III. Taeymans et les cinq frères Rawji rétrogradent l’ex-filiale de feue Belgolaise et coulent le Champagne
  • dim, 26/04/2020 - 14:00

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
SAMEDI 25 AVRIL 2020.

En 2009, un enfant d’un couple migrant néo-zélandais installé dans le Katanga minier naturalisé belge s’est offert le contrôle de la première banque commerciale du pays, la BCDC, Banque commerciale du Congo, grâce à ses amis libéraux en rachetant en bourse les parts majoritaires de la banque Belgolaise.

Aussitôt, George Arthur Forrest a porté son choix sur un citoyen belge du nom de Yves Cuypers pour présider le comité de gestion d’une banque vielle de plus d’un siècle et la gérer au quotidien au titre de Directeur Général.

Venu du groupe de banques franco-hollandaises BNP Paribas Fortis, Cuypers est arrivé sur le tard à la Belgolaise devenue en 2000 la filiale à 100 % de Fortis.

En charge de veiller aux intérêts de Fortis, il assiste en janvier 2007 à l’effondrement de l’empire financier colonial belge avec la faillite et la radiation d’une institution dont le siège au cœur de la vieille ville au n°1 Cantersteen symbolisait la réussite belge en Afrique.

Les dirigeants de la banque - le président du conseil d’administration Marc-Yves Blanpain, le président du comité de direction Daniel Cuylits ainsi que deux autres cadres du groupe - impliqués dans une affaire digne d’un scénario de série noire ayant tenu en haleine la petite place bruxelloise des affaires (vente des diamants, blanchiment d’argent, transferts illicites, achats d’armes dans l’ex-empire soviétique, violation d’embargo des Nations Unies, guerres africaines, etc.,), sont inculpés par un juge d’instruction à Bruxelles.

Ce sont précisément les « affaires africaines » qui précipitent dans le gouffre une banque connue pour être « la seule banque européenne totalement dédiée à l’Afrique ».

La Belgolaise est alors l’un des rares établissements européens à poursuivre des transactions dans des pays dits à risque, le Congo et la Côte d’Ivoire tous deux dévastés par des guerres et où est basée une autre des filiales de la banque de Cantersteen, la Banque internationale pour l’Afrique francophone, BIAO.

L’une de ces affaires naît pendant l’une des énièmes guerres du Congo, la deuxième d’après le régime Mobutu. C’est la guerre du RCD, le Rassemblement congolais pour la Démocratie.

Le pays est alors sous embargo international sur l’achat des armes décrété par les Nations Unies soupçonnant des liens entre les conflits armés interminables au cœur du Continent et l’exploitation d’immenses ressources naturelles dont regorge le Congo.

En 2002, un groupe d’experts mandaté par le Conseil de sécurité des Nations Unies établit ces soupçons et saisit la CTIF, la Cellule belge de traitement des informations financières. Cette structure en charge de traquer les flux financiers illicites documente des décaissements en espèces de plusieurs millions de $ destinés à financer l’achat d’armes et à remplir les poches des hommes au pouvoir à Kinshasa.

Au centre du dossier : des diamants de la MIBA, la Société des diamants du Bakwanga basée au Kasaï.

L’Etat contrôle cette société à 80 %, le solde est détenu par la Sibeka.

Présidée par le vicomte Etienne Davignon qui fut jadis administrateur du groupe Suez et président du conseil d’administration de la Société générale de Belgique, qui détenait des parts dans le capital de la MIBA, la Sibeka est contrôlée à 80% par Umicore et à 20% par la sud-africaine De Beers.

La MIBA détient des comptes à la Belgolaise. Vache à lait du régime congolais, l’entreprise des diamants est au bord de la faillite.

Ses dirigeants passent régulièrement à Bruxelles et font des décaissements en espèces sans que la Belgolaise tenue à une « obligation de connaissance des opérations de ses clients », ne signale à la CTIF ces transactions douteuses.

L’affaire met à mal la place financière. Mais la direction de la banque conteste bien évidemment tout, affirmant qu’elle n’est « ni informée ni concernée par la masse des faits cités par la presse ».

Dans son rapport d’activité 2003, la banque qui sait pertinemment que les transactions sur les armes sont totalement prohibées, rappelle non sans pertinence que « dans le cadre de la lutte pour la prévention du blanchiment d’argent, un accent particulier est mis sur la sélection des clients et sur la surveillance de l’origine et de la destination des transferts de fonds ».

Il y a aussi des ordres de transferts au bénéfice de la Banque Centrale du Congo, BCC, qui prennent la direction d’un compte écran en Suisse.

Des armes ont été commandées à Ukroboron Service, une filiale de la Société d’Etat ukrainienne d’armement et à Thomas CZ as, une entreprise tchèque d’armement pour quelque 20 millions de $. Ces deux sociétés vendent des armes de gros calibre, des munitions, des missiles et même des blindés.

Janvier 2003, la CTIF dépose son rapport au parquet de Bruxelles. La Police fédérale et la Sûreté belge étaient déjà sur le dossier.

Par le passé, la vieille dame a pu avoir des relations incestueuses…

Le juge d’instruction Michel Claise saisit les comptes de la MIBA et découvre le pot aux roses : au 2 novembre 2002, près de 80 millions de $ ont été détournés au détriment de la MIBA.

Déjà en 1998, le Haut Conseil mondial de diamant, HCMD basé à Anvers avait enregistré une évasion de capitaux évaluée à près de 1 milliard de $ par an provenant de l’exportation frauduleuse des gemmes congolaises.

Ces affaires font à ce point subir à la Belgolaise comme à Fortis un grave dommage en matière d’image dans le monde de la finance que Fortis pour préserver la sienne, a vite mis les clés sous la porte.

De cette banque, il ne reste en 2020 qu’une adresse nostalgie Facebook « les anciens de la Belgolaise » qui trace le circuit des miraculés survivants.

Yves Cuypers n’avait jamais mis les pieds au Congo ni dans un autre pays d’Afrique.

Il ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve ce pays colonisé par le royaume, célèbre auprès des petits belges par ce visage rond et l’houppette de Tintin au Congo, la bande dessinée du Belge Georges Remi dit Hergé.

Lorsque dans son vaste bureau de Cantersteen, il lui arrivait d’écouter un originaire du Congo, ce banquier typique au lourd accent bruxellois, l’observait étrangement.

« Il regarde les Noirs avec dédain », confie l’un de ses visiteurs au sortir de son bureau.

Qu’importe ! Le brillantissime Cuypers accepte d’aller faire un tour au Congo et d’aviser.

Dix ans depuis qu’il trône au 8ème étage du massif immeuble dont il décore à l’envie le fronton de la publicité de la banque de l’Elephant, l’animal totem de cette institution, l’homme a changé d’avis. Il paraît avoir eu un coup de foudre et affirme ne guère penser à quitter ce pays sauf quand viendra l’heure de se mettre à la tondeuse à gazon.

Il a certainement négocié son sort avec son nouveau patron, le Kenyan James Njuguna Mwangi.

En novembre 2019, ce crésus qui préside l’un des joyaux africains de la banque Equity Group Holdings Ltd, a racheté la totalité des parts du Belge néo-zélandais George Forrest, soit 66,53 % pour les 625.354 actions.

A ce jour, le Kenyan n’a révélé aucune intention précise sur sa prise.

Si, dans son oral du 13 novembre, Cuypers évoque « des discussions engagées entre Equity Group Holding et la BCDC », le Belge estime qu’elles « vont dans le sens de renforcer » sa banque en maximisant ses intérêts. « C’est un partenariat complémentaire que la BCDC vient d’effectuer ».

A ceux qui disent que la BCDC a été vendue, il les encloue : « Faux, on n’a pas vendu la BCDC. La BCDC est solide et elle gardera son enseigne sans la changer ».

Cinq jours plus tard, le 18 novembre, un court communiqué de presse d’Equity Holdings bloque le Belge : « Les activités de la BCDC seront éventuellement fusionnées avec celles de la filiale bancaire existante d’EGH en RDC, Equity Bank Congo S.A. (EBC) ».

Ancien de la Belgolaise et de la BCDC, Thierry Taeymans avait le profil rêvé pour prendre la tête de la plus vieille banque privée congolaise qui coule ses 110 ans d’existence. Ce rêve s’est éteint avec le choix de George Arthur Forrest porté sur un autre Belge.

Mais quand une porte se ferme, une autre s’ouvre.

Assis dans son minuscule bureau du 1er étage du siège de Rawbank sur front du 30 juin, la plus belle avenue du pays, qu’il enfume, grillant cigarettes sur cigarettes, M. Taeymans sait qu’il ne trouvera pas le sommeil aussi longtemps qu’il n’a pas goûté son plaisir : défier la banque coloniale dont il rencontre deux fois par jour à l’aller et au retour le fier immeuble géant en plaque de béton qui se dispute la symbolique de la capitale avec celui, à un jet de pierres, de la plus grande entreprise minière du Congo, Gécamines.

Mission ardue dans ce pays, le seul au monde à avoir le dollar comme monnaie nationale et sous surveillance permanente du Trésor américain.

Sur un business model qui a marché dans le Maniema et dans l’ex-province Orientale, les Rawji ciblent les secteurs informels, le Congolais ordinaire, les communautés migrées indo-pakistanaises, libanaises, syriennes, etc.

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Contrairement à la BCDC qui cible les entreprises mammouth publiques et privées et fait montre de lourdeurs dans ses opérations, à Rawbank, dépôts et retraits se font à la vitesse d’éclair.

La banque fait de l’innovation son cheval de bataille, donne une posture de modernité. Un aspect apprécié des jeunes créateurs de start-up qui accourent à ses guichets et des membres de la classe moyenne montante.

L’annonce des mirifiques projets chinois précédés par des entreprises de construction des infrastructures offre une opportunité pour une banque à l’image asiatique.

Pour les attirer, Rawbank ouvre des guichets à l’étranger dans les Emirats arabes, à Dubaï, à Bruxelles, capitale de l’ex-puissance coloniale congolaise, à proximité du quartier congolais de Matonge dans la commune populaire d’Ixelles.

En 2007, les résultats de la BCDC mettent en rage l’ex-représentant de Fortis à la Belgolaise.

Résultat net positif : 8,3 millions de $. Pour la toute première fois de son histoire, l’ex-BCZ est au fond de la mine. A la présentation de l’exercice annuel, le Belge râle : « Il y a un problème de gestion. Il n’est pas simple d’exercer notre métier. Aujourd’hui, il y a 15 banques commerciales en activité au Congo. En 2012, on en comptait 22 et probablement demain, une autre banque va quitter le giron pour se muer en institution de microfinance ».

Cuypers trouve néanmoins quelque réconfort : « Au cours de l’année, nous avons donc été prudents et nous avons eu raison car le renchérissement des mesures prudentielles risquait de perturber notre exercice. Les mesures prévues ont été reportées car toutes les banques n’auraient pu répondre immédiatement à ces nouvelles exigences quand bien même sont-elles justifiées ».

Puis : « Au final, l’année 2017 aura été plus que satisfaisante au regard des incertitudes évoquées. Celles-ci ne doivent évidemment pas se prolonger indéfiniment au risque de finir par reporter le retour à un cycle de croissance économique dans lequel la banque s’inscrira et, par conséquent, renforcera la solidité de ses fondamentaux et donc la confiance du marché ».

La descente aux Enfers de la Belgolaise en mémoire et comme on n’est jamais trop prudent, Cuyvers désormais président de l’Association Congolaise des Banques, se rend en juin 2017 à Washington. Avec d’autres directeurs de banques dont M. Taeymans, il a un entretien au département d’État et veut plaider sa cause...

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Le banquier détaille le but de ce déplacement : « Montrer aux Américains tout ce qui a trait à la gouvernance des établissements de crédit au Congo et aux politiques dites de conformité ; expliquer ce qu’est la banque au Congo, ce qu’elle fait et comment elle travaille. Une occasion privilégiée de rassurer ce grand partenaire mais également de confirmer qu’en matière de réglementation et de conformité, nous n’avons pas eu d’autre choix, sous peine de sanctions directes, que de nous conformer à l’ensemble des règles édictées par toutes les instances internationales de contrôle ».

Mais en 2018, le bilan de Rawbank a ravi à l’ex-filiale de feue Belgolaise la première place de la banque privée.

Avec de 1,7 milliard de $, 1.800 agents et 400.000 clients, Rawbank devient la référence de la banque.

L’année qui suit, les cinq frères Rawji sont cités par le très sérieux magazine américain Forbes Afrique, parmi les premières fortunes d’Afrique subsaharienne francophone. Avec 830 millions de $ de fonds propres, ils pointent à la première place des plus grosses fortunes du Congo et mettent le cap sur le milliard de $.

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Ils ont rétrogradé l’empire George Forrest évalué à 800 millions de $. Avec un horizon sombre, la BCDC passe au second plan des priorités de la famille belgo-néo-zélandaise.

En même temps, Rawbank accumule trophées et prix.

Dans le magazine de renom Global Finance, elle apparaît pour la deuxième année consécutive au classement des banques les plus stables de plus de 100 pays du monde. Elle reçoit le Trophée The Banker 2016 de la meilleure banque au Congo décerné par le prestigieux britannique The Financial Times.

S’il faut s’interroger sur la pertinence de ces distinctions, les financements des institutions financières internationales n’attendent pas. Ils viennent en appui aux différents programmes avec au passage des prélèvements substantiels au titre des produits bancaires.

Sur les poteaux du centre des affaires dans la Capitale et dans les principales villes du pays, des flyers au vent défilent en langue anglaise assumée - «Rawbank is My Bank».

Au quartier huppé du Mont-Fleuri où il réside, Taeymans débouche le Champagne, rejoint par certains membres de la famille. Ils sont en passe d’effacer la BCDC des radars de la banque…

T. MATOTU.


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