Guérir le Congo du mal zaïrois ou réinventer l'État congolais
  • jeu, 02/05/2024 - 12:58

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1605|LUNDI 15 AVRIL 2024.

Extrait du livre Guérir le Congo du mal zaïrois, Daniel Mukoko Samba, Paris, Academia L'Harmattan, juillet 2021, 372 pages.

(...) Parler d'un État développemental au Congo peut paraître utopique tant la structure étatique (...) apparaît comme étant située à des années lumière de ces États d'Asie du Sud-Est caractérisés par une forte coordination des politiques publiques assurée par des élites disciplinées et totalement engagées à la réussite des projets nationaux.

Rappelons que voulant catégoriser les États sur une échelle linéaire, Evans (1995) avait identifié trois types : l'État prédateur, l'État intermédiaire et l'État développemental. Le Congo était le prototype de l'État prédateur tandis que la Corée du Sud était le prototype de l'État développemental. Passer d'un État prédateur à un État développemental est un véritable tour à 180 degrés.

Je suis d'avis, avec Whitfield et Therkildsen (2011), qu'en matière de développementalisme, il ne sert à rien d'envisager de grandes stratégies. La formation d'un État est en effet un processus trop complexe qui ne se prête nullement à des schémas préétablis. Les state-builders l'ont appris à leurs dépens en Irak, en Afghanistan, et partout ailleurs où ils ont tenté de créer un nouvel État après une opération militaire. Au contraire, la formation d'un État ne peut se réaliser qu'à travers un processus de type learning-by-doing, le plus important étant de disposer de lignes directrices pour guider l'action. (...).

Le plus important, j'en suis convaincu, est de poser les ancrages critiques susceptibles de donner un sens réel à l'action publique. Car, le plus dramatique au Congo, c'est cette inefficacité quasi innée d'un État qui annonce des politiques, mais ne sait les réaliser, se rétracte ou tout simplement les oublie, puis élabore des plans qui ne sont jamais mis en œuvre, se replie dans un passé effacé tout en proclamant s'inscrire dans une révolution du futur et sans se donner les moyens de réaliser ce bond dans un futur différent, meilleur, et transformateur. Ces ancrages, il faut d'abord les créer dans l'administration territoriale, dans l'occupation et la transformation du territoire, puis dans les grandes orientations de la politique industrielle. Sans ces ancrages, tous les plans resteront des vœux pieux. (...)

Pour certains auteurs, notamment Englebert (2003), les élites congolaises et les acteurs externes se plaisent à maintenir l'État congolais dans une situation de faible capacité pour mieux exploiter les ressources du pays à leur profit tout en jouissant de la garantie qu'offre la reconnaissance de la souveraineté internationale du Congo. Cette thèse de la propension à la prédation perpétue l'idée que le Congo est un État illusoire qui aurait dû naturellement se désintégrer à cause de «l'hétérogénéité de ses populations, (...) [les] dislocations de l'occupation étrangère, (...) [les] rébellions muées, et (...) la dispersion géographique de ses ressources naturelles (Englebert 2003 : 63).

Englebert rejoint Herbst et Mills en suggérant que la communauté internationale aurait intérêt à considérer d'autres options (notamment la partition du pays) plutôt que de maintenir le Congo dans ses contours géographiques actuels. Il estime aussi que le « nationalisme postcolonial » nourrit les tensions interethniques en renforçant les « micro identités ». Ces conclusions découlent d'une conception de l'État qui ne fait pas assez de place à l'évolution historique des institutions et à la dynamique des relations entre les élites et les masses.

Je suis convaincu que l'affaiblissement de l'État congolais répond à une dynamique des forces diverses internes et externes. Les forces externes agissent à travers les décisions prises par des acteurs internationaux et qui ont un impact sur le positionnement du Congo dans les chaînes des valeurs industrielles. Elles ont pris depuis plusieurs années des formes violentes, en maintenant une économie militarisée dans les zones minières et forestières le long de la frontière avec l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et le Sud-Soudan.

Le pouvoir coutumier et le secteur informel constituent des forces internes qui réduisent le contrôle que l'État est censé exercer sur tout le territoire national de manière exclusive. La multiplicité institutionnelle, pour reprendre le terme de Hesselbein, est reconnue dans le diagnostic le plus récent sur l'État congolais. (...). Dans cette sous-section, nous allons successivement montrer pourquoi et comment l'État congolais devrait d'abord être réinventé avant qu'il ne prétende jouer le rôle de l'agent de développement qui est naturellement attendu de lui. Cette réinvention doit permettre de restreindre l'étendue des pouvoirs alternatifs qui disputent à l’État son hégémonie et lui donner les moyens de transformer le territoire national.

Notre démarche consiste donc à rechercher les canaux essentiels par lesquels les capacités de l'État peuvent être renforcées. (...).
L’argument le plus couramment utilisé par les élites politiques congolaises pour justifier l'importance du pouvoir coutumier est la légitimité du pouvoir dont seraient détenteurs les chefs coutumiers. Ce pouvoir immatériel s'étend aux ressources foncières dont les chefs seraient les gardiens par tradition, ce qui leur confère un pouvoir consultatif sur toutes les matières de développement local. La constitution de 2006 a reconnu l'autorité coutumière dévolue conformément à la coutume locale (Article 207).

La constitution a également élevé le secteur et la chefferie au rang d'entité territoriale décentralisée (Article 3). La loi organique 08/016 du 7 octobre 2008 a fixé la composition, l'organisation et le fonctionnement des ETD. Elle a doté ces entités des conseils de secteur ou de chefferie dont les membres sont élus au suffrage universel direct. Les chefs de secteur sont élus au sein ou en dehors des conseils de secteur tandis que les chefs de chefferie sont désignés selon la coutume.

Ces organes ont des attributions larges relativement aux matières de développement local. Notons que le
secteur (la chefferie) est subdivisé(e) en groupements et le groupement en villages. Au sens de la loi 15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers, ceux-ci sont désignés conformément à la coutume locale et président à la tête des chefferies, des groupements, et des villages.

Rappelons qu'à l'époque coloniale, l'administration formelle directe s'étendait aux agglomérations habitées par les populations européennes tandis que l'administration indirecte concernait les populations congolaises vivant dans les milieux coutumiers. L’hégémonie du pouvoir colonial sur le monde rural était assurée par des chefs coutumiers qui dépendaient totalement des fonctionnaires de l'État pour leur investiture. Le Commissaire de district avait le pouvoir de reconnaître l'existence d'une chefferie au terme d'une enquête menée par l'administrateur de territoire. Il avait aussi le pouvoir d'investir le chef.

Ce droit de création a été dans plusieurs contrées utilisé abusivement pour diviser des communautés afin de mieux les contrôler. Le décret du 5 décembre 1933 avait sensiblement modifié le sens et l'organisation des circonscriptions indigènes devenues des entités d'auto-développement tandis que les secteurs créés par le même décret vont regrouper des entités coutumières jugées de faible importance pour prétendre au statut de circonscription autonome. En fait, le secteur pouvait être considéré comme un indicateur du degré d'intrusion de l'administration coloniale dans l'espace coutumier, comme le Centre extra-coutumier l'était en milieu urbain.

La volonté d'une plus profonde intrusion était manifeste vers la fin de la période coloniale. De Clerck (2006 : 204) rapporte la détermination de l'administration coloniale, contre la volonté réelle ou affichée du ministre des Colonies, d'accélérer le regroupement des petites chefferies en secteurs. Le regroupement des petites chefferies en secteurs a causé beaucoup de mécontentement parmi les chefs qui perdaient leur statut de chef investi et leur traitement. Le processus de regroupement fut laborieux, mais en 1950 il n'y avait plus au Congo que 452 chefferies pour 509 secteurs.

La création des secteurs constitue une intrusion importante de l'autorité coloniale dans l'organisation politique traditionnelle: c'est le commissaire de district qui crée le secteur regroupant les petites chefferies ; c’est lui qui en désigne le chef et nomme les notables qui composent le conseil de secteur. On est loin du respect intégral de l'organisation coutumière de la société indigène. Dans une note du 6 décembre 1951, le ministre a attiré l'attention de son administration sur « l'effacement (...) du régime légal de la chefferie indigène et de l'augmentation parallèle du nombre des secteurs ».

Dans un pays où la ségrégation résidentielle était la norme, les Congolais ne pouvaient résider que soit dans les villages faisant partie des chefferies ou des secteurs, soit dans les centres extracoutumiers et, plus tard dans les cités indigènes qui étaient des agglomérations quasi urbaines formées près des agglomérations européennes et qui abritaient les Congolais employés dans l'administration publique et dans les entreprises européennes.

Cette description reflète assez bien la dichotomie du célèbre ouvrage de Mamdani (2004), Citoyen et Sujet. Même si la décolonisation fait tomber les murs séparant les villes des blancs des cités des noirs ainsi que les restrictions qui pesaient sur les mouvements des paysans, l'organisation administrative qui avait pris sa forme définitive en 1933 est restée quasi immuable après 1960 excepté la brève période de deux ans entre 1975 et 1976, période pendant laquelle le Président Mobutu tenta d'embrigader les chefs coutumiers dans le but d'asseoir définitivement la primauté du Parti-État sur toutes les institutions. Il y a une rupture totale entre le cadre organique de l'administration territoriale et l'effectivité du pouvoir exercé par ces nombreux chefs coutumiers.

Ceux-ci ne jouent plus de rôle actif dans la collecte des impôts et taxes ni encore moins dans d'autres tâches administratives. Il y a donc une illusion d'encadrement administratif alors que dans la réalité, le pays est profondément sous-administré.

L'interaction entre le pouvoir d'État et le pouvoir traditionnel peut produire des résultats différents selon que les deux s'intègrent harmonieusement en étendant leur sphère d'influence, ou que le pouvoir d'État a tendance à éclipser le pouvoir traditionnel, ou encore que les deux pouvoirs s'évitent en faisant preuve de moins d'intégration possible (Nuesiri 2012). Le Botswana est le pays ayant réussi une intégration parfaite des deux pouvoirs (...). Ayant réglé ce problème tôt dans l'histoire du pays, le BDF de Seretse Khama a eu tout le loisir d'engager le Botswana dans un projet national dont les résultats sont salués aujourd'hui.

La littérature est pleine d'évidences de la relation déterminante entre la capacité de l'État et les institutions comprises ici au sens de North (1990) et Acemoglu et Robinson (2008), c'est-à-dire des règles non écrites, des normes endogènes intégrées dans les relations sociales et qui facilitent les relations entre l'État et la société. Ces normes définissent la légitimité de l'État qui elle, à son tour, nourrit la capacité de l'État.

Si la légitimité de l'État est remise en cause à travers la distorsion de ces normes sociales, il devient illusoire de renforcer la capacité de l'État, quelles que soient les mesures de bonne gouvernance que l'on peut envisager. Au contraire, le déficit de légitimité conduit à des formes d'organisation néopatrimoniale du pouvoir d'État (Englebert 2000). Acemoglu, Johnson, et Robinson (2003) attribuent le succès du Botswana à la préservation et à l'adaptation des institutions précoloniales qui ont permis de régler au préalable et de manière définitive le problème de la légitimité.

À travers tout le territoire congolais, les diverses populations locales entretiennent encore le souvenir d'un passé supposé glorieux et dont la disparition est imputée au pouvoir colonial représenté dans l'imaginaire collectif par le pouvoir d'État actuel. À ce jour, le Congo compte 474 secteurs, 263 chefferies et 5375 groupements. On peut imaginer le nombre élevé des centres de décision d'un pouvoir coutumier éclaté et revendicatif de sa gloire perdue. C'est certainement pour cette raison que ces entités coutumières sont enclines à des conflits de pouvoir et/ou des conflits fonciers qui rendent leur participation aux efforts de développe. ment peu probable. Conscient de l'instabilité qui règne dans la plupart de ces entités, le constituant de 2006 a dans le dernier alinéa de l'article 207 de la Constitution fait obligation an chef coutumier de promouvoir l'unité et la cohésion nationale.

Soucieux de prévenir les conflits, le législateur a reconnu dans la loi 15/015 que le chef coutumier assure la pérennité des coutumes et la bonne marche de sa juridiction (Article 10) et l'a enjoint de veiller à la cohésion, à la solidarité et à la justice soda le dans sa juridiction; sauvegarder et faire respecter les valeurs traditionnelles morales, le patrimoine Culturel, les vestiges ancestraux dont les sites et lieux coutumiers sacrés; veiller, conformément à la Loi, à la protection des espaces fonciers qui relevant des terres des communautés locales; promouvoir les relations de bon voisinage avec les entités voisines.

Mais, ces précautions légales sont insuffisantes pour atténuer le risque des conflits au sein des autorités coutumières. Il y a d'abord les conflits entre les autorités coutumières et les structures administratives établies. Ce type de conflit est plus fréquent là où les chefferies couvrent les mêmes étendues géographiques que le territoire (Mambi 2010) et ont souvent pour cause immédiate les tentatives de création des nouveaux secteurs. Il est compréhensible que la création des secteurs ne puisse pas emporter l'assentiment des chefs de chefferie qui voient dans ces initiatives une source de dilution de leur autorité. Même si le décret de 1933 avait supprimé les sous-chefferies, la pression démographique est, dans les zones de fort peuplement, à la base des demandes d'affranchissement coutumier.

L’ingérence des autorités administratives dans les décisions d'affranchissement (synonymes de création de nouveaux groupements) et/ou d'investiture des chefs coutumiers dégénère le plus souvent en affrontements meurtriers. Le ressentiment et les frictions résultant de l'affranchissement de la lignée Bena Mwanza Mande Kanyuka de la lignée originelle de Bajila Kasanga sont l'une des causes lointaines du drame de Kamuina Nsapu qui a endeuillé la province du Kasaï Central en 2017 (Congo Research Group 2018, Kabata 2018). Les conflits les plus courants sont toutefois ceux ayant trait aux questions foncières, de succession, de pouvoir, de délimitation des frontières entre entités coutumières, et de contestation de la légitimité traditionnelle.

À la suite d'une série d'enquêtes menées dans le Bulega (Sud-Kivu), Mwilo-Mwihi (2018 : 18) a identifié trois types de conflits majeurs au sein du pouvoir coutumier: « les conflits de succession au sein de la même famille régnante; les conflits de pouvoir entre plusieurs lignages au sein d'une même entité; et la contestation du pouvoir d'un Chef par les personnes appartenant aux clans différents du clan régnant.. Ces conflits affectent la totalité des quarante-et-un groupements du Bulega répartis en quatre chefferies. Bula-Bula (2014) a décrit un conflit pour le contrôle du pouvoir coutumier opposant deux entités dirigées par des membres d'une même famille dans le territoire de Dibaya (Province du Kasaï Central).

Ce conflit qui a duré de 2008 à 2012 a opposé deux frères d'une même famille. Le pouvoir étant directement rattaché à la coutume, sa légitimité s'exprime par excellence par le droit foncier qui dans les terres appartenant aux collectivités rurales reste du ressort du droit coutumier. Dans le conflit décrit par Bula-Bula, deux vies humaines furent perdues et d'importants dégâts matériels furent enregistrés.

Dans tous les cas, quelle que soit la diversité des incidents plus ou moins violents signalés ici et là, le trait commun et dominant dans l'espace coutumier partout au Congo est la contradiction entre ce que Muchukiwa (2016) appelle le territoire ethnique et le territoire étatique. Au cœur de cette contradiction réside la reconnaissance du statut de primo-occupant. Dans un contexte de propriété collective des terres, cette contradiction prive les non primo-occupants de tout droit de propriété.

Mais, cette conception est statique et fait référence à des temps perdus dans l'histoire. Entre-temps, la loi foncière de 1973 et le vide juridique qu'elle a créé en milieu rural a donné la possibilité à des individus, quels qu'ils soient d'user du droit de propriété. Les acquisitions réalisées sur la base de la loi de 1973 donnent souvent lieu à des conflits que les administrations locales et la justice ne savent toujours pas régler de manière efficace. La question de la concurrence pour l'antériorité de l'identité ethnique est générale à tout le pays même si elle se pose sous des formes différentes d'une région à l'autre. Elle donne lieu à un niveau de violence extrêmement faible dans la province du Kongo Central où elle ne se pose qu'au niveau des clans lignagers plutôt que de groupes ethniques. Elle est par contre beaucoup plus létale dans l'espace du Kivu.

Dans leur étude des conflits dans le Masisi (Nord Kivu), Mathieu et Mafkiri (1998) ont mis en évidence la cause lointaine du conflit séculaire entre les populations dites autochtones (hunde, nyanga, tembo) et les communautés rwandophones. Certains de ces groupes rwandophones étaient installés dans le Masisi bien avant la transplantation par le pouvoir colonial des populations rwandaises à partir de 1937. Soucieux de vivre dans une entité autonome, les premiers banyarwanda transplantés du Rwanda purent bénéficier de l'enclave de Gishari qui leur fut cédée par les chefs coutumiers hunde à la demande des autorités coloniales. Une chefferie autonome soustraite de l'autorité des chefs hunde fut créée en 1940.

Cependant, le pouvoir colonial dut supprimer la chefferie autonome de Gishari en 1957, rétablissant ainsi l'exercice du pouvoir par les chefs coutumiers hunde sur l'enclave, pour résoudre le conflit qui était né entre les banyarwanda et les hunde quand les premiers voulurent étendre les limites de la chefferie autonome. La relation conflictuelle entre les deux communautés a été par la suite renforcée par les tergiversations autour de la loi sur la nationalité. La loi 71-020 du 26 mars 1971 avait attribué la nationalité congolaise de manière collective à toutes les personnes originaires du Ruanda-Urundi et établies au Congo à la date du 30 juin 1960.

Cette nationalisation collective fut abrogée l'année suivante par l'article 47 de la loi 72-002 du 5 janvier 1972. La loi de 1972 a adopté une position plus restrictive en matière de nationalité en posant les principes légaux qui sont restés d'application jusqu'à nos jours, entre autres, l'interdiction du cumul de plusieurs nationalités et la limitation des modes d'acquisition de la nationalité.

Ces principes seront retenus dans la loi 81-002 du 29 juin 1981 qui, tout en abrogeant la loi de 1972, avait retenu eu sou article 4 qu'est zaïrois (...) à la date du 30 juin 1960, toute «personne dont un des ascendants est ou a été membre d'une des tribus établies sur le territoire de la République du Zaïre dans ses limites du 1er août 1885, telles que modifiées par les conventions subséquentes. Quant aux personnes originaires du Ruanda-Urundi, la loi disposait que les personnes qui étaient établies dans la province du Kivu avant le 1er janvier 1950 et qui avaient continué à résider depuis lors dans le pays jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi avaient acquis la nationalité à la date du 30 juin 1960.

En définissant la nationalité en ces termes, la loi exacerbait la notion de primo-occupant, créant dans le chef des communautés banyarwanda une incertitude qu'ils avaient hâte d'éliminer. Les répercussions ne tardèrent pas. (...).
Devant cette situation explosive, la Conférence Nationale Souveraine (CNS) était, pour les communautés d'origine rwandaise, une opportunité de régler la question de la nationalité qui était essentielle pour elles. Cependant, l'Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition du 4 août 1992 avait maintenu la position restrictive de 1981 en matière de nationalité.

N'ayant pas obtenu gain de cause par les négociations ouvertes au niveau national dans le cadre de la CNS, les leaders des groupes ethniques souffrant de ce préjudice vont recourir à des moyens violents dès que l'équilibre sociopolitique dans la région aura été perturbé par l'arrivée des réfugiés rwandais en 1994. Quand éclate la première guerre du Congo, «autochtones» et «allochtones» vont se livrer à la concurrence de nouvelles alliances avec les groupes armés formés pour combattre le régime du Président Mobutu et avec les armées étrangères qui sont venues appuyer cette insurrection.

La concurrence pour l'antériorité n'est pas limitée aux confrontations entre autochtones et allochtones. On retrouve aussi des confrontations entre groupes autochtones. C'est le cas du conflit entre les Babembe et les Babuyu dans le territoire de Fizi. Il s'agit là de deux groupes établis depuis belle lurette sur les terres de ce qui deviendra le territoire de Fizi. Comme dans le cas des Batende et des Banunu à Yumbi (Maï-Ndombe), le conflit entre Babembe et Babuyu tourne souvent autour du droit de propriété foncière dans quelques contrées, plus particulièrement dans le secteur de Lulenge (Muchukiwa 2016).

Dans le cas du secteur de Lulenge, celui-ci comprend cinq groupements (Basimimbi, Basimunyaka Sud, Basikasingo, Basombo, et Obekmu). Les Babuyu étant majoritaires dans le groupement de Basikasingo, ils y réclament le statut de primo-occupant, en plus du fait qu'ils nourrissent le projet
de créer une entité homogène qui serait rattachée à d'autres entités des provinces voisines du Maniema, du Haut-Lomami et du Tanganyika habitées par les leurs.

Les faits décrits dans les lignes qui précèdent révèlent un véritable problème d'administration territoriale qui est assez largement documenté (Kabata 2018, Bula-Bula 2014, Mwilo-Mwihi 2018, Mambi 2010). Comment en effet envisager dans ces conditions de conflictualité et de faible capacité dans les collectivités de base l'exécution par ou avec la collaboration des chefs coutumiers des tâches qui requièrent de l'expertise technique non disponible d'ailleurs dans les milieux coutumiers?

Ces milieux ne sont en effet ni producteurs de savoirs susceptibles de contribuer à la construction, l'aménagement et l'entretien des voies d'intérêt local, les programmes d'assainissement, de vaccination et de promotion de la lutte contre le VIH/SIDA et les maladies endémiques, la construction et l'entretien des minicentrales pour la production de l'énergie électrique, pour ne citer que ces matières dévolues aux conseils de secteur ou de chefferie (Article 73 de la loi 08/016 du 7 octobre 2008).

Le problème fondamental que pose le pouvoir coutumier est celui de la gouvernabilité des milieux ruraux. Ce problème prend plus d'ampleur dans une société profondément atomisée, intensément déstructurée, fortement déséquilibrée selon les mots de Bouvier (1967 : 435). Les communautés de base en milieu rural sont extrêmement segmentées même dans les zones où il a subsisté pendant assez longtemps des formes de centralisation du pouvoir traditionnel. (...).


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