Le grand patron de presse Raphaël Mpanu-Mpanu Bibanda s'en est allé
  • jeu, 06/02/2025 - 15:13

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1628|LUNDI 3 FEVRIER 2025.

Il s'est éteint le 16 janvier 2025 à Kin, à l'âge de 88 ans. Sa famille et ses proches lui ont rendu les hommages le 31 janvier dans la Capitale et à Kisantu au Kongo Central avant qu'il ne soit porté en terre dimanche 1er février dans le caveau familial à Kinzau/Nselo. Il fut le premier patron de ma vie et l'unique.

Il faut le dire tout de go. Cette rébellion muléliste n’a su franchir les frontières de Masimanimba. Grâce à son élite locale, le territoire fut épargné des carnages lorsqu’à l’Institut ISMY à Yasa, j’arrive au terme de mon 1er cycle.

Les Frères Joséphites me trouvent si brillant qu’ils veulent me garder dans l’une de leurs écoles dont ils espèrent que je porterais la marque de fabrique. Ils me proposent de poursuivre ma scolarité dans la lointaine ville de Kikwit dans une école appelée Indobo, l’Institut Don Bosco à la mission Sacré-Cœur, fondée en 1950 par les Frères Joséphites. Mais l’idée de faire la pédagogie ne me tente pas. Je pense me rendre au très réputé Collège Kiniati si proche, sur l’une des collines de Yasa, tenu par des Pères Jésuites, qui enseigne les Lettres. Mais je sens très vite naître un conflit entre Frères et Pères. Pour mon bien, je pense devoir sortir d’une situation fort désagréable.

Je commence à rêver grand. Et si je rejoignais la grande ville de Léopoldville, la capitale du pays, à 400 kms à l’Ouest? C’est là que vit Albert Kabamba, un oncle maternel dont ma mère n’a eu de cesse de me parler et qu’a rejoint plus tard un autre oncle, Théophane Mubalu que mon père avait jadis accueilli à la maison. Comment y arriverais-je ? Divine chance ! À la mission catholique de Yasa, j’ai connu un prêtre jésuite belge. On l’appelait Père Dupierreux. Le Jésuite prit sa retraite au couvent des prêtres catholiques de Lumbi, à trois heures de route au sud-est de la cité de Fumumputu, à Masimanimba.

Un jour, peu avant les grandes vacances, le prêtre m’invite à passer quelques jours au couvent de sa retraite. J’acceptais avec empressement. Là, en fin de séjour, je lui fais part des difficultés que j’éprouve d’avoir à choisir entre Joséphites et Jésuites. Je lui demande s’il n’était pas préférable pour moi de quitter la contrée et d’aller poursuivre ma scolarité à Léopoldville. Le Jésuite me remet une note manuscrite destinée au père préfet du prestigieux Collège Jésuite Albert Ier. Dans cette vaste ville capitale qui m’accueille, je ne suis qu’un enfant de brousse.

Mon oncle Kabamba travaille dans une imprimerie appelée Concordia, propriété d’un groupe de presse allemand, installée dans le quartier industriel de Limete, qui dispose d’une géante presse rotative à étages de marque Heidelberg et imprime toutes les nuits deux quotidiens, L’Étoile du Congo de Paul Bondo Nsama et Le Progrès de Raphaël Mpanu-Mpanu Bibanda.

Ce n’est pas n’importe quel enfant qui était admis à ce collège du quartier blanc qu’on appelait Kalina.
Créé en 1937 par la Curie romaine de la Compagnie de Jésus, le collège ouvre ses portes à deux catégories d’enfants : ceux de la communauté de souche européenne et ceux de la nouvelle bourgeoisie nationale. Pour ces derniers, une enquête préliminaire de la direction des études est de rigueur. L’enquête consiste à attester du statut social des parents du candidat élève. Elle inspecte sa chambre à coucher, contrôle ses toilettes, questionne ses parents et dresse un rapport.

En ce qui me concerne, c’est la note manuscrite du Père Dupierreux qui règle la question, m’ouvre les portes de cette école de renommée avec ses salles de classe lambrissées, éclairées à l’électricité. Un midi, alors que j’avais faim et que je m’étais rendu à l’étage d’un immeuble géant sur la plus belle avenue du pays, le boulevard du 30 juin en plein cœur bourdonnant des affaires, qui abrita jadis, au rez-de-chaussée, l’alimentation L’Express et où mon oncle Théophane Mubalu travaille comme cuisinier, son patron, Claude Azzam regagne son appartement sans s’annoncer.

Dans la cuisine où il pénètre comme un boulet derrière un intrus, Azzam me trouve cloîtré avec en main deux tranches de pain grillé enrichi d’une confiture de framboise sur une assiette en ardoise que je dégustais pour la toute première fois de ma vie. Pris de rage, le blanc interpelle son cuisinier. Il veut savoir qui est cet enfant assis sur un bahut et ce qu’il est venu faire dans son appartement.

Apeuré mais avec un peu de crâne, l’oncle Théophane répond en haussant un peu le ton que cet enfant est son neveu.
La colère du Blanc est loin de retomber. Il ordonne à son cuisinier de mettre dehors sans attendre cet enfant mais mon oncle murmure en expliquant qu’il s’agit d’un élève qui avait faim. Le blanc s’arrête ! « Un élève ?» Pris de conscience, il avance vers moi et me demande si effectivement j’étudie et à quelle école. J’explique que je suis élève au Collège Albert 1er de Kalina en montrant ma carte. Le blanc retient son souffle.

Claude Azzam fait partie du corps des enseignants recrutés dans le cadre d’un programme international d’assistance technique. Il avait rêvé d’enseigner dans ce très grand collège belge de Kalina mais la direction n’avait pu retenir sa candidature. Il s’était contenté d’une école technique à la périphérie de la ville, dans la commune de N’djili. Quand il apprend que le neveu de son cuisinier étudie à ce collège qui avait repoussé son nom, je sens de l’admiration sur son visage et un brin de complexe.

J'ARRIVE CHEZ MPANU-MPANU.
Des années plus tard, en 1976, j’ai rencontré ce Libanais, sa femme égyptienne et leurs enfants au Canada, à Montréal. Le Canada les a adoptés et ils sont fiers d’en être devenus des citoyens. Journaliste en formation à Paris, je fais partie en juillet 1976 d’un programme de visites dans le cadre de la fête du Bicentenaire de l’indépendance des États-Unis.

C’est l’ambassade américaine à Paris qui m’a sélectionné sans que je ne sache comment et pourquoi. Avec des journalistes du monde entier, nous parcourons l’Amérique de l’Est à l’Ouest en compagnie de nos familles au volant d’énormes limousines tirant des caravanes, des véritables mobiles home.

C’est avec plaisir qu’après l’étape de l’État de Washington, à l’extrême Nord-Ouest, que Claude Azzam, sa femme et leurs enfants nous accueillent. Là, nous nous rappelons le Zaïre et nos nuits de marbre à Concordia.
C’est cet homme qui m’a amené au journalisme. Cet enseignant blanc chez qui l’oncle Théophane travaillait comme cuisinier et qui faillit me défoncer le crâne dans son appartement du boulevard du 30 juin.

J’apprendrai plus tard que cet homme avait fait du journalisme en Égypte. Ma venue à ce métier est vraiment un accident. Tous les soirs, après ses enseignements à l’Institut technique de N’Djili, ce professeur de français se rendait à la rédaction du journal Le Progrès. Les bureaux du journal étaient situés sur l’avenue de l’École qui donne d’un côté sur l’ambassade des États-Unis d’Amérique, de l’autre, sur le boulevard du 30-juin, à deux encablures de l’immeuble du couple libano-égyptien.

Chaque soir, avant leur envoi par un véhicule à l’imprimerie Concordia à 40' à la 9ème rue à Limete, Claude - comme je finis par l’appeler - allait rewriter les articles du Progrès en format papier sortis des machines à écrire Remington. Claude publie aussi une chronique croustillante - « les claudications de Claude Azzam » - dans laquelle il massacre avec humour et un brin de férocité les incongruités de langue française trouvées dans des journaux zaïrois. Claude est l’un des conseillers du grand patron du journal Le Progrès, Raphaël Mpanu-Mpanu Bibanda.

Ayant fait de moi un ami, un soir, il me propose de l’accompagner à la rédaction du Progrès. Sans y trouver un intérêt particulier, j’accepte malgré tout. Là, Claude me demande de relire des articles des journalistes traités par le secrétaire de rédaction. Le professeur de français et ancien journaliste est émerveillé par mon travail de rewriting. Plus tard, il me présente à Raphaël Mpanu-Mpanu. Ainsi, sans m’y être préparé, j’allais faire mes débuts dans le journalisme et certainement dans le plus grand quotidien du pays.

À cette époque, Léopoldville compte quatre quotidiens subventionnés par l'État : L’Étoile du Congo, Le Progrès, La Tribune Africaine, Le Courrier d’Afrique. Quand Mobutu prône la politique du Recours à l’authenticité avec la zaïrianisation et le rejet d’appellations à consonance étrangère, en février 1972, l’Étoile du Congo prend le nom de Myoto (Étoile), le Progrès devient Salongo (Travail), la Tribune Africaine se débaptise Elima (Monstre).

Voulant mieux canaliser le régime d’aide à la presse, il entreprend sa grande réforme de la presse. En juillet 1972, le brillant Raphaël Mpanu-Mpanu nommé au Bureau Politique du MPR, fait ses adieux à la presse, embrasse la carrière politique. Myoto fusionne avec son journal Salongo mais reprend ce nom du journal que Mpanu-Mpanu abandonne. J'admirais Raphaël Mpanu-Mpanu, un grand patron de presse. Une admirable plume qui, dès les premiers contacts, me découvre un grand destin national et en fait l’annonce publique.

Un jour, alors qu’il préside un conseil de rédaction, cet homme qui ne souriait jamais à ses collaborateurs, passe un savon à tous les responsables, à commencer, comme il savait le faire, par le rédacteur en chef Thompson Vizi. Puis, il se tourne vers moi, me cite comme un exemple : «Toi, mon petit, tu iras loin, très loin…». Je suis ému par cette considération mais cela ne sera pas pour renforcer mes rapports avec mes collègues.

Je sens cette consécration quand du matériel roulant atterrit au siège du journal. Si, à d’autres, il remet des cyclomoteurs appelés mobylettes, à moi, Mpanu-Mpanu réserve les clés d’un véhicule. Une Austin Mini Morris qui fut la première automobile de ma vie. Je m’en sens si fier que je compte parmi les premiers dans le pays à prendre le volant de ce véhicule.

Chef de service à Salongo où je dirige l’édition du week-end très soignée, j’accueille mal la réforme de la presse édictée par Mobutu au paroxysme de sa gloire. Un peu obsessionnel comme à mon habitude, je suis triste d’avoir perdu mon patron, ce monument du journalisme politique.

J’admirais ses commentaires dans sa chronique hebdomadaire « les Tablettes de Raphaël Mpanu-Mpanu » qui paraissait tous les samedis à la dernière page de couverture de son journal et qui faisait courir l’élite politique. Quand les équipes de Salongo vont rejoindre avec armes et bagages leur nouveau QG, la 10ème rue à Limete où logeait l'ex-Myoto, je ne me sens aucun courage à accompagner cette mutation qui faisait perdre sa marque de fabrique à notre journal pour adopter celle du défunt Myoto.

Le journal de Paul Bondo Nsama ? Tout sauf un modèle pour moi. Il y avait une telle différence de concept entre ces deux titres. Deux titres aux styles si différents qu’ils se situaient aux antipodes l’un de l’autre.
Face au titre destiné à l’élite intellectuelle - « le journal de qualité » comme cela fut conçu dès la naissance de l’imprimerie par Gutenberg, Renaudot, De Girardin, les pères fondateurs de la presse, nul n’ignore ces faits divers et ces chiens écrasés qui ont fait la fortune de L’Étoile du Congo.

Plutôt que de rallier la nouvelle équipe où j’allais perdre mon concept, je décidais de repartir dans mon village de Kitoy. La contrée où j’aimais tant me rendre et me ressourcer. Le patron du nouveau Salongo connaissait la distinction de l’édition hebdomadaire du journal de la rue de l’École. Il était au courant de mon refus de le rejoindre.

Pour rien au monde, il aurait voulu me perdre. Il me fait parvenir un message me faisant part de son admiration, m’assure de sa décision de me laisser au nouveau journal poursuivre mon édition hebdomadaire comme je le concevais. Je sens une telle pression que je décide, sans y croire vraiment, de repartir dans la capitale qui a pris le nom de Kinshasa. Mais très vite, je me convainc que mon avenir n’est pas là.
T. KIN-KIEY MULUMBA.


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