- lun, 10/03/2025 - 10:24
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1631|LUNDI 10 MARS 2025.
On peut s'en morfondre, parler populisme, qui contesterait au ministre d'État en charge de la Justice Constant Mutamba Tungunga l'absence au minimum d'originalité dans la conduite de l'action publique. Il en avait déjà surpris le jour même où il fut nommé ministre (son nom n'avait pas été cité dans l'ordonnance présidentielle) et, bis repetita, le 11 juin 2024 au Palais du Peuple, lors de la plénière à l'Assemblée nationale, dans le discours d'investiture de l'équipe gouvernementale, la Cheffe du Gouvernement Judith Suminwa Tuluka, avait été rappelée par le Président de l'Assemblée nationale Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi. Elle avait oublié de citer son tout jeune ministre d'État (37 ans, né le 24 avril 1988 à Luputa, chef-lieu du territoire de Luilu, Lomami) en charge de la Justice et Garde des Sceaux.
Plus tard, c'est dans la même salle du Palais du Peuple, à Kinshasa, Constant Mutamba Tungunga, a des phrases qu'un homme public ne prononce pas.
Lors d'une activité officielle, dans un discours solennel, devant une salle pleine, devant le Président de la République, Chef de l'État, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, devant des personnalités politiques et gouvernementales, Constant Mutamba Tungunga déclare que n'eût été l'appui dont il bénéficie de la part du Président de la République, il aurait déjà remis sa démission du Gouvernement.
« Si c'était moi, à la place du Président de la République, j'aurais immédiatement instruit mon Directeur de Cabinet de rédiger l'ordonnance de révocation de ce ministre », commente un observateur. Qu'importe!
Il y a la libération désordonnée sinon irrégulière d'une foule de prisonniers à la prison de Makala, à Kinshasa, qui fit un choc dans l'opinion et au sein de la magistrature, l'exposition sur les réseaux sociaux que le Conseil des ministres dénonça solennellement par deux fois, à commencer par la Première ministre dans une communication, reprise plus tard par le Président de la République lui-même.
SHIFT !
Mais voilà qu'il y a peu, devant la Cheffe du Gouvernement, le ministre Constant Mutamba déclare, face à une salle pleine de jeunes, qu'il « sent l’odeur de détournement dans cette salle. Il est possible de distinguer (lors d'un examen, ndlr) sans tricher. Si tu es patriote, tu ne peux pas détourner la solde des militaires».
Un discours qui provoqua le courroux de la Cheffe du Gouvernement qui, s'adressant à son tour à la salle, au même micro, haut et fort, dit «ne pas sentir, dans cette salle, l'odeur de détournement de fonds publics».
Elle va plus loin. Jure : «Vous pouvez demander à ceux qui me connaissent. Depuis mon école primaire, je n’ai jamais triché. Le ministre d'État de la Justice vient d'affirmer qu'il perçoit une odeur. Partagez-vous cette perception? Depuis que nous sommes ici, un parfum de malversation semble flotter parmi vous? Est-ce que c'est normal ? On ne peut jamais sentir l'odeur de détournement ici».
La Première ministre s'était-elle sentie visée par l'incartade de son ministre de la Justice pour se répandre tant ? On imagine l'ambiance dans la salle...
En huit mois de présence au Gouvernement, que n'a-t-on pas entendu sur Constant Mutamba? « Il joue sa partition. Il a son schéma personnel. Il s'en fout du principe de cohésion dans une équipe gouvernementale. Il profite de sa fonction pour façonner une image...», explique-t-on. Qu'est-ce que Mutamba n'a pas annoncé ?
Il y a les biens immobiliers du chef rebelle du M23-AfC Corneille Nangaa Yobeluo promis à la vente aux enchères. Le 20 janvier, il en fixe la date : le 30 janvier. L'annonce (par communiqué officiel, sur les réseaux sociaux, sur le compte X du ministère) faisait suite à deux arrêts de la justice militaire - l'un de la Cour militaire, l'autre de la Haute Cour militaire - qui avaient condamné l'année dernière le chef rebelle à la peine de mort pour «terrorisme et crime contre l’humanité». Les deux arrêts recommandaient la confiscation des biens de Nangaa et leur vente aux enchères.
Selon un communiqué du cabinet du ministre, « la somme qui sera générée de cette vente aux enchères servira à l’indemnisation des victimes de la guerre d'agression imposée par le Rwanda au Congo».
Shift ! Le 30 janvier, rien n'est arrivé ! Le lendemain, 31 janvier, une décision tombe. Elle changeait la gestion de ces biens. Ils seront affectés le 31 janvier au patrimoine public de l’État congolais, notamment à certains services de la justice civile et militaire, annonce un communiqué officiel du cabinet du ministre de la Justice.
Les biens de Nangaa? Un hôtel, le Castelo au n°07A, avenue Prince de Liège, Gombe ; une villa au n°34, avenue Colonel Tshatshi, Gombe ; une villa au n°34B, avenue Ma Campagne, Ngaliema; une villa au n°36, avenue Biangala, quartier Salongo-Sud, Lemba ; une villa au n°66 A2, route de Matadi, quartier Delvaux, Ngaliema ; deux appartements, immeuble Dikin, boulevard du 30-Juin, Gombe ; une maison en construction au n°150, avenue Lowa, Kinshasa ; un terrain vide clôturé au n°32, avenue des Officiers, quartier Ngomba-Kinkusa, Ngaliema.
QUOI DIRE ?
On a pensé avoir atteint le sommet de la montagne. Rien de tel. Car voilà qu'arrive la grosse prise.
Le 7 mars 2025, par un communiqué (n°083), largement diffusé sur les réseaux sociaux, le ministre «annonce qu'une récompense sera de 5 millions de $US est offerte à toute personne permettant l'arrestation des condamnés Corneille Nangaa, Bertrand Bisimwa, Sultani Makenga.
En outre, une prime de 4 millions de $US sera accordée pour toute information menant à l'arrestation de leurs complices en fuite, notamment Perrot Luwara, Irenge Baelenge ainsi que d'autres individus recherchés».
Pour être plus complet, un numéro de téléphone est donné. Texte signé par lL-e Cabinet du ministre d'État, ministre de la Justice et Garde des Sceaux.
Le même 7 mars, un autre communiqué (n°082) du ministre avait annoncé des « interpellations et auditions de certains hauts cadres du PPRD (l'ancien parti au pouvoir sous l'ex-président Joseph Kabila, ndlr) soupçonnés de complicité avec le mouvement terroriste de l'AFC/M23. En conséquence, tous les hauts responsables interpellés font l'objet d'une interdiction formelle de quitter le territoire national jusqu'à nouvel ordre».
Dans le dossier de libération « désordonnée » à la prison de Makala, de Hauts magistrats du pays prirent la parole pour critiquer la procédure. Quand Mutamba brandit l'argument de «désengorgement des maisons d'arrêt», eux répondent que « le décongestionnement n'est pas la mesure qu'il faut pour diminuer la population carcérale. C'est une solution palliative certes. Ce n'est pas vraiment la mesure. L'unique, la seule et l'efficace mesure reste absolument la construction de nouvelles prisons».
Puis de pointer du doigt sur le ministère de la Justice.
« Il existe d'abondantes correspondances du directeur de la prison de Makala adressées au ministre de la Justice dans lesquelles il lui recommandait de penser au transfèrement de grands criminels, des détenus militaires, les Kulunas, les Mobondos et des membres des groupes rebelles dans d'autres maisons carcérales.
Dans ces correspondances, il y a eu des propositions faites au ministère de la Justice, notamment l'envoi dans d'autres prisons des condamnés et de grands criminels, de ne pas recevoir des condamnés ou d'autres prévenus militaires, de voir comment gérer l'afflux à la prison des Kulunas, des Mobondos, des adeptes et rebelles qui viennent de toutes parts. Ce sont des gens qui sont à la prison de Makala mais qui ne devraient pas y être, du moins pour ceux qui ne sont pas condamnés. Parce que, pour aller en prison, il faut un titre qui vous y amène. En commençant par le mandat d'arrêt provisoire, des pièces de procédure, jusqu'à la condamnation du prisonnier ».
Quant certains disent que le désengorgement de la prison de Makala a commencé avec le ministre d'État Constant Mutamba, des Hauts Magistrats signalent qu'« il y a eu des opérations de dépeuplement de la Prison centrale de Makala depuis longtemps, et, plus récemment, avec l'ancienne ministre de la Justice, Rose Mutombo.
À la seule différence cette fois-là, c'est le procureur général près la Cour de cassation qui se rendait personnellement à la prison, étant donné que, conformément à la loi, c'est lui qui libère dans le cadre de la mise en liberté provisoire ou de la libération pour faits bénins».
Et, «actuellement, cela se fait avec un peu de populisme. L'opération de décongestionnement ne date pas d'aujourd'hui. Le Procureur Général Firmin Mvonde Mambu est descendu personnellement à deux ou trois reprises à la prison de Makala pour procéder à la libération de beaucoup de prisonniers. Depuis, un Comité de suivi composé de hauts magistrats des parquets près les Cours d'Appel a été installé pour veiller à ce que le décongestionnement soit réel et que les faits bénins ne soient pas sanctionnés par des mises en arrêt provisoire ».
Le 13 février 2024, 304 prévenus avaient été relaxés, le 29 mars 2024, 64 autres libérés, en présence du Procureur général près la Cour de Cassation. En octobre 2023, le parquet avait un peu plus de 2.700 inculpés à la Prison centrale de Makala.
Au 31 août 2024, à la veille de la tentative d'évasion (intervenue dans la nuit du 1er au 2 septembre et qui fit 129 morts lors de cette opération, 24 par coup de feu de sommation, d'autres par étouffement et bousculades), il n'y avait que des détenus à la disposition des parquets civils, réduisant au tiers le nombre initial en une année.
Ces efforts continuent, car nous sommes inscrits dans cette dynamique prônée par le chef de l'État de qui nous recevons les instructions pour évoluer parce que nous appliquons sa politique criminelle», poursuit un Haut magistrat.
Quoi dire ? Condamner le ministre pour son populisme poussé à l'extrême? À l'heure des réseaux sociaux ?
D. DADEI.