- lun, 11/04/2016 - 04:39
Il est loin d’être clos. Le dossier de la BIAC mis momentanément sous perfusion de la Banque Centrale, reste au centre de toutes les conversations sur la place financière. Trop de millions de dollars sortis trop souvent par des voies détournées. Trop de millions de dollars subtilisés trop souvent par des hauts cadres de la banque. «Au su et au vu de tous», explique la place financière. Trop de millions de dollars pompés par de hauts cadres eux-mêmes pour financer des projets qui n’auraient pas été validés par le comité de crédit. Dans ce qui arrive à la BIAC, la place financière privilégie désormais la piste d’une collusion mafieuse au sommet de la banque.
AFFAIRE DE TYPE BK?
Est-ce une affaire de type BK qui fit couler beaucoup d’encre lors des années Léopard, coula son initiateur, un talentueux self made man zaïrois Augustin Dokolo Sanu, qui créa en 1969 la BK (Banque de Kinshasa), la première banque à capitaux nationaux en Afrique subsaharienne (capital initial 300.000 zaïres, l’équivalent de 600.000 dollars, qui atteint 10.474.875 zaïres en 1983) et en mourut à Paris le 12 avril 2001? Cela fait exactement 15 ans, jour pour jour...
En 1984, la banque de ce playboy qui s’est marié à une Norvégienne rencontrée au dispensaire de la pharmacie pour la Croix Rouge Danoise à Léopoldville, qui n’avait rien posséder auparavant sinon une société de taxis et un dancing club, compta jusqu’à 1.500 agents dans le pays, un réseau d’une vingtaine d’agences réparties dans toutes les provinces. Une banque qui intervient dans des projets au service du petit peuple mais qui, en réalité, est au service unique de Augustin Dokolo Sanu qui la siphone à volonté, s’érige un véritable empire financier dans des domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’exportation de café, de l’immobilier, de la distribution de biens de consommation, du transport de marchandise, de l’imprimerie, des assurances, des mines, de l’importation de véhicules… Au total pas moins de 17 sociétés. Il construit une ferme et compte 50.000 têtes de bétail et une porcherie de 5.000 porcs et une charcuterie moderne. Il emploie plus de 10.000 chefs de famille. La collusion d’intérêts est réelle.
En 1985, la vache laitière n’en peut plus. Elle fait face à un accroissement important de ses dettes vis-à-vis de la Banque du Zaïre, Banque centrale et institut d’émission. La BK est plombée par des intérêts débiteurs, des intérêts sur intérêts, des pénalités faramineuses. Le playboy doit céder de nombreux biens immobiliers pour couvrir les dettes de ses sociétés envers la BK avant d’apurer les dettes de la BK envers la Banque du Zaïre. Le 17 février 1986, la BK est placée sous gestion administrative. Les immeubles cédés en vue de la couverture des dettes sont extournés. La BK finit par être nationalisée et l’intégralité de son patrimoine transféré à la NBK (Nouvelle Banque de Kinshasa). Toutes les sociétés de Dokolo sont cédées à l’UNTZa.
A la tête de la BIAC un clan familial - les Blattner - cité dans moult affaires dont celle de recel d’une plantation d’hévéas à Befale qui conduit un mois de février le fils Michael Blattner dans l’un des cachots de l’inspection de la police judiciaire des parquets à la Gombe, interpellé par la DGM, Direction générale de Migration.
Il lui est reproché d’avoir joui de droit sur une plantation d’hévéa, au détriment de son vrai propriétaire. Un pactole de plusieurs millions de dollars, selon l’accusation.
Tout comme la famille Dokolo, les Blattner sont - avec les Rawji et les Damseaux - comptés parmi les trois ou quatre importantes familles étrangères influentes au Congo. Ils sont propriétaires de plusieurs sociétés tant des secteurs aussi variés que l’aviation (FlyCAA), les B&T (Safricas), l’agriculture, le transport fluvial, des unités fluviales, et, last but not least, la banque (BIAC). Celle-ci sert-elle de vache à lait aux entreprises familiales Blattner qu’elle finance sans compter? Le management de la BIAC est-il utilisé pour ce faire? Est-ce pour cela qu’il en profite pour siphoner à son tour la banque, c’est-à-dire l’épargne populaire? «Au vu et au su» de tous? Les petits agents eux non plus ne se font pas prier. «A voir leur train de vie, il ne doit avoir aucun rapport avec le niveau de leurs rémunérations», constate un fonctionnaire qui dit avoir vu son compte bancaire se vider «miraculeusement».
L’ECLAIRAGE DE LA PRIMATURE.
Le dossier de la BIAC a donné lieu à une communication officielle de la Primature - mise au point de la Primature sur le dossier de la BIAC sous forme de communiqué. Qui éclaire l’affaire «au nom de l’obligation de rendre compte au Public».
En résumé, contrairement à la communication abusive de la BIAC, celle-ci «est en permanence au guichet de refinancement, et ce, depuis juin 2015. Elle présente ainsi des problèmes structurels allant au-delà des seuls besoins de liquidité». Si la BIAC, au regard de son réseau, est une banque systémique, sa disparition peut avoir des effets collatéraux importants. «Mais sa sauvegarde ne doit pas se faire au détriment de la préservation du patrimoine commun. D’où la nécessité de sauvegarder en priorité le patrimoine commun qu’est la stabilité monétaire, et sans préjudice de ce qui précède, l’épargne publique collectée au niveau de la BIAC moyennant observance des conditions suivantes: suivi strict par la BIAC d’un plan d’action comprenant les principaux axes suivants (sa recapitalisation à l’effet de rendre positif son actif net); la réduction de ses charges d’exploitation, causes de ses pertes cumulatives qui obèrent son capital; le redimensionnement de son réseau; le recouvrement des crédits accordés aux sociétés apparentées et autres; la vente de certains actifs». Mais «le refinancement ne peut plus être accordé en blanc. Il se fera désormais moyennant présentation des effets de qualité; le refinancement, qui n’est qu’un palliatif, sera actionné à condition de l’exécution du plan d’action permettant d’assainir les états financiers de la BIAC et de la mettre en bonne posture en cas de rachat par les repreneurs éventuels». Puis: «Le Gouvernement ainsi que la Banque Centrale s’engagent à accompagner la BIAC dans sa restructuration, à garantir l’épargne du public tout en ne sacrifiant ni la stabilité monétaire, ni la stabilité financière, piliers de la cohésion sociale et de la fierté nationale, acquises au prix de moult sacrifices».
Le communiqué de la Primature insiste sur «la stabilité du Franc Congolais (qui) est notre patrimoine commun, (qui) est à préserver, au même titre que la souveraineté nationale ou l’intégrité du territoire, (qui) impose discipline et sursaut patriotique dans le chef de tous et sans exclusive». Puis, «la RDC est citée aujourd’hui comme modèle de stabilité macro-économique remarquable et de croissance résiliente. Par delà nos divergences et nos différences, il s’impose à nous l’obligation de la maintenir, envers et contre tout, et de la transférer à notre postérité».
PERMANENT REFINANCEMENT.
La Primature accuse la BIAC d’être à la base des pressions constatées surla monnaie nationale. Extrait du communiqué: «Pour résorber le déséquilibre sur le marché des changes, les Autorités doivent surtout agir sur les facteurs explicatifs de l’augmentation de la demande des devises, à savoir les origines de l’augmentation des moyens de paiement dans une économie. En effet, des études ont établi que sur 100 FC mis en circulation, 70 en moyenne se retrouvent sur le marché de change pour des besoins de transaction (importation des biens et services), des motifs de précaution (placement des devises à l’étranger) ou des raisons de spéculation (recherche de gain en capital). Pour prévenir toute pression sur le marché de change, les autorités se doivent d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande de monnaie nationale. Tout excès d’offre de monnaie sur la demande donne lieu à des pressions sur le marché de change en termes de demande de devises aboutissant au frémissement du taux de change et sur le marché des biens et services. D’une manière générale, les origines d’augmentation de l’offre de monnaie ou de l’ensemble des moyens de paiement sont: le déficit public (État et banque centrale), les achats des devises par le système bancaire, le crédit octroyé à l’économie et non remboursé dans les délais, les concours accordés aux banques commerciales par la banque centrale.
L’analyse objective de la situation, sur la base des évidences empiriques, a permis d’identifier deux principaux facteurs: Le premier est le déficit public d’un montant de 162,7 milliards de FC au mois de décembre 2015 contre un excédent de 141,7 milliards de FC aux 11 premiers mois de cette année. Cette situation a résulté d’un excès des dépenses par rapport à des recettes affectées notamment par le recul des cours des matières premières. Aux trois premiers mois de l’année 2016, le déficit a été de 51,63 milliards de FC pour l’État et 2,8 milliards pour la Banque Centrale, soit un total de 54,4 milliards de FC. Les déficits du trésor ont été couverts par les dépôts de l’État constitués préalablement. Il s’ensuit une consommation des dépôts et une augmentation du crédit net sur l’État (différence entre, d’une part, les concours antérieurs faits à l’État lorsqu’il recourait à la planche à billets jusqu’à fin décembre 2009 et l’ensemble des encaissements qu’il a réalisés). Chaque fois que l’État finance son déficit en prélevant sur ses dépôts, ces derniers diminuent. Entre fin novembre 2015 et le 26 février 2016, les dépôts de l’État sont passés de 736 milliards de FC à 458 milliards, soit une baisse de 278 milliards de FC en trois mois. Ce qui explique que le Crédit Net à l’État est passé de -372,5 milliards de FC à -94 milliards de FC, soit une augmentation de 278,5 milliards de FC correspondant à un accroissement à due concurrence de la liquidité dont 70% environ se retrouvent sur le marché de change. Le second est le refinancement ou le concours accordé par la Banque centrale aux banques commerciales à titre ponctuel pour des besoins de trésorerie. Entre fin novembre 2015 et fin janvier 2016, le refinancement est passé de 40,1 milliards à 66,9 milliards de FC, soit une injection de la liquidité de 26,8 milliards de FC en deux mois. Le montant passera fin février à 49,3 milliards de FC. Après recoupement des informations, ce refinancement était accordé à la BIAC, en blanc, c’est-à-dire sans garantie (en cas de défaut de paiement, il n’était pas possible de réaliser la garantie puisqu’elle n’existait pas) et sous forme révolving (par reconduction tacite). De ce fait, la BIAC est en permanence au guichet de refinancement, et ce depuis juin 2015. Elle présente ainsi des problèmes structurels allant au-delà de seuls besoins de liquidité».
T. MATOTU.