- jeu, 06/04/2017 - 05:33
L’homme est révoqué en direct en plein discours présidentiel.
Il n’existe aucune autre façon de commenter le discours du Président de la République mercredi 5 avril 2017 devant les deux Chambres parlementaires réunies en Congrès. Face à l’urgence extrême en passe de se muer en insurrection généralisée dans le centre du pays, au Kasaï, le temps n’était plus au discours et le Congo et les Congolais n’en avaient cure. Le temps était à l’action directe. Or, le premier ministre Samy Badibanga Ntita n’était déjà plus, depuis belle lurette, c’est le moins que l’on puisse dire, l’homme de la situation. Sans manifestement aucune étoffe politique ou quelconque, ni la taille de la fonction - fort dommage pour le casting - il n’a pu ni faire un déplacement dans le Kasaï dont il est par ailleurs originaire qui aurait pu exacerber une crise tribale basculée en terrorisme avec des décapitations des fonctionnaires internationaux, des policiers et soldats, des fonctionnaires congolais; il n’a pas plus aidé, par une initiative volontariste, à l’atténuation de la crise économique et sociale, véritable boulet et bombe à retardement pour le pouvoir.
Mais voilà que, contre toute attente, il réserve une fin de non recevoir quand des émissaires du Président de la République et donc de la Majorité Présidentielle, lui demandent, puis le pressent pendant 48 heures, d’être la solution en remettant sans attendre sa démission afin de faciliter et d’accélérer la nomination d’un nouveau Premier ministre dans le cadre d’un accord à légitimité internationale. Badibanga préfère jouer à la complication, exacerbant du coup une crise déjà impossible, caressant d’invoquer les articles 90, 146 et 147 de la Constitution et d’actionner l’Assemblée Nationale. Certes, le Président nomme mais ne révoque pas le Premier ministre mais Badibanga a fait montre de peu de réalisme, oubliant que la majorité qui lui a donné le plein de voix le jour de son investiture le 22 décembre 2016 était la majorité présidentielle. Celle dont les représentants lui demandaient son départ dans la dignité. Du coup, face à l’urgence qu’impose le Salut national, il ne restait au Président de la République qu’une solution: le démettre publiquement, devant les deux Chambres réunies, devant le Congres, en direct sur les télés. Badibanga que le Chef de l’Etat n’a salué, ni à son entrée dans l’hémicycle du Palais du Peuple, ni à son départ de l’hémicycle alors qu’il a fait le tour de l’estrade pour serrer la main de tout le monde, non seulement celle des Présidents des Chambres Aubin Minaku Ndjalandjoku et Léon Kengo wa Dondo - signe de la qualité de ses relations avec le Président de la République - pensait avoir quelque appui au Parlement. Il a su mesurer sa popularité puisque l’annonce de ce crash en direct en plein vol d’essai, a été salué comme jamais par le brouhaha des élus et du public. Prononcée à la fin de ce discours sur l’état de la Nation, une phrase présidentielle restera à jamais historique dans les annales de la vie politique nationale - et pourquoi pas internationale, celle de la révocation en direct d’un Premier ministre. «Comme relevé dans Mon message de novembre 2016, et tenant compte du fait que le pays ne doit plus être l’otage d’intérêts personnels et de lutte de positionnement des acteurs politiques, le Premier Ministre sera impérativement nommé dans les 48 heures». Le cri d’expiration que Badibanga a poussé à la lecture de cette phrase, et les yeux qu’il a fermés alors que la caméra lui faisait un zoom in, en disent long sur le désarroi qui l’a habité. Le Soft International publie le discours du Chef de l’Etat, qui d’entrée de jeu, explique que l’urgence de la situation l’a conduit à délivrer ce discours sur l’état de la Nation, à s’«acquitter de ce devoir constitutionnel plus tôt que de coutume». Ci-après.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mes Chers compatriotes,
Après Mon adresse sur l’état de la Nation, le mois de novembre dernier, la situation socio-économique, politique et sécuritaire du pays M’obligent ce jour à M’acquitter de ce devoir constitutionnel, plus tôt, que de coutume.
En effet, la morosité des indicateurs macro-économiques laisse aujourd’hui nos concitoyens perplexes, au regard de son incidence bien compréhensible sur leur pouvoir d’achat, alors qu’au plan politique, les négociations du Centre interdiocésain sur l’arrangement particulier relatif à la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre 2016, ont généré quelques inquiétudes pour avoir achoppé sur deux difficultés du reste surmontables: les modalités de nomination du Premier Ministre et la désignation d’une nouvelle personnalité à la tête du Conseil National du Suivi de l’Accord, CNSA en sigle.
Aussi, les dernières évolutions dans le Kasaï Central et ses environs sont-elles restées marquées, au plan sécuritaire, par les actes de barbarie inacceptables et condamnables dont la profanation et le saccage de nombreux édifices religieux, le viol et la décapitation de nombreuses femmes, d’une centaine d’éléments de nos forces de Police et de l’Armée, ainsi que celle de plusieurs civils et deux experts des Nations Unies.
En leur mémoire, et en celle de tous les fils et filles de ce pays qui nous ont quittés en ce début d’année 2017, sous le drapeau, ou de mort naturelle, dont le Président de l’UDPS, Monsieur Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Je vous invite à observer une minute de silence.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mes Chers compatriotes,
Le premier trimestre de l’année en cours a été marqué, au plan sécuritaire, par une évolution positive et encourageante de la situation dans l’Est du pays où nos populations du Tanganyika, du Sud et du Nord-Kivu ont renoué progressivement avec la paix et la tranquillité, grâce aux opérations militaires de nos forces de sécurité, mais grâce aussi aux efforts de sensibilisation des autorités et notabilités locales. Ces actions doivent se poursuivre pour atteindre l’objectif d’une paix durable.
Le temps de se réjouir un instant à juste titre, de ce vent favorable, l’épicentre de l’insécurité se déplacera vers le Centre du pays où un conflit coutumier a dégénéré en violence meurtrière aveugle, entretenue par les milices muées en terroristes, violant, tuant, brûlant et détruisant tout sur leur passage.
Il s’agit là, vous vous en doutez, d’une situation aujourd’hui au cœur de nos profondes préoccupations.
L’énigme du départ aux contours coutumiers a été dénouée à travers un processus politique et administratif initié par le Gouvernement central.
Face aux atrocités inacceptables commises sur des victimes innocentes et en raison de la persistance des troubles à l’ordre public, mettant en péril la paix et la stabilité du pays, il ne nous reste plus qu’à déférer à notre obligation constitutionnelle: celle de rétablir l’autorité de l’Etat dans cette partie de la République, par tous les moyens légaux possibles.
C’est ici le sens des Ordonnances que Je viens de signer, mettant en place un secteur opérationnel dans les Kasaï.
En même temps, des instructions ont été données au Gouvernement central de manière à intensifier sa présence accrue dans les provinces touchées, à travers les Ministres ayant en charge l’Intérieur et les Affaires Coutumières, en vue de la poursuite du règlement politique et administratif de nombreux conflits coutumiers signalés ça et là, et ce, avec l’aide de l’Association Nationale des Autorités Traditionnelles du Congo.
Il est clair que les responsables présumés de toutes les exactions et crimes graves sur les civils dont, à ce jour, sept militaires des Forces Armées, déjà aux arrêts, répondront de leurs actes devant la justice.
De la même façon, les crimes commis par les miliciens sur les paisibles citoyens, les agents de l’ordre et ceux des Nations Unies ne resteront pas impunis.
Leurs auteurs qui font eux aussi déjà l’objet des enquêtes judiciaires au niveau des Parquets et Auditorats militaires compétents, devront être sanctionnés conformément à la loi.
D’ores et déjà, des instructions ont été données au Gouvernement de la République, afin qu’il apporte le concours nécessaire à la réalisation desdites enquêtes.
En attendant, Je lance un appel au calme dans le Kasaï Central et J’invite les quelques jeunes entraînés dans des aventures sans lendemain, aux conséquences dévastatrices pour nos populations des provinces affectées, à déposer les armes et à cesser leurs actions criminelles.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Je me fais le devoir de rappeler, une fois de plus, la fragilité des fondamentaux de notre tissu économique tournés essentiellement vers le secteur tertiaire, et marqué d’une part, par l’importation des biens de première nécessité consommés par les Congolais et que nous ne produisons pas, et d’autre part, par l’exportation des matières premières, vers les pays industrialisés, source de nos principales recettes budgétaires, mais dont la fixation des cours échappe à notre contrôle.
Il va sans dire que tant que nous ne changerons pas ce paradigme, notre économie restera fragile et fera continuellement les frais des soubresauts de la conjoncture économique internationale.
Dans le même ordre d’idées, tant que notre système fiscal sera écrasant, discriminatoire et truffé d’une parafiscalité lourde, le climat des affaires ne sera pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal.
Aujourd’hui, nous avons pris la mesure du défi. Il nous faut agir sans plus attendre.
En plus des investissements publics légitimes, l’option est donc définitivement levée de promouvoir le soutien au secteur privé productif à travers, particulièrement, l’appui direct aux petites et moyennes industries et aux petites et moyennes entreprises, spécialement celles engagées dans l’agro-industrie et inscrivant leurs activités dans le cadre des chaînes des valeurs.
Il nous faut, en effet, produire ce que nous consommons et, comme J’ai eu déjà à le dire, conférer de la valeur ajoutée à nos produits destinés, non seulement à la consommation domestique, mais aussi à l’exportation, en vue de les rendre plus compétitifs.
Notre pays ne saurait plus indéfiniment être ce grand marché offrant l’opportunité d’affaires et d’emplois aux peuples des pays tiers, au détriment de sa propre population et de son économie.
Par ailleurs, les efforts de mobilisation des ressources internes seront poursuivis à travers la lutte sans concession contre la fraude douanière et fiscale ainsi que la contrebande, grâce aux réformes fiscales nécessaires et grâce à l’implantation très prochaine, au sein de nos régies financières, des systèmes de gestion informatisées des contribuables, fournis par une expertise appropriée.
C’est ici le lieu pour Moi d’insister sur l’impérieuse nécessité pour le Gouvernement de la République, l’Assemblée Nationale et le Sénat de prendre des dispositions utiles en vue de l’adoption, dans les plus brefs délais, et, pendant la session en cours, d’une nouvelle Loi sur la fiscalité, de celle sur le Partenariat Public Privé, sans omettre la finalisation de la Loi portant révision de certaines dispositions du Code minier, en sursis depuis plusieurs mois devant les deux Chambres.
Le Gouvernement pourra ainsi disposer des outils solides pour stabiliser, de manière pérenne et structurelle, la situation économique en cours, avant d’inverser définitivement la tendance préoccupante actuelle.
L’amélioration de la situation sociale de nos populations, en dépend.
Honorables Députés et Sénateurs,
Mes Chers Compatriotes,
Je voudrais rappeler à la jeunesse de notre pays que la mise en œuvre effective des politiques appropriées promises en novembre dernier en vue de sa réinsertion socio-économique a démarré.
La promotion de l’entrepreneuriat local à travers les mesures susmentionnées de soutien au secteur privé ainsi que l’entrée en vigueur de la Loi sur la sous-traitance aux PME et PMI locales constituent aujourd’hui, des opportunités à saisir.
Parallèlement à ces efforts qui créeront plusieurs milliers d’emplois, les entreprises du portefeuille de l’Etat ont été instruites de privilégier, dans le cadre de leur plan de redressement, la résorption du chômage des jeunes.
Quant aux agents et fonctionnaires de l’Etat, civils et militaires, le processus engagé de l’amélioration de leurs conditions de vie sera poursuivi, grâce aux réformes relatives à la maîtrise des effectifs et de la masse salariale, qui permettront en dernier ressort, la réaffectation des économies réalisées, aux réajustements progressifs de leurs traitements.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Conformément à ce qui est devenu une tradition politique dans notre pays, J’ai levé l’option, depuis juin 2015, d’engager la classe politique et sociale de notre pays dans un dialogue, afin de dégager le consensus indispensable à l’organisation du troisième cycle électoral apaisé.
Cette initiative faisait suite du reste, aux efforts entrepris dans le même sens en 2012, lorsqu’à la recherche du consensus national en vue de défendre la patrie contre les pseudo-rébellions, J’avais convoqué les Concertations Nationales ayant permis de renforcer notre cohésion en tant que Nation et de soutenir, d’une seule voix, notre armée engagée dans les opérations de défense de la patrie.
Dans le même ordre d’idées, une fois de plus, la recherche du consensus M’a inspiré, dans la convocation, en novembre 2015, du dialogue politique national inclusif tenu sous la facilitation internationale de l’Union Africaine.
Ce Forum, précédé lui-même du pré-dialogue entre la Majorité et l’UDPS, tenu dans plusieurs villes européennes, débouchera, à la Cité de l’Union Africaine, sur l’Accord du 18 octobre 2016, entre l’Opposition politique, la Société civile et la Majorité.
Quoique cet Accord ait jeté des bases solides à nos attentes, J’avais résolu de déférer à l’impératif de l’inclusivité en vue d’un plus large consensus des parties prenantes au processus électoral, en confiant à la Conférence Episcopale Nationale du Congo une mission de bons offices auprès du «Rassemblement» de l’Opposition.
C’est ici le lieu de rendre hommage aux Evêques de l’Eglise catholique pour l’excellent travail abattu, ayant donné lieu à l’Accord du 31 décembre dernier, et à certains points de convergence sur les modalités de mise en œuvre dudit Accord.
Hélas, en dépit de leurs efforts louables ayant permis l’atteinte de plus de 90% des résultats escomptés, les parties prenantes n’ont pu dégager de consensus sur deux points concernant respectivement la désignation du Premier Ministre et celle du Président du Conseil National de Suivi de l’Accord, tel que renseigné dans le rapport final de médiation Me transmis en date du 28 mars dernier.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
J’aimerais rappeler, une fois de plus, que l’objectif poursuivi en organisant le Dialogue est, et reste, l’organisation des élections apaisées.
Je félicite pour cela notre Centrale électorale qui, dans des conditions extrêmement difficiles, a abattu un travail remarquable ayant permis, à ce jour, de dépasser la barre de 21.500.000 électeurs enrôlés avec, essentiellement, le financement propre du Gouvernement de la République, évalué à ce jour, à 320 millions de dollars.
Je voudrais annoncer solennellement à notre peuple, que les élections auront bel et bien lieu.
Que ceux qui en doutent encore soient rassurés. Tout sera mis en œuvre, en effet, pour atteindre cet objectif, conformément au calendrier qui sera fixé par la CENI.
L’Accord du 18 octobre, comme celui du 31 décembre 2016 ayant dégagé le consensus jadis recherché sur la problématique des séquences des élections et du fichier électoral, aussitôt celui-ci constitué, et la répartition des sièges déterminée par une Loi qui sera adoptée par les deux Chambres, plus rien ne devra empêcher la convocation du scrutin.
Honorables Députés et Sénateurs,
Ce processus étant l’œuvre des Congolais, financé par les Congolais eux-mêmes, aucune ingérence étrangère ni dans son pilotage, moins encore dans son déroulement, ne sera tolérée.
Comme dans tout autre pays membre des Nations Unies, il s’agit là d’une question de politique intérieure et relevant, en conséquence, de la souveraineté nationale.
Et notre devoir, c’est bien celui de défendre justement l’indépendance et la souveraineté nationales, conformément à l’engagement pris devant notre peuple, aux termes de notre serment constitutionnel.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mes Chers Compatriotes,
Au cours de ces dernières 48 heures, J’ai été à l’écoute de la classe politique et sociale qui a répondu à Mon invitation. J’ai noté une convergence des vues, notamment sur l’urgence qu’impose le règlement de deux points relatifs à la mise en œuvre de l’Accord, spécialement en ce qui concerne la question de la désignation d’un nouveau Premier Ministre.
A ce propos, un large consensus s’étant dégagé sur la procédure de désignation de celui-ci, et sur les compétences de l’autorité de nomination, J’invite le «Rassemblement» à surmonter ses querelles intestines et à harmoniser les vues sur la liste des candidats Premier Ministre ayant le profil requis et convenu, comme souhaité depuis plusieurs mois, en vue d’accélérer le processus de formation du nouveau Gouvernement d’Union Nationale.
Comme relevé dans Mon message de novembre 2016, et tenant compte du fait que le pays ne doit plus être l’otage d’intérêts personnels et de lutte de positionnement des acteurs politiques, le Premier Ministre sera impérativement nommé dans les 48 heures.
Quant à la présidence du Conseil National de Suivi de l’Accord, Je demande aux deux Chambres du Parlement d’adopter rapidement la Loi organique y relative, en même temps que J’en appelle à l’accélération des tractations au sein de la classe politique en vue de la désignation, dans la foulée de l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement, d’une personnalité consensuelle devant présider cette structure.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mes Chers compatriotes,
Comme par le passé, la République Démocratique du Congo n’a pas vocation à sombrer, mais plutôt à émerger. Ses difficultés conjoncturelles étant bien cernées, elles sont en voie de trouver des réponses appropriées.
Je suis convaincu que grâce à l’engagement de tous, Opposition, Société civile et Majorité, et surtout grâce à l’appui de notre peuple, nous saurons surmonter les défis qui se présentent à nous.
Et notre beau pays survivra aux prédictions apocalyptiques et malveillantes de ses détracteurs.
Que Dieu bénisse notre pays!
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie.
JOSEPH KABILA KABANGE
Kinshasa,
Palais du Peuple, 5 avril 2017.