Une interview exclusive du Gouverneur Alphonse Ngoy Kasanji
  • mar, 02/05/2017 - 00:49

L’affable Gouverneur du Kasaï Oriental parle au Soft International sans tabou. De Kamwina Nsapu, des experts onusiens décapités, du Kasaï et du diamant, des Balubas, de Tshisekedi, de Samy Badibanga, de Bruno Tshibala…

Une foule de questions à poser à Alphonse Ngoy Kasanji et que ce gouverneur affable répond sans fioriture. Kamwina Nsapu, ses décapitations dont celle des deux experts onusiens, un jeune américain, une jeune suédo-chilienne; Kamwina Nsapu son terreau, pauvreté, misère; cela explique-t-il l’exode des Kasaïens et le phénomène Wewa? Les années diamant, de l’histoire définitivement ancienne? Comment en sommes-nous arrivés là? Deux Premiers ministres, l’un sortant (Badibanga), l’autre entrant (Tshibala), originaires tous les deux du Kasaï Oriental. A-t-il un commentaire, une préférence? Au fond, le Kasaï est-il menacé par Kamwina Nsapu? Cette milice fait-elle la loi au point d’empêcher deux visites du Premier ministre? Interview ci-après.

Quelle qualification conviendrait au mouvement Kamwina Nsapu qui déferle au Kasaï, sème la terreur par la décapitation des personnes et des personnalités allant jusqu’aux étrangers? Milice? Rébellion? Insurrection? Terrorisme?
Terrorisme. Sans aucun doute.

A-t-on connu dans l’histoire du Kasaï une horreur de ce type avec des décapitations aussi systématiques et qui déborde jusqu’au Kwilu?
Non. Jamais.

Vous avez vos racines au Kasaï. A quoi attribuez-vous ce phénomène? Quelle est l’origine des horreurs de Kamwina Nsapu?
Un renseignement a fait état de la détention illégale d’armes de guerre et munitions au domicile de M. Kamwina Nsapu qui entretient également une milice armée. Ce qui a donné lieu à une perquisition au domicile du suspect, à l’issue de laquelle ce chef accuse les forces de l’ordre d’avoir touché aux attributs de son pouvoir coutumier.Mécontent, ce chef coutumier a monté un groupe de jeunes et enfants - des terroristes - drogués pour s’attaquer aux symboles du pouvoir, à savoir, les forces de l’ordre, des agents de renseignement, des édifices publics, des autorités politico-administratives, ainsi que tout celui qui refuse d’adhérer à son idéologie expansionniste. Pendant le recrutement de sa milice, il s’est attaqué même aux villages environnants. Tout chef qui refusait d’adhérer ou faire adhérer les jeunes à son mouvement était considéré comme un traître. Les villages étaient brûlés, les occupants décapités.
Ils ont fait recours à des rites fétichistes (tshizaba en langue Luba) pour faire croire à leurs adeptes que, face aux armes, ils sont invulnérables. Cela par des méthodes de contraintes physiques sous peine de décapitation. Nous attribuons ce mouvement aux ambitions démesurées d’un chef coutumier qui a monté un mouvement asymétrique, dans l’objectif de semer la terreur et la désolation.

Ailleurs dans le pays, l’arrivée d’un policier ou d’un militaire fait vider des villages entiers dans la forêt. Il faut des campagnes pour les en faire revenir. Au Kasaï, c’est le contraire qui se passe avec l’arrestation des 39 policiers et leur décapitation alors qu’ils étaient armés! On s’attendait à ce qu’ils se défendent, mettent en déroute des combattants tribaux. Comment expliquer ce phénomène?
Le mouvement terroriste Kamuina Nsapu a été bien monté pour s’attaquer à la police et à l’armée. Les jeunes étant drogués et trompés, ils sont prêts à payer même de leur vie, parce qu’on leur a dit que l’arme ne pouvait pas percer leur corps.

Pouvez-vous expliquer les circonstances de cette incroyable mise à mort massive?
Tout part d’un piège tendu par les terroristes sur le chemin que devait emprunter le camion de 39 policiers. A mon avis, ces jeunes drogués avaient l’information sur le passage du camion et y ont placé des pièges à bourbiers. Le camion s’est embourbé, obligeant les policiers à descendre du véhicule, laissant leurs armes dans la partie arrière du véhicule, pour donner un coup de main. C’est en ce moment là que les bourreaux en embuscade sont arrivés pour passer à l’expédition punitive ayant abouti à leur triste décapitation.

Quand deux jeunes occidentaux, experts onusiens dont un Américain, sont arrêtés et égorgés froidement dans la brousse au Kasaï, comment réagissez-vous comme autorité locale?
Les images de la décapitation de ces deux jeunes experts de l’ONU sont vraiment atroces. Le Kasaien n’a pas cette mentalité qui frise l’extrême méchanceté. Le mouvement terroriste ne réfléchit pas. Tout ce qui arrive dans la tête de ces adeptes de Kamwina Nsapu, ils le font. Ils ont cru que ces jeunes experts étaient des traîtres, envoyés par le Gouvernement pour les espionner.

Connaissez-vous les circonstances de cette mise à mort?
Non.

Confirmez-vous les allégations selon lesquelles des politiciens kasaïens de Kinshasa seraient derrière Kamwina Nsapu? Si, oui, qui sont-ils? Comment opèrent-ils?
J’ai séjourné à Kananga fin janvier 2017. En tant que Vice Doyen des Gouverneurs et Doyen des collègues des Provinces du Kasaï, j’ai tenu une réunion avec les deux collègues de l’espace Kasaï et des notables. Ces derniers ont affirmé qu’il existe des personnes à Kinshasa qui entretiennent ce mouvement, pour déstalibiliser le Kasaï et certaines têtes qui ne leur plaisent pas. Toutefois, ils n’ont cité aucun nom.

Ce terrorisme de Kamwina Nsapu - comme vous le qualifiez - ne trouve-t-il pas son terreau dans la pauvreté qui ronge un espace territorial que le diamant aurait dû développer? Au fond, comment expliquer que le Kasaï soit si peu développé que le Kivu en guerre?
Les raisons du sous-développement du Kasaï malgré son diamant sont à notre avis, l’enclavement de ces provinces situées au centre de la République, le manque d’énergie électrique suffisante à son développement.

Comment expliquer que par deux fois, Kamwina Nsapu ait pu attaquer des points stratégiques à Kananga au point d’empêcher deux visites programmées et organisées du Premier ministre Badibanga pourtant? Kamwina Nsapu impose-t-il à ce point sa loi?
Le jour où le Premier Ministre devait venir à Kananga, deux gouverneurs visiteurs étaient sur place. Moi-même pour le Kasaï Oriental et Marc Manyanga du Kasaï. Nous avons effectué nos activités sans aucun problème du tout. Donc, le Premier Ministre pouvait bien atterrir, la force restant toujours du côté de la loi.

Vous arrive-t-il de vous sentir inquiet, peu en sécurité? Vos nuits sont-elles troubles?
Le Kasaï Oriental n’est pas sous la menace Kamuina Nsapu. Nous ne nous sentons pas en insécurité.

Au fond, Kamwina Nsapu ne ressemble-t-il pas désormais au phénomène Maï Maï dans les Kivu et au Katanga? Qui veut faire un coup de feu semble se réclamer désormais de Kamwina Nsapu! Pensez-vous qu’à court terme, une solution soit possible?
La solution reste la restauration de l’autorité de l’Etat dans toutes les provinces concernées en établissant par exemple une zone opérationnelle dans le centre. Comme c’est le cas. Rétablir l’ordre coutumier chez le feu Kamuina Nsapu serait aussi une bonne stratégie, comme cela vient d’être fait par le Vice-Premier Ministre de l’Intérieur et Sécurité Emmanuel Shadary. Mais le mouvement ayant plusieurs ramifications, il faut aussi identifier tous les tireurs des ficelles et, au besoin, les arrêter.

Que vous disent les menaces des ONG et de la Cour Pénanle Internationale?
Les ONG et la Cour Pénale Internationale doivent rester l’église au milieu du village. Elles ne doivent pas seulement fragiliser l’Etat, principale victime du terrorisme Kamuina Nsapu. Elles doivent aussi condamner et même réprimer ces crimes atroces commis par ces terroristes.

Vous avez bruyamment fêté à Kinshasa la nomination de Samy Badibanga comme Premier ministre, on ne vous a pas entendu fêter celle de Bruno Tshibala Nzenzhe qui est Kasaïen comme Badibanga. Un communiqué suffisait-il?
Nous avons fêté la nomination de Bruno Tshibala par une caravane motorisée des Kasaïens vivant dans la Capitale, tard dans la nuit. C’est même plus ce que nous avions fait pour Samy Badibanga, dont la caravane motorisée avait eu lieu pendant la journée. Un simple communiqué ne pouvait pas suffire pour exprimer la grande joie qui inonde les cœurs des estkasaiens de voir deux premiers ministres issus de leur province se succéder à la tête du Gouvernement Central. C’est une grande première dans l’histoire de notre pays. Avec Samy Badibanga, le Kasaï Oriental a eu la réponse à plusieurs problèmes qui traînaient dans les tiroirs de la primature depuis des années. C’est notamment l’asphaltage de la RN N°1 tronçon Kananga-Mbujimayi-Nguba au Katanga. Le contrat vient d’être signé et l’asphaltage de cet axe routier marque le début du développement du Kasaï Oriental car la Province sera connectée à l’Afrique australe et au port de Matadi. Il y a aussi le ravin Mbala wa Tshitolo où va être posée une traversée moderne, après trente ans de souffrance des populations riveraines. Nous n’avons pas oublié l’avenue Cathédrale dont la signature du contrat entre le FONER et l’OVD avait eu lieu depuis plus de deux ans. Mais le décaissement de fonds n’est intervenu qu’à l’avènement de Samy Badibanga. La liste n’est pas exhaustive. Nous croyons dans les capacités de Bruno Tshibala de travailler pour le rayonnement de la Province du Kasaï Oriental et le bien-être de la population.

Monsieur le Gouverneur, vous avez fêté le Premier ministre Badibanga avec des taximotos Wewa à Kinshasa. Des Compatriotes déboulés du Kasaï minier qui ne parlent pas la langue de la Capitale. Que vous inspire ce phénomène? L’échec d’une politique des originaires qui auraient délaissé leur base, n’auraient de visée que sur Kinshasa ou l’extérieur qui comptent d’importantes colonies kasaïennes?
Le phénomène Wewa traduit l’intelligence kasaïenne. Le phénomène moto taxi nous vient de l’Afrique de l’Ouest. Lors de mon dernier séjour en Chine, j’ai vu aussi ce mode de transport. En RD Congo, la marque a été importée à l’Est de la République. Quant aux estksaiens, après avoir réussi le moto taxi à Mbuji-Mayi, ils ont décidé de l’exporter vers d’autres coins de la République, notamment dans la ville de Kinshasa où la population apprécie énormément ce mode de transport rapide et moins coûteux. Le Kasaien est un peuple entreprenant, après le mototaxi, il s’est attaqué aux «Ketchs», bus, taxibus et tient aujourd’hui le secteur de transport en commun à Kinshasa et Lubumbashi. Le Kasaïen tient aussi les secteurs de l’import-export et celui des mines dans ces deux grandes villes de la République. Cela ne peut en aucun cas être considéré comme l’échec d’une politique.

Vous avez fait fortune dans le diamant. Les années diamant au Congo sont-elles de l’histoire ancienne?
Les gisements de la Miba s’étendent sur les provinces du Kasaï Central, du Kasaï et du Kasaï Oriental où le diamant existe encore et en grande quantité. Ces gisements sont dénombrés en milliers de Km2. Mais à ce jour, depuis les années 1960, la Miba n’est présente que sur les 400 km2 à Mbuji Mayi où elle a installé son plygone minier. La SACIM qui exploite le diamant à Tshibwe fait des bonnes affaires. Sa production est en pleine croissance chaque mois (400.000 carats par mois) et l’objectif est atteindre 1 million. Le souci du Kasaï Oriental est que la MIBA soit relancée totalement.

Quelles sont les axes prioritaires du développement du Kasaï Oriental?
Les priorités aujourd’hui pour le Kasaï Oriental sont l’électricité pour le développement. La centrale hydroélectrique de Tshiala ne produit que 5,5 Mégawatts alors qu’elle a une capacité de 18 Mw. Insuffisants pour permettre aux grandes usines de s’installer dans la province. Nous voulons pour ce faire la fin rapide de travaux de la centrale de Katende. Il faut aussi réhabiliter le barrage de Tshiala. Mais le projet de construction de la nouvelle centrale hydroélectrique de Tshiala II est en cours de montage. Ensuite, l’asphaltage de la route Kananga-Mbujimayi-Kolwezi. Cet axe routier va connecter le Kasaï Oriental à Kasumbalesa et au port de Matadi, deux principales portes d’entrée et de sortie de la République. Dans le même ordre d’idées, nous voulons l’asphaltage de la RN N°2 qui va relier le Kasaï Oriental aux provinces de l’Est de la République. Puis, le port de Lobito. Nous voulons le parachèvement rapide du projet de la route qui relie le Kasaï Central au port de Lobito en Angola. Le Kasaï Oriental bénéficiera également de ces travaux car ce port sera à moins de 400 km de cette province, contrairement à d’autres ports localisés trop loin. Il faut noter tout aussi le désenclavement par voie fluviale. Le dragage de la rivière Lubi et la réhabilitation du port de Ndomba; la réhabilitation et la modernisation de l’aéroport de Bipemba, aéroport stratégique de par sa situation au centre de la République, l’aéroport de Mbuji-Mayi est le point de passage de plusieurs avions qui survolent l’espace aérien congolais. Il doit de ce fait être réhabilité complètement, sa piste allongée, son aérogare refaite. L’eau. Le réseau de distribution d’eau potable de Mbuji-Mayi était construit pour desservir 300.000 personnes. Actuellement, la ville compte plus de 3 millions d’habitants. D’où, les difficultés récurrentes que la population rencontre. Mais nous sommes heureux du financement de l’ordre de USD 65 millions obtenu de la BAD et de KFW pour réhabiliter ce réseau. Les travaux débutent avant la fin 2017. La cimenterie. Un sac de ciment se négocie entre 25 et 30$. Pourtant, la province dispose d’un grand gisement de la roche de calcaire dans le village de Kabwe, à 10 km de la ville de Mbuji-Mayi. Une cimenterie peut bien être installée sur place. Enfin, les écoles et hôpitaux. Le Kasaï Oriental veut avoir plus d’écoles (sans pailles) et des centres de santé bien équipés dans tous les villages de la province. La libéralisation du 3e cycle limitera l’afflux des étudiants kasaiens vers Lubumbashi, Kinshasa et Kisangani à la recherche de ces études supérieures.

Une sépulture de Tshisekedi à Mbuji Mayi ou à Kabeya Kamwanga annoncée par la famille est-elle à saluer?
Oui. Quand j’ai appris la mort du Patriarche Etienne Tshisekedi, j’ai rencontré Mgr Gérard Mulumba, jeune frère du défunt pour lui faire savoir notre souhait de voir ce grand monument inhumé dans sa province natale.
Tshisekedi fait partie des grands personnages que le Kasaï Oriental a offerts au monde. Aujourd’hui que des divergences existent entre sa famille et le Gouvernement Central au sujet du lieu de son enterrement à Kinshasa, nous nous rendons de nouveau disponible pour donner un espace digne à Mbuji-Mayi ou à Kabeya Kamuanga, pour permettre au sphinx de se reposer pour l’éternité.
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