- lun, 06/03/2017 - 05:40
Malgré un ventre qui se lâchait jusqu’aux pieds, il est resté aux commandes pour ce Congo qu’il aimait tant.
Il l’avait surnommé Johnny Boy - de son prénom Jean de la Croix. Il ne passait pas une journée sans l’avoir deux à trois fois au téléphone «Hey Boy!». Même depuis l’étranger où il se rendait fréquemment, il n’oubliait pas de l’appeler. Parfois cet homme immensément gros déboulait dans ce petit salon du 1er étage d’un pâté de maisons à la Gombe dès 7 heures du matin pour se faire servir un petit déj’ café-croissant. Alors, il parlait de tout. Du temps qu’il fait, des affaires qui marchent ou ne marchent pas.
De la politique bien sûr dont il connaissait les principaux acteurs!
LARRONS EN FOIRE.
Il s’amusait même à faire ses projections.
Il parlait anglais américain que très peu de gens comprenaient autour de lui tellement il en avalait les mots. Le Congolais Jean de la Croix Gakuru baragouinait cette langue de Shakespeare. Il a la chance d’avoir passé quelques années en Grande Bretagne. Son twin, le Gomair Jean de Dieu Gato qui lorgne sur l’Amérique... Au fait, qu’importe! L’essentiel est qu’ils s’entendaient comme larrons en foire
Jean de la Croix et Tim Roman avaient quelque chose de commun. Le Congolais a fait des études d’aviation interrompues - faute de financement - pour regagner le pays et se lancer dans une vie active où il fait du tout, du pouvoir ou de l’opposition; l’Américain est pilote de ligne et connaît tout se qui bouge dans la ville. Nés pour s’entendre...
Arrivé au Congo en 1997 alors que l’AFDL était déjà conquérante, après qu’elle eût basculé dans la partie occidentale du pays, Tim Roman n’a jamais quitté notre pays malgré quelques offres alléchantes venues des pays voisins. Les mêmes: Rwanda, Ouganda, etc. Il estime que la loyauté a un prix... Elle finit par payer. Avant le Congo, son avion de brousse de 2 tonnes était parqué sur une piste de Wilson Airport à Nairobi, au Kenya. Cet avion a ceci de particulier qu’il peut atterrir par tous les temps sur toutes les pistes de brousse.
A sa venue au Congo, le Mzee Laurent-Désiré Kabila à la tête de l’Afdl qui combat Mobutu s’éprend de lui. Son mouvement en marche inexorable vers le pouvoir à Kinshasa ne pouvait mieux tomber. L’ex-rébellion dispose des troupes sur tous les théâtres - au nord, au sud, à l’est, à l’ouest - qu’elle doit nourrir. Précisément, elle éprouve quelques soucis pour atteindre certaines zones inaccessibles. Comment faire parvenir de la nourriture à ces troupes, coupées de leur base? Le petit appareil de Tim apporte la solution. Il va être utilisé pour larguer nourriture, vêtements et autres besoins vitaux.
MOUNTAIN AIRLINES.
La demande est tellement croissante que Tim Roman se dote vite d’un autre appareil, puis... d’un début de flotte aérienne qui compte déjà deux jets: un Sable Line à six places et un Gulf Tream G 2 à 11 places. Entre-temps, l’Américain a mis sur pied une petite compagnie aérienne locale à l’appellation qui colle bien, la Mountain Airlines.
Malgré son énorme corpulence qui ne peut passer dans l’avenue sans que des passants ne se retournent et qui rappelle cet homme qui fut exposé à la curiosité des Zaïrois de l’époque à une session de la Fikin - Toubi -, Tim Roman peut voler chaque jour que fait Dieu, voire jusqu’à New York - avec quelques escales de refueling - avec à bord des délégations gouvernementales de premier ordre. La peur au ventre, l’un d’eux nous confie: «Et si en plein vol, il faisait un AVC?». Rien de tel n’arrive. Et n’arrivera. Car Dieu a béni les vols de Tim...
Cet Américain est à ce point attachant qu’au front les militaires de l’Afdl à qui il apporte de la nourriture et qui savent que sans lui, ils seraient bien en peine de résister physiquement, l’ont affectueusement surnommé Kibonge (en langue Swahili «le Gros» contrairement à Kadogo qui signifie «le petit» utilisé pour désigner ces jeunes que l’Afdl recrute chemin faisant). «A la mort de Mzee, il a pleuré comme s’il pleurait son père. Il n’a jamais compris qui a fait le coup et pourquoi... Aujourd’hui encore, il en parlait avec la plus grande tristesse». C’est Johnny Boy qui nous le dit. Cet Américain qui n’avait pas sa langue dans sa poche, avait le vote Républicain (la droite américaine). Il semble tôt, pendant la campagne américaine, avoir eu quelques contacts avec l’équipe de l’actuel locataire de la Maison Blanche Donald Trump. Quand Kinshasa bourdonnait de rumeurs parmi lesquelles Joseph Kabila Kabange pourrait être parmi les premiers Chefs d’Etat africains à être accueillis à la Maison Blanche. Il est vrai que la victoire de Donald Trump contre Hillary Clinton a été fêtée dans la ville haute à Kinshasa. Elle a, dans un premier temps, éloigné, un certain Tom Periello qui vient d’être remplacé par un diplomate de carrière, Laurence Wohlers, un ancien de Bangui, en Centrafrique et de nombre autres pays africains. Tim est resté très critique des Congolais et se prenait de rage pour un oui ou pour un non. Il avait une idée négative de l’homme politique congolais. Il expliquait à chaque fois qu’il trouvait les Congolais trop fainéants, trop peu travailleurs, développant une incontinence verbale avancée. «Congolese Bakabaka bouche it» («ils ne font que raconter des histoires à dormir debout), se désolait-il rappelant à sa manière Melissa Wells, cette ambassadrice américaine de choc des années transition pour qui les Congolais - Zaïrois de l’époque - ne faisaient montre que de «chaleur, pas de lumière».
NI FEMME, NI ENFANT.
De ce point de vue, les rapports de Tim avec les petits agents congolais n’étaient pas toujours cordiaux. Tim s’était rendu en Afrique du Sud vendredi 24 février dans le cadre d’un contrat de sa vie. Un dossier de forage des puits sur des sites de la Bralima. Avec ce contrat, le brasseur - gros utilisateur d’eau - réaliserait des économies substantielles en se délestant des services de fourniture d’eau défaillants de la Régideso. Ce qu’il avait déjà fait avec succès au Kongo Central dans les installations d’une cimenterie locale, à Kimpese. «C’est un homme pieux, généreux. Chez lui dans le quartier de Mont Fleury, il passait le temps à se gaver de la bonne viande de bœuf autour d’un barbecue, à sa piscine. Autour d’un verre de liqueur de préférence un Martini ou de la vodka...», témoigne Johnny Boy qui est resté très marqué quand il a appris le décès de son ami. Tim Roman s’est éteint dans la nuit de lundi 27 à mardi 28 février à 51 ans à Johanesbourg fougroyé par un AVC.
Son corps a été rapatrié aux Etats-Unis où il sera exposé dans la ville de Hetzelton, dans l’Etat de Pennsylvanie avant d’être enterré samedi. Cet homme ivre de vie n’a laissé ni femme, ni enfant. Ses parents sont morts deux ans plus tôt. Son chien de vingt ans est mort dans sa maison à Mont Fleury écrasé par inadvertance par un ami qui occupait sa villa alors qu’il se séjournait à l’étranger. Tim expliquait qu’à sa mort, ses biens iraient à son petit frère Alain Roman qui vit en Pennsylvanie et lui ressemble comme une goutte d’eau. Alain Roman était attendu à Kinshasa le week-end...
Ceux qui, au Congo, font le deuil c’est Le Libanais Wazne (Safricom). C’est le pilote congolais Charles Descriver (Charly Delta en langage codé). C’est Big Alex. Le Franco-libanais Robert de la Cité du Fleuve. Eux qui appréciaient tant ce ventre qui descendait jusqu’aux genoux. C’est - ne nous mentons pas - moi aussi. Les hommes de troupe pour qui c’était Kibonge certainement...
T. MATOTU.