Le rapport onusien qui accable Kigali
  • lun, 22/07/2024 - 15:00

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1614|LUNDI 15 JUILLET 2024.

Ci-après, extraits du Rapport final du Groupe d’experts des Nations Unies sur le Congo qui accable le Rwanda (S/2024/432).

(...) Mouvement du 23 mars : réorganisation, formation et recrutement.

35. Les frappes réussies de drones CH-4 des FARDC, avec l’aide de sociétés militaires privées, contre les bases, les dépôts d’armes, les centres de recrutement et le commandement du M23 à la fin de 2023 et au début de 2024 ont contraint le M23 à se réorganiser (voir annexe 23). Le 16 janvier 2024, le « colonel » Castro Mberabagabo, chef du renseignement militaire du M23, a été tué lors d’une attaque de drone, qui a également blessé Erasto Bahati Musanga, chef des finances du mouvement, et blessé et tué de nombreux combattants du M23. Il a fallu procéder à de nouvelles nominations et promotions parmi le personnel militaire et civil du M23. Cette restructuration a fait l’objet d’une large publicité afin de remonter le moral des troupes et de consolider l’autorité politico-militaire du mouvement et son administration parallèle. Le «colonel» Imani Nzenze a remplacé Castro, devenant chef des renseignements «G2» du M23, un poste clé au sein du mouvement.

36. Le M23 est resté sous le commandement militaire global du «général» Sultani Makenga (CDi.008) visé par des sanctions, à Tchanzu. Critiqué par les officiers de la RDF qui l’accusaient de ne pas être proche de ses troupes, celui-ci s’est rendu à Bunangana, à Kitshanga et à Rumangabo. Le «colonel» Imani Nzenze, le «général» Gacheri Erasto (adjoint du «général de brigade» Bernard Byamungu), Bahati Erasto (finances), Benjamin Nzabonimpa (secrétaire exécutif) et le «colonel» Jeff Kabayiza (logistique) étaient les plus proches collaborateurs et confidents de Makenga. Le « général de brigade » Bernard Byamungu et le «général» Baudoin Ngaruye étaient les principaux commandants chargés de coordonner les opérations militaires. Ngaruye est resté très proche du Rwanda, qui aurait eu plus confiance en lui qu’en Makenga.

37. Les capacités militaires du M23 ont été renforcées par le recrutement, tant forcé que volontaire, y compris d’enfants, au Nord-Kivu, en Ouganda et au Rwanda, ainsi que par la formation des nouvelles recrues. Au début du mois d’avril 2024, on estimait à 3.000 le nombre de combattants du M23 actifs dans le Petit Nord.

38. Les nouvelles recrues du M23 ont été formées dans la principale base militaire du mouvement à Tchanzu. Il y a eu des formations dans d’autres centres militaires, par exemple à Rutshuru, à Bwito, à Bwiza ou à Nyongera. L’entraînement, qui a duré plusieurs mois, sauf en cas d’accélération pour des besoins opérationnels, comprenait la parade, la discipline, l’entraînement tactique, l’idéologie et l’endoctrinement.

39. Des combattants du M23 récemment capturés ou qui se sont rendus ont confirmé que le «colonel» Léon Kanyamibwa dirigeait toujours la formation militaire, avec le soutien du « capitaine » Ernest Sebagenzi et du « colonel » Moïse Byinshi, entre autres. Les combattants du M23 ont également signalé la présence d’officiers instructeurs de la RDF à Tchanzu. Au moment de l’établissement du présent rapport, la RDF organisait une «formation au leadership» à Bunangana.

FDR : appui critique au Mouvement du 23 mars et occupation du territoire.

40. Le Groupe d’experts a obtenu d’autres preuves - photographies authentifiées, images de drones, enregistrements vidéo, témoignages et renseignements - confirmant les incursions systématiques de la RDF à la frontière et sa présence renforcée dans le Petit Nord, le nombre de ses troupes égalant, voire dépassant, celles du M23. Positionnée en première ligne, la RDF a utilisé des armes de haute technologie et participé directement aux combats. Sa présence a été déterminante pour repousser les attaques conjointes des FARDC et des Wazalendo et conquérir de nouveaux territoires dans le Petit Nord.

41. En janvier 2024, au moins 1.000 soldats de la RDF entrés en République démocratique du Congo par divers postes frontaliers à l’est de Kibumba, dans le territoire de Rutshuru, ont été déployés sur des positions militaires clés. À la suite de ce renforcement, le 3 février, la RDF et le M23 ont pris le contrôle de Shasha, un village ayant un accès stratégique au lac Kivu. La RDF a maintenu des positions de combat sur les collines autour de Sake, qu’elle occupait encore au moment de l’établissement du présent rapport.
Au début du mois d’avril 2023, la RDF a pris le contrôle de trois positions au nord-ouest de Sake, abandonnées par la Monusco. Au moment de l’établissement du présent rapport, 500 soldats de la RDF et 500 combattants du M23, ceux-ci sous le commandement de Baudoin Ngaguye et de Bernard Byamungu, qui font l’objet de sanctions, et de Julien Mahano Baratuje, contrôlaient les zones situées au nord, à l’ouest et au sud de Sake.

42. Une grosse colonne de soldats de la RDF bien équipés a été filmée arrivant à Rwindi, au nord de Rutshuru, le 9 mars 2023. Les troupes, sous le commandement du colonel Callixte Migabo de la RDF, ont établi des positions et occupé la zone, suivies par l’arrivée des combattants du M23 un jour plus tard. La RDF et le M23 se sont particulièrement intéressés à la piste d’atterrissage de Rwindi, capable d’accueillir des bombardiers. De même, le M23 avait manifesté un intérêt pour la piste d’atterrissage de Katale, plus petite. Après la prise de Rwindi par la RDF, les FARDC se sont retirées de Vitshumbi, ce qui a permis au M23, sous le commandement du «colonel» Ernest Sebagenzi, d’occuper la ville située sur les rives du lac Édouard, connue pour ses pêcheries lucratives.

43. Selon une estimation prudente, 3.000 à 4.000 soldats de la RDF étaient déployés dans les territoires de Nyiragongo, de Rutshuru et de Masisi au moment de l’établissement du présent rapport. Nombre d’entre eux appartenaient à la deuxième et à la troisième divisions, cette dernière étant commandée par le général de division Eugène Nkubito. Les forces spéciales de la RDF étaient commandées par le lieutenant-colonel Augustin Ryarasa Migabo, qui rendait compte au major-général Ruki Karusisi. On trouvera à l’annexe 30 des informations supplémentaires concernant les officiers de la RDF participant à la planification ou au commandement des opérations en République démocratique du Congo, les brigades et bataillons de la RDF déployés et les équipes d’appui tactique et de reconnaissance composées d’anciens combattants des FDLR.

44. Les interventions et opérations militaires de la RDF dans ces trois territoires ont été déterminantes pour l’impressionnante expansion territoriale réalisée entre janvier et mars 2024. Des combattants du M23 et deux officiers de la RDF ont expliqué que la capacité du M23 à opérer simultanément sur plusieurs axes et champs de bataille dépendait du soutien militaire et stratégique de la RDF. En février et mars 2024, plusieurs pays ainsi que le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont exigé que le Rwanda cesse tout soutien au M23 et retire immédiatement tout le personnel de la RDF de la République démocratique du Congo. Le 5 avril, le Conseil de sécurité a condamné « l’appui militaire extérieur fourni au M23 ».

45. Le Groupe d’experts fait observer que le soutien systématique et la participation de la RDF à la conquête territoriale du M23 est un acte passible de sanctions. De plus, le déploiement de la RDF, forces armées nationales du Rwanda, sur le territoire de la République démocratique du Congo viole la souveraineté et l’intégrité territoriale de ce pays. Le contrôle et la direction que la RDF exerce de facto sur les opérations du M23 rendent également le Rwanda responsable des actes du M23.

Technologies et matériel militaires sophistiqués.

46. Le Groupe d’experts a établi que le M23 et la RDF ont continué d’utiliser de plus en plus des technologies et du matériel militaires sophistiqués dans les zones sous leur contrôle, apportant ainsi une preuve supplémentaire et sans conteste de l’appui tactique extérieur fourni au M23, principalement par la RDF, en violation de l’embargo sur les armes.

Systèmes de défense antiaérienne à courte portée.

47. Le 7 février 2024, un système mobile de défense antiaérienne à courte portée, doté d’un radar rotatif monté et d’un missile sol-air, a été vu par un drone à Bumbi, dans le territoire de Rutshuru, une zone alors contrôlée par le M23 et la RDF.
Deux autres systèmes de défense antiaérienne à courte portée ont été signalés près de Kibumba et de Mabenga, dans le territoire de Rutshuru39. Le 6 février, un système de défense antiaérienne à courte portée a abattu un drone armé CH-4 des FARDC et, le 7 février, il a pris pour cible et raté un drone de la Monusco, c’est-à-dire un moyen des opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
D’après des sources provenant des services de sécurité et de renseignement, c’est la RDF qui manœuvrait le système de défense antiaérienne à courte portée.
Dans un communiqué publié le 17 février 2024, les États-Unis d’Amérique ont demandé au «Rwanda de retirer immédiatement [...] ses systèmes de missiles sol-air, qui menacent la vie des civils, des forces de maintien de la paix [des Nations Unies] et d’autres forces régionales, des acteurs humanitaires et les vols commerciaux dans l’est de la [République démocratique du Congo]»; un appel repris par d’autres pays.

49. Le déploiement de systèmes de défense antiaérienne à courte portée, parallèlement à d’autres moyens antiaériens du M23 et de la RDF dans la région, a considérablement renforcé la capacité opérationnelle du M23 et de la RDF et a influé sur la dynamique des conflits dans le Petit Nord. Les FARDC et les sociétés militaires privées ont décidé d’immobiliser temporairement tous leurs moyens aériens, ce qui a permis au M23 et à la RDF de se réorganiser et de se renforcer. Ce système de défense antiaérienne à courte portée expose les moyens aériens de la Monusco, qui pourraient être pris pour cible, comme l’a fait à plusieurs reprises le M23.

Obus de mortier par drone.

50. Dans la nuit du 17 au 18 février 2024, un obus de mortier de 81 mm a frappé et mis hors service un avion Sukhoi des FARDC sur le tarmac de l’aéroport de Goma. Un deuxième obus a raté un hélicoptère des FARDC. Les obus de mortier ont été largués par un drone aérien commercial équipé de quatre hélices. Le M23 et des services de renseignement, notamment du Rwanda, ont dit au Groupe d’experts que l’attaque avait été commise par le M23.

51. Avant février 2024, rien n’attestait de l’utilisation dans le pays de drones aériens commerciaux équipés d’obus de mortier ou d’autres explosifs, y compris d’engins explosifs improvisés tels que ceux utilisés contre la Monusco par l’unité spéciale de la Garde républicaine de la République démocratique du Congo à Kimoka. Le Groupe d’experts estime que la multiplication des attaques de drones aériens pourrait considérablement modifier la dynamique des conflits dans le Petit Nord. Cette attaque de drone fait également ressortir la vulnérabilité de l’aéroport international de Goma, que le M23 et la RDF ont déjà menacé de prendre.

Obus de mortier guidés.

52. Le Groupe d’experts a également établi l’utilisation par le M23 et la RDF d’obus de mortier guidés de 120 mm offrant une capacité de frappe précise et une forte létalité ; un type d’obus de mortier qui n’avait pas été signalé auparavant sur le territoire de la République démocratique du Congo. Les obus de mortier trouvés sont similaires aux obus de type IMI fabriqués par la compagnie israélienne Elbit Systems.
Les images confirment les rapports d’un officier de la RDF et de combattants du M23 selon lesquels la RDF avait des mortiers guidés qu’elle a utilisés à Petit Nord. Des mortiers de 120 mm ont également été utilisés contre les troupes de la SADC. L’unité du « général » Baudoin Ngaruye du M23, qui fait l’objet de sanctions, était également équipée de systèmes de mortiers guidés.

Ouganda : appui au M23 mars et à l’AFC.

Appui aux chefs du renseignement militaire.

55. Depuis la résurgence de la crise du M23, l’Ouganda n’a pas interdit les troupes du M23 et de la RDF ni leur passage sur son territoire, y compris lorsque le M23 a pris Bunangana, le 12 juin 2022, avec l’appui de la RDF.

56. Malgré les preuves attestant du passage régulier de troupes, de véhicules et de matériel militaire du M23 et de la RDF sur le territoire ougandais, le Gouvernement ougandais, y compris son service de renseignement militaire, dément la présence de troupes ou de matériel étrangers sur son territoire depuis le début de la crise du M23. Toutefois, l’ampleur et la fréquence des mouvements font qu’il y a peu de chances qu’une telle présence passe inaperçue. Par exemple, depuis 2022, les combattants du M23 ont régulièrement dit que les fournitures et les nouvelles recrues acheminées vers leurs camps passaient par les villes frontalières ougandaises de Kisoro et de Bunangana.

57. Le Groupe d’experts a également obtenu des preuves confirmant le soutien actif donné au M23 par certains responsables des UPDF et le commandement des services de renseignement militaire. Des sources de renseignement et des personnes proches du M23 ont également confirmé la présence d’officiers du renseignement militaire ougandais à Bunangana depuis au moins la fin de l’année 2023 pour assurer la coordination avec les chefs du M23, fournir de la logistique et transporter les chefs du M23 vers les zones contrôlées par le M23. En outre, le 27 janvier 2024, plusieurs sources ont vu des soldats ougandais passer par Kitagoma pour se rendre en République démocratique du Congo et mener des opérations dans les zones contrôlées par le M23, en particulier le groupement Busanza et la ville de Rutshuru, d’où un groupe est allé vers Tongo et l’autre vers Mabenga. Il convient de noter que des chefs du M23, y compris Sultani Makenga, qui fait l’objet de sanctions, se sont rendus à Entebbe et à Kampala en violation de l’interdiction de voyager.

M23 mars et AFC à Kampala.

59. Au cours de la période considérée, il a été prouvé que le M23 et l’AFC menaient fréquemment des opérations sur le territoire ougandais. Les chefs de l’AFC, dont Corneille Nangaa, qui récemment habitait encore à Kampala, ont tenu des réunions avec des représentants de groupes armés congolais et des individus très proches du M23. Nangaa et Lawrence Kanyuka ont bénéficié du soutien de la personnalité publique ougandaise, Andrew Mwenda, pour contacter plusieurs ambassades à Kampala en mars 2024 afin de contester les sanctions imposées aux chefs du M23 et plaider la cause de l’AFC et du M23. On sait depuis longtemps que c’est Mwenda qui assure la liaison entre les autorités ougandaises et rwandaises.

Exploitation et commerce illégaux de minerais à Rubaya.

138. Les sites miniers de la région de Rubaya sont restés sous le contrôle du groupe armé Coalition des patriotes résistants congolais-Force de frappe (PARECO-FF), qui a continué à superviser l’exploitation minière à Rubaya. Le M23 et la PARECO-FF ont établi une collaboration opportuniste pour le transport des minerais extraits à Rubaya vers Mushaki, qui est devenu une plaque tournante de la contrebande des minerais de Rubaya. La contrebande entre Mushaki et la destination finale, via Tongo-Kalengera, était exclusivement sous le contrôle du M23. Les minerais de Rubaya ne pouvaient donc plus être commercialisés selon les lignes directrices du Groupe d’experts en matière de diligence raisonnable. Début avril 2024, les autorités nationales ont réautorisé le commerce des minerais en provenance de Rubaya, à la suite de l’ouverture d’une voie de transit à travers les zones contrôlées par les FARDC et les groupes armés Wazalendo. Les minéraux étaient transportés de Rubaya à Minova, dans le nord du Sud-Kivu, et de Minova à Goma, via le lac Kivu.

Contrôle des sites miniers à Rubaya par la Coalition des patriotes résistants congolais-Force de frappe.

140. D’après des images de surveillance aérienne de janvier 2024 et des témoignages d’habitants de Rubaya, l’exploitation minière s’est poursuivie à Rubaya et de nouveaux sites se sont ouverts sur les pentes sud-est de la colline de Rubaya et au site connu sous le nom de « D2 Bibatama », situé à l’intérieur du permis d’exploitation PE 4731143. On trouvera à l’annexe 81 des preuves de la poursuite de l’exploitation et du contrôle des mines par les combattants de la PARECO-FF, commandés par Shamamba Barigaruye Enoch, Président de la PARECO-FF. L’Initiative de la chaîne d’approvisionnement en étain a informé le Groupe d’experts que de décembre 2023 à janvier 2024, les coopératives minières membres de l’Initiative avaient enregistré environ 46 tonnes de minéraux extraits à Rubaya. (...).

Liens entre les groupes armés locaux, le M23, l’AFC et le Rwanda, et les tensions qui en découlent.

185. Les autorités rwandaises, le M23 et l’AFC ont gardé le contact avec les groupes armés congolais basés au Sud-Kivu, ou continuer de collaborer directement ou indirectement avec eux, notamment pour les convaincre de rejoindre l’AFC.

186. Plusieurs représentants de groupes armés du Sud-Kivu se sont rendus à Nairobi pour participer aux réunions préparatoires qui ont conduit à l’annonce de la création de l’AFC en décembre 2023. Il s’agit, notamment, de Mkangya Nyamachabo, alias Microbe, représentant le «général» Ebuela, chef des Forces des patriotes pour la défense du Congo, ainsi que de Jacques Naluhogola, Président des Forces armées Biloze Bishambuke. En janvier 2024, Microbe a été arrêté par les autorités congolaises, qui ont trouvé à son domicile des documents de voyage sous un faux nom portant des cachets d’entrée au Kenya, en Ouganda et au Rwanda en décembre 2023. (...).


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