELE.
Directeur général de l’ACGT, Agence Congolaise des Grands Travaux, Charles Médard Ilunga, se veut rassurant...
Devant des journalistes qu’il avait réunis le 5 novembre dans la Capitale, l’ingénieur explique le modèle mis en place qui assure transparence et traçabilité dans la collecte et la gestion des fonds du péage. A chaque poste de péage, les différents tarifs sont affichés selon le type de véhicule - tractant une remorque ou pas, poids lourds, etc. - outre à proximité un guichet de banque - celui de la Rawbank en contrat avec le concessionnaire. Les frais de péage sont collectés au guichet Rawbank, automatiquement enregistrés par la banque, affectés par voie bancaire selon un mécanisme légal requis. Ainsi, 90% des recettes vont aux travaux d’infrastructures, une faible quotité est versée aux provinces. Des réunions d’évaluation regroupant les parties prenantes ont lieu. Depuis la mise en place de ce système, les recettes sur le tronçon Kinshasa-Matadi ont fait un bond passant de US$ 35 à 36 millions de 2010 à 2018, au «chiffre record» de US$ 43 millions en 2017. «Signe de gouvernance, de savoir-faire imposé par la SOPECO».
«L’État congolais éprouve des difficultés dans la construction et dans l’entretien des infrastructures routières», explique Charles Médard Ilunga pour qui l’existence du FONER, Fonds national pour l’entretien des routes, «très limité dans la mobilisation des recettes pour faire face à l’entretien des routes», n’a rien réglé. Créée en 2008 dans le cadre des contrats chinois et fonctionnant sous la tutelle du ministère des ITPR, l’ACGT a mission de concevoir et de réaliser des projets d’infrastructures structurantes dans les secteurs des routes et des voiries mais aussi des ports, aéroports, chemins de fer, architecture, énergies, infrastructures passives de télécommunication et de l’environnement, etc. Délégué de l’État, maître d’ouvrage pourvu de mission d’assurer le contrôle de conformité des travaux d’infrastructures réalisés pour le compte du gouvernement par des entreprises chinoises, l’ACGT compte à son actif, grâce aux fonds générés par les contrats de concession routière, une soixantaine de projets d’infrastructures conduits «avec succès» et dont la valeur totale est estimée à US$ 2,3 milliards.
«Ces projets sont visibles, explique le Directeur général. La priorité a été d’offrir à la Capitale une voirie structurante. Le constat dressé en 2007 a été que Kinshasa ne disposait pas de routes capables d’absorber l’épaisseur du trafic de son parc automobile grandissant.
AU MOINS 100 ANS DE DUREE DE VIE.
Sous la supervision de l’ACGT, des entreprises chinoises, en tête le GREC 7, ont lancé le chantier de reconstruction du boulevard du 30 Juin en lui donnant plus de capacité, de même que celui du boulevard Lumumba qui conduit à l’aéroport de N’Djili et du boulevard Triomphal au cœur de la Cité, entre les communes de Lingwala et de Kasavubu. Tout comme de l’avenue de la Radio, de celle du Tourisme et de l’avenue Lutendele. C’est le cas aussi de la route By-pass (UPN-Mitendi) dont le cût est évalué à US$ 59 millions, selon le Directeur général.
Divers autres projets sont cités dont au moins six ponts jetés à Kinshasa sur le boulevard Lumumba.
Mais, il n’y a pas que la Capitale qui absorbe les fonds du péage. Dans l’ex-Katanga, l’ACGT a permis la construction en béton du pont Lualaba long de 702 m, de même que la route Kolwezi-Likasi tout comme la modernisation de la route Lubumbashi-Likasi quand dans la capitale cuprifère une nouvelle route de contournement bitumée longue de 27 km a vu le jour.
Au Kongo Central, grâce au fruit du péage, des entreprises chinoises s’activent à moderniser le tronçon Matadi-Boma tout comme Moanda-Boma. A Boma précisément, le péage a permis l’érection d’un boulevard baptisé Joseph Kabila du nom de l’ancien président.
Ilunga explique qu’au Congo, les meilleures routes sont celles concédées au secteur privé. Outre que les coûts unitaires sont les plus faibles. «Nous construisons des routes performantes à 600 dollars américains qui ont une durée de vie de plus de 100 ans. Le Partenariat Public-Privé est un montage que tous les pays du monde mettent en place pour répondre à la problématique des infrastructures. Avec les privés, l’avantage est, pour nous, de bénéficier de leur savoir-faire. Avec la SOPECO SGR, nous avons une belle expérience», déclare Charles Médard Ilunga.
T. MATOTU.