- jeu, 16/04/2015 - 03:23
Pourqoui plus qu’aucun autre pays au monde, le Congo compte pour l’Amérique. Pourquoi Mobutu compta tant pour l’Amérique tout comme les Kabila, père et fils. Quand Londres suggère à l’Amérique de lui céder le Congo contre offres stratégiques vitales! La Belgique a mis la main sur un trésor congolais: la bombe atomique qui hâte la fin de la guerre au profit des Etats-Unis épuisés face à un Japon combattant et invincible! L’Amérique remise en position de force face à l’ancien allié soviétique et qui lance l’ère de la dissuasion nucléaire. Plutôt que le Congo grâce à sa mine d’uranium de Shinkolobwe - le gisement le plus riche au monde (il contient jusqu’à 65 % d’uranium, alors que l’uranium canadien, par exemple, n’en contient que 0,2 %) c’est au Belge Edgar Sengier qui dirige la Société Générale et l’Union Minière du Haut Katanga que va la médaille du mérite pour sa contribution à la victoire américaine, et la reçoit du général américain Leslie Groves! Il est le premier citoyen non américain à recevoir cette distinction. Le décret présidentiel américain mentionne «les services rendus dans le cadre de la fourniture de matériaux». Il s’agit des 2.000 tonnes d’uranium congolais qui aidèrent à fabriquer «Little boy» et «Fat man» détruisant les villes d’Hiroshima et de Nagasaki et s’expérimentèrent dans le désert du Nouveau-Mexique en 1945. Du minerais congolais qui rapporta gros à la Belgique quand la France est à genoux au sortir de la guerre et aida à ancrer l’ancienne puissance coloniale dans l’orbite prisée américaine. Le Congo le sait-il? En tire-t-il profit? Est-ce ici qu’il faut rechercher des phénomènes diplomatiques qui échappent au premier des mortels congolais? Cela fait 185 ans...
Qui s’en souvient encore aujourd’hui? La Belgique joua un rôle primordial dans la mise au point de la première bombe atomique de l’Histoire. En 1945, les États-Unis sont pressés de conclure la guerre du pacifique. Ils veulent s’éviter de lourdes pertes et faire plier le Japon.
Une solution s’impose: utiliser pour la première fois l’arme fatale, la bombe atomique, qui sera larguée sur Hiroshima le 6 août 1945 et le 9 août sur Nagasaki.
LE «PROJET MANHATTAN».
Avant d’aboutir à ce résultat, les États-Unis s’engagèrent résolument dans la mise au point de la bombe atomique. Le «projet Manhattan», nom de code des recherches entamées avec l’Angleterre et le Canada, débuta dès 1939. Et très vite se pose la question de l’approvisionnement en uranium. Où en trouver? Quatre gisements sont recensés: dans le Colorado, au nord du Canada, en Tchécoslovaquie (à Joachimsthal en Bohème sous occupation allemande) et au Congo belge. C’est même dans la mine de Shinkolobwe, au Katanga, que se situe le gisement le plus riche au monde! Mais celle-ci est inondée et fermée; il faudra la rouvrir. L’uranium belge est précieux dans cette course à l’armement nucléaire. Mais les Alliés ignorent que ce matériau stratégique est présent sur le territoire américain depuis 1939. En 1938, Edgar Sengier, directeur de la Société Générale et directeur général de l’Union Minière du Haut-Katanga, apprend de scientifiques européens les possibilités futures de l’uranium. Il ordonne en 1939 que la moitié du stock disponible, soit un millier de tonnes, soit envoyée en secret à New York et stockée dans un entrepôt de Staten Island.
Sengier lui-même
s’exile à New York lors du déclenchement de la guerre afin de conduire les opérations mondiales de l’Union Minière. En septembre 1942, le colonel Kenneth Nichols, qui avait été chargé par le patron du projet Manhattan, le général Leslie Groves, de trouver de l’uranium, demande à Sengier si l’Union Minière pouvait en fournir dans un délai raisonnable. La réponse de Sengier stupéfie Nichols: «Vous pouvez avoir le minerai maintenant. Il est à New York, 1.000 tonnes. J’attendais votre visite». Sengier établit immédiatement un contrat de vente et le minerai de Staten Island est transféré à l’armée américaine qui obtient en même temps une option sur les 1.000 tonnes encore stockées à Shinkolobwe. L’armée américaine y expédie rapidement un contingent de son corps du Génie pour remettre la mine en activité et entre 1942 et 1944, elle fournit l’uranium qui, une fois enrichi, est intégré aux deux bombes américaines! «Little Boy» et «Fat Man», larguées au-dessus du Japon.
Le minerai katangais servit également aux essais d’une première bombe expérimentale qu’on fit exploser dans le désert du Nouveau-Mexique à la mi-juillet 1945. La bombe atomique hâta la fin de la guerre, remit les États-Unis en position de force face à leur ancien allié soviétique et lança ensuite l’ère de la dissuasion nucléaire.
Cet épisode rappelle en outre une donnée spécifiquement belge: le Haut-Katanga, sud-est du Congo, un temps appelé Shaba, était réellement un «scandale géologique». Il regorgeait de minerais précieux, notamment du cuivre. Hasard de l’histoire, la mine de Shinkolobwe, dont fut extrait l’uranium, fut inaugurée en 1915, il y a tout juste un siècle.
En 1921, une exploitation régulière intervient. On mesure alors très vite qu’on détient là un minerai stratégique.
CONVOITE PAR LES PAYS DU CLUB NUCLEAIRE ET...
La première implantation belge au Katanga date de mai 1883 sur la rive occidentale du lac Tanganyka, non loin d’Albertville. Les Belges s’installent par étapes. Ils créent la Compagnie du Katanga et mènent des expéditions qui ont tout du raid pour aventuriers lointains. Un homme se détache dans cet aréopage de grands défricheurs: Jules Cornet. C’est lui qui fut le véritable responsable de la découverte géologique et minière exceptionnelle du Katanga.
Des photos anciennes le montrent, fier et sérieux, au côté notamment d’Émile Francqui. Le Katanga est une belle prise. Sa superficie (496.865 km2) équivaut presque à celle de la France.
Sur place, les premiers arrivés découvrent une nature luxuriante, des chutes d’eau majestueuses... et un sous-sol qui mérite qu’on s’y arrête. C’est le début de l’histoire, en brousse. En 1900 est créé le Comité spécial du Katanga (CSK), société de droit privé qui veillera à contrer les visées étrangères. On trace un chemin de fer. Au sud, les ingénieurs dépêchés par Léopold II fouillent le terrain et recensent ses incroyables richesses. La Belgique a mis la main sur un trésor.Elle doit surveiller ses frontières très poreuses, repousser les prétentions rhodésiennes et britanniques. L’uranium du Congo belge est là, qu’on enverra un jour en Amérique pour un sombre dessein «au nom du monde libre». Jean Jadot crée l’Union Minière. Les banques belges suivent et appuient. Elisabethville se développe et la présence belge s’accroît. L’UMKH (Union Minière du Haut-Katanga) devient «un État dans l’État». Elle possède des usines, des hôpitaux, des centres de formation. Des mines florissantes (dont celle de Kolwezi) témoignent de cette toute-puissance. L’uranium du Congo belge va filer en Amérique et servira aussi à alléger les finances du pays (ndlr: la Belgique) après la guerre, ce qui lui permettra de repartir un peu mieux que son grand voisin français. La mine de Shinkolobwe fut officiellement fermée en 1960.
Mais des mineurs congolais continuent d’y risquer leur vie en tentant d’en extraire un peu d’uranium et de cobalt. En 2004, le président congolais Joseph Kabila scellait son sort en signant un décret classant Shinkolobwe comme zone interdite à toute activité minière. Mais l’exploitation clandestine perdure, telle un maillon faible du trafic d’uranium. Celui-ci est toujours autant convoité par les pays du club nucléaire... et par les autres, ceux qui entendent développer une filière militaire et non pas civile. La mine fut plusieurs fois fermée durant son histoire, y compris par Mobutu.
UN CONTRAT URANIUM TOP SECRET.
Après la guerre, l’uranium belge fut encore à la une. Il fit l’objet d’âpres tractations au niveau politique. Fallait-il nationaliser la mine de Shinkolobwe? Le contrat uranium liant la Belgique aux Etats-Unis et à l’Angleterre était top secret. Le socialiste Paul-Henri Spaak gère ce dossier délicat. Le contrôle de la filière devient primordial dans un monde déjà engagé dans la guerre froide. La question fait des vagues à Bruxelles où les pacifistes de tous bords s’agitent, traitant Spaak de «suppôt des capitalistes».
La Belgique veut préserver ses intérêts commerciaux puisque les dossiers stratégiques sont réglés en coulisses et à l’ONU. Les Belges discutent des prix, des quantités à fournir, de stratégie industrielle civile. Sengier, l’homme qui livra l’uranium dans le cadre du projet Manhattan, caresse le rêve de fonder l’Union atomique belge. En juillet 1949, à la conférence de Blair House, la Grande-Bretagne (qui veut se doter à son tour de l’arme atomique) propose aux Américains de leur abandonner l’uranium congolais en échange d’études stratégiques indispensables. La Belgique voit les grandes puissances lui marcher sur le dos, au grand dam de Spaak, ministre des Affaires étrangères, qui passe ensuite la main à Gaston Eyskens. L’uranium congolais restera dans les mains belges jusqu’en 1960 et l’indépendance avant pas mal de soubresauts ensuite. Son contrôle attisa bien des rivalités commerciales et militaires. Il a rapporté beaucoup d’argent à l’économie belge, ancré notre pays dans l’orbite américaine. Mais il est bien loin, le temps de l’uranium décisif pour précipiter la fin de la guerre.
BERNARD MEEUS.
le Soir Magazine,
n°4320, 8 avril 2015.