- lun, 18/03/2013 - 17:05
Avec une capacité de prophétisation rare, Le Soft International annonçait en 2005 ce qui est arrivé et s’est confirmé jour après jour avec l’épilogue auquel le pays assiste aujourd’hui: l’éviction le week-end, à la tête de la province, de Jean-Claude Baende, victime d’une guerre fratricide que lui menait il y a deux ans toute l’élite de sa province toutes tendances politiques confondues.
LE SOFT INTERNATIONAL N°1219 ED. LUNDI 18 MARS 2013.
Bien malgré lui, le Président de la République a pris acte. Dans son ordonnance, le Chef de l’état invoque l’article 198 de la Constitution. «Lorsqu’une crise politique grave et persistante menace d’interrompre le fonctionnement régulier des institutions provinciales, le président de la République peut, par une ordonnance délibérée en Conseil des ministres et après concertation avec les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, relever de ses fonctions le gouverneur d’une province», stipule cette disposition constitutionnelle.
Tous sont là ou revenus: les anciens ou traditionnels: Kengo, Seti, Nzanga N. ... Mobutu. Les rebelles dont José Endundo Bononge qui vient de faire un carton à Mbandaka se faisant vêtir d’une peau de léopard, mais surtout l’ex-chef rebelle JP Bemba. Les «nationalistes», des jeunes turcs aux dents longues que ne va pas laisser tomber le régime: le PPRDiste Kos’isaka, l’allié présidentiel Lokondo Yoka. Entre l’étalage des moyens financiers (fotte d’avions, empire de médias, batterie des tout terrain, etc.), dans l’ex-province du Léopard trop tôt orphéline de père, la guerre de reconquête va faire rage.
«ça va se savoir...».
«Cela va taper fort...» et même très fort.
Sur la ligne de départ, ils sont tous là, rangés, décidés, déterminés.
Kengo, Léon wa Dondo qui déboule à Kinshasa pour la troisième fois et, cette fois, cela s’annonce un voyage sans retour connu. Un de ses proches nous confirme: «nous entrons dans la
normalité».
Seti Yale, l’ex-01, qui vient de faire le tour de reconnaissance de la tribu Yakoma. Même si ce n’est pas un politique, jamais homme n’a été aussi politique.
Nzanga N. ... Mobutu qui y est allé se faire identifier et enrôler à Gbado-Lité, l’ex-antre Ngbandi du Léopard, l’ex-squat de JP Bemba Gombo, le beau-frère, et qui va recevoir son premier bain de foule kinois samedi 29 octobre au Cinémax, passage obligé pour qui ambitionne un destin national.
Edouard Mokolo wa Mpombo, l’ex-fondateur et ex-patron des services secrets de Mobutu qui s’apprête à y aller, lui aussi, mouiller sa chemise.
Alain-André Atundu Liongo, ex-patron des services extérieurs de Mobutu. Très actif aujourd’hui dans l’opposition. Tout comme L’ex-DirCab de Mobutu, VTP, Vunduawe Te Pemako, le grand intello Ngbandi.
L’ex-MLC José Endundo Bononge depuis UNADEC qui vient de faire un réel carton à Mbandaka - et avait besoin d’une démonstration de force - se faisant vêtir d’une peau et d’une casquette de léopard avec à la clé un tour de champion en tipoy.
Lui, porteur d’une onction des gourous de tous les temps, les vétérans de la province et sans doute les vrais dépositaires du «patrimoine équatorial», le mobutisme: l’éternel ministre de Mobutu, Engulu Baanga Mpongo, le ministre et ami de la première heure, Marie-Justin Bomboko Lokumba.
Mais surtout, le puissant ex-chef rebelle JP Bemba Gombo qui a besoin d’une confirmation légitimation d’une province à laquelle il a redonné... des lampions mais qui, à l’arrivée, est peu prompte à se laisser facilement dompter et demande à gratter un peu plus sur chacun de ses fils et filles candidats à la représentation nationale.
Sur les listes, les «nationalistes» - ceux qui ont collaboré ou collaborent avec les tombeurs du Léopard et ont - trahi? - la cause: les jeunes turcs au verbe haut et aux dents longues. Prêts à bondir, ils observent, pour l’heure comme des petits Simba du puissant Mufasa du célèbre film Walt Disney. Dépourvus de moyens financiers, n’ayant comme moyen de mobilité que l’X-Trail de la fameuse «affaire Condor» Konde Vila-ki-Kaanda, ils ont besoin, pour espérer gagner, d’un fort coup de starter.
En tête, l’avocat d’affaires Camille Nkombe Kos’isaka, mais aussi l’ex-mobutiste issu des services de sécurité Jean-Paul Nkanga Boongo; l’ex-mobutiste issu lui aussi des services de sécurité aujourd’hui allié de la kabilie, Lokondo Yoka; dans le lot, l’ex-Udps Jean-Paul Bandoma, l’éphémère ministre de la Défense d’Étienne Tshisekedi passé avec armes et bagages à la kabilie. Ils ont tous l’œil rivé sur leur chef, le président de la République Joseph Kabila Kabange.
À l’heure de l’ultime explication, celui-ci qui défendit, armes à la main, le chef-lieu de la province Mbandaka - «au péril de sa vie», explique-t-on -, et qui reçut une charge foudroyante alors qu’il se trouvait à bord d’une embarcation, en compagnie du général Kisempia - le même -, de l’amiral Liwanga - le même -, refusant de laisser la Capitale de l’Équateur entre les mains de l’ex-rébellion du MLC, tout comme il défendit Pweto, dans le Katanga, contre le RCD avant de lâcher prise -, l’ex-patron de la Force terrestre les laissera-il tomber? Eux sont d’avis que Kabila fera qu’au moins que la ville soit sauvée politiquement, signe qu’à l’Équateur, sans doute plus qu’ailleurs, ça va taper fort.
«Faire le deuil...».
Ici, plus qu’ailleurs, le Léopard a fait émerger trop d’enfants, qui ont acquis une réelle et parfois fausse identité, sans toujours commune mesure, ni avec ce dont ils sont porteurs intrinsèquement, ni avec la taille de la province! À l’heure de l’appel démocratique où la fibre ethnique va être de taille à peser - «une élection a toujours des facteurs affectifs, le vote va nécessairement, obligatoirement être ethnique - les gens doivent s’identifier aux leurs - la couleur du vote de Kos’asaka sera automatiquement celle de ses co-ethniques», pour paraphraser cet avocat - , les enfants orphélins du Mobutisme se rendent soudain compte qu’ils ont été réduits vers une scène de jeu trop étriquée - la province - que ne constitue plus le Zaïre d’hier - pour se mouvoir.
Pour espérer se maintenir, chacun - ne serait-ce que pour son ego - va devoir courir seul, et batailler fort. La guerre fratricide va être impitoyable.
Il va y avoir du déballage à tout rompre. Et c’est de ça que le peuple a besoin.
Pendant longtemps, on a entendu des histoires. Pendant trop longtemps, on a contenu celles-ci. La marmite était à ce point pleine qu’elle va éclater et être portée sur écran géant. Désormais, ça va se savoir, comme le titre de la célèbre reality show de AB3. Chacun se prépare pour demain. Chacun se prépare en fonction de l’autre. D’autant qu’il n’y a ni fracture idéologique, ni programme politique, on prépare les coups bas. Le jeu en vaut-il la chandelle? Il a plus valeur symbolique. C’est une rampe de lancement. Car gagner l’Équateur - même s’il s’agit d’une province peuplée - ne signifie pas qu’on a gagné ailleurs, reconnaît Nkombe Kos’isaka. «Ici, la question se pose en termes simples: quelle personne peut être représentative de l’élite de la province pour quelle ambition? C’est manquer d’intelligence que de croire qu’après 32 ans de Maréchal, les autres Congolais sont prêts à redonner le pouvoir suprême à l’Équateur. C’est prendre les autres Congolais pour ce qu’ils ne sont pas», nous dit ce jeune avocat au parler trop vrai qui se proclame kabiliste joséphiste. Avant de trancher, net:
«L’Équateur ne doit pas renoncer à la présidence de la République; en réalité, la province n’aura pas celle-ci...»
Cela doit se savoir!
Et, de poursuivre: «Moi qui suis Kabiliste joséphiste, j’invite tous les miens - je salue Lokondo qui nous a tôt rejoints - José Endundo, Bemba - pourquoi pas? - à se joindre à nous en vue d’une alliance avec le PPRD dans l’hypothèse de constituer un grand front pour porter le président Kabila à la magistrature suprême. Le reste est négociable». Car, pense-t-il, au moins deux fils de l’Équateur se positionnent pour la présidence de la République: Kengo et Bemba.
«Bemba tout comme José sont du type de sanglier - José peut être pris à tout moment par la justice, il peut tomber dans le moindre petit filet, comme le sanglier s’attrape facilement au piège. Le premier - ndlr Kengo - est du genre félin, non, du genre fin. C’est un homme plus complexe. Ce n’est pas un populiste. Il semble néanmoins disposer des réseaux très forts dans le pays. C’est un homme dont il faut suivre avec attention la progression». Puis: «Je souhaite que l’Équateur fasse le deuil du Maréchal et dise: «il y a un Président; il a fait faire des avancées au pays, et se mette derrière Kabila. Et, demain, la province sera dans les meilleures conditions de négocier».
Vote ethnique.La bataille va-t-elle se dérouler sur l’étalage insolent de la richesse de chacun? D’aucuns disent avoir mis en vente leurs demeures d’Europe afin de financer la campagne. Les premiers affrètements d’avion laissent froid dans le dos.
Quatre heures de vol sur Lubumbashi ou Gbado-Lite pour un moyen-courrier reviennent à 28.000 dollars. Sans compter le nombre de personnes à embarquer, à prendre en charge, dont le moral demande à être entretenu.
Dopés lui et les siens propres, Kos’isaka se dit serein. Il croit dur comme fer aux facteurs ethniques. «Certes, la démonstration de forces financière va jouer. Mais l’argent seul ne joue pas dans la décision. À la CNS, lors de certains votes, des groupements provinciaux entiers votaient bloqué, en faveur de tel leader, en faveur de leur leader».
Il reste que la politique - nombreux s’en rendent compte - a un coût. Est-ce pour cela que la bataille du portefeuille de l’État a été rude et connaît très tôt ses colonnes d’embastillés?
Là où les règles de financement politique - à l’intérieur des partis politiques - ou qui établissent les partis politiques eux-mêmes ne sont pas définies, il y a risque de laisser la place aux seuls détenteurs de moyens financiers.
La campagne électorale en vue va laisser débouler de l’argent d’origines douteuses. S’agissant d’un pays où la maffia et le terrorisme international jouent très fort, il n’est pas exclu que la police internationale s’en intéresse.
À ce point, Kos’isaka se dit serein.
T. MATOTU