Sur le pont Maï-Ndombe, comment expliquer l'absence d'un barrage qui aurait sauvé des vies dont celles de ces trois députés
  • ven, 01/04/2022 - 16:34

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1549|VENDREDI 1 AVRIL 2022.

Depuis des décennies, des véhicules ont terminé leur course dans cette eau noirâtre de la rivière Maï-Ndombe, sur la nationale n°1. Avec des personnes à bord qui y ont laissé leurs vies. A ce jour, rien n’est fait pour régler un problème de sécurité publique. Les 15.000 $US qui pourraient être requis sont-ils au-dessus de quel budget au Congo?

Il y a quelques années, un véhicule de transport de produits vivriers appartenant à Adolphe Muzitu Fumutshi alors premier ministre du pays, s'est jeté dans cette rivière profonde, causant la mort de deux personnes. Le véhicule n'a jamais été sorti des eaux, ni aucun de ses passagers.

Aucune recherche menée. Pas une enquête-. Une vie humaine a-t-elle de l'importance dans notre pays ?
Contrairement à ce qui arrive sur ce site, trop célèbre pour sa descente en enfer outre son virage fatal pour tout conducteur au volant et qui donne directement sur le pont, le véhicule de Muzitu n'avait pas de problème technique et le système de freinage était en place, selon tous les dires.

«C'est une dispute à bord entre le chauffeur et l'agent commis à la surveillance du véhicule qui dégénère dangereusement à l’arrivée sur ce site et fait piquer du nez le véhicule, le chauffeur ayant perdu tout contrôle», raconte un rescapé qui réussit à briser une vitre du camion avant que celui-ci ne plonge dans la rivière avec ses deux infortunés. Informé, Muzitu accourt sur le lieu mais ne fait que constater les faits.

POSE D'UNE MURETTE.
Une décision de la part du Premier ministre qu’il fut et une instruction au ministère des Infrastructures auraient pu, depuis, arrêter le massacre qui se perpètre sur ce pont et sauver des vies humaines. Depuis de longues années, ce pont a perdu, sur sa partie droite - pour les véhicules en provenance du Bandundu - une partie de sa murette de barrage, ce qui rend le site particulièrement dangereux.

La pose d'un mur en fer ou en béton armé, qui retiendrait sur le pont les véhicules en folie plutôt que de les laisser passer par dessus-bord, s'impose aux yeux de qui arrive à cet endroit mais curieusement, jamais, depuis de nombreuses années que cela dure, la ville de Kinshasa, l'Office des Routes, ou le ministère des Infrastructures n'ont estimé que le petit ouvrage à ériger constituait une quelconque priorité en matière de sécurité.

Le dernier accident connu sur ce pont a coûté la vie à neuf personnes dont trois députés provinciaux du Kwilu. Invités dans la Capitale par le ministre de l'Intérieur, comme tous les députés provinciaux du pays, pour prendre part à un séminaire sur l'implémentation du programme des 145 territoires lancé par le Président de la République, ces trois députés ne verront jamais Kinshasa.

La vie de ces députés - René Lulu Nkusu de la circonscription de Bagata, Évariste Ndiba Eying Wa Monge et Augustin Ifumu Nkam Nswum tous deux d'Idiofa - s'est arrêtée sur ce pont.

Le 13 novembre 2021, ces trois députés furent partie d'un groupe de treize députés exclus temporairement des plénières de l’Assemblée provinciale du Kwilu pour avoir «totalisé huit absences non justifiées aux séances plénières», leur président ayant invoqué l’article 94 du règlement intérieur. Mais les treize députés déclaraient «ne pas reconnaître un bureau qualifié d'irrégulier disant attendre la décision de la Cour de cassation sur la requête introduite en annulation de l'élection du bureau faute du respect de la procédure».

TROIS DÉPUTÉS A AVOIR PÉRI.
Le 16 mars, ces quatre députés - René Lulu Nkusu, Évariste Ndiba Eying Wa Monge et Augustin Ifumu Nkam Nswum, Franck Gatola Mungela - prennent place à bord d’un véhicule Toyota tout-terrain. Au total, onze personnes se trouvent dans la Toyota.

Il est minuit passé quand le véhicule aborde la descente et le virage du pont Maï-Ndombe. Là, cette nuit de jeudi 17 mars, survient l’irréparable classique. Les freins du véhicule ne répondent plus. C'est le saut fatal dans la rivière.
Le député de la circonscription électorale de Gungu, Franck Gatola Mungela s'extirpe miraculeusement du véhicule avant d’être tiré de l'eau par une riveraine alertée par des cris de détresse.

Admis aux soins intensifs à l'hôpital Biamba Marie Mutombo à Kinshasa, il se porterait bien. Un étudiant a pu également survivre à l'accident. Neuf personnes périssent, trois députés et six autres personnes, le conducteur du véhicule, l’aide conducteur, le neveu du député Ifumu Nkam Nswum disparu.

Cet accident émet à ce point l'opinion publique que contrairement à mille autres accidents survenus sur cette voie, celui-ci mobilise les moyens d'État. Des membres du Gouvernement, le ministre en charge de l'Intérieur Daniel Aselo Okito en tête, font le déplacement du lieu. Le Corps de Génie des Forces armées FARDC arrive en renfort avec une grue. Les services de recherches pensent que le véhicule retenu au fond de l'eau peut avoir à l'intérieur les corps des personnes disparues. Tirer le véhicule de l'eau permet de récupérer ces corps, de les identifier et d'organiser le deuil.

Le mardi 22 mars, six jours après l'accident du Maï-Ndombe, aidée par un plongeur amateur qui, parmi plusieurs autres épaves retenues sous l'eau, localise le véhicule, la grue sort le véhicule du fond des eaux. Mais un seul corps se trouve à bord. «Si on se fie à tous les signes - le corps a un anneau cheffal, une bague, un pantalon noir de tissu militaire - il s'agit clairement du propriétaire du véhicule, l’honorable Ifumu Nkam», un chef coutumier du territoire d’Idiofa. Le corps est récupéré par les éléments de la Croix Rouge et amené à la morgue de l'hôpital du Cinquantenaire», déclare le Gouverneur de la province du Kwilu, Willy Itsundala Asang.

Jeudi 24 mars. L'équipe de recherche met fin à ses recherches. «Nous avons arrêté l’opération des recherches des corps, à l’impossible nul n’est tenu. Nous avons retrouvé au total cinq corps et nous allons nous organiser pour les identifier et les enterrer. Pour le reste, nous ne pouvons plus rien faire puisque les quatre corps (deux des députés, ndlr) ne se voient pas. Nous ne savons pas à ce niveau peut-être qu'ils se trouvent déjà au niveau du fleuve et là, ça sera difficile de les retrouver», déclare Serge Makungu, président de l'Assemblée provinciale.

«Dès mercredi 23 mars soir, nous avons mis en place une commission composée de députés à raison d’un député par territoire et, aujourd’hui, nous allons commencer le travail. Premièrement, nous devons aller à la morgue pour identifier les corps et, ensuite, chercher comment organiser le deuil», explique Serge Makungu. Puis s’ouvre une polémique.

Elle porte sur la « situation sociale déplorable des députés provinciaux ». Au minimum, en plus de 30 mois, ces députés sont sans leurs émoluments. «Négligés, nous sommes réduits à une vie de précarité. S'ils étaient à bord d'une jeep en bon état, les freins n'allaient pas céder. Quand ils offrent des jeeps aux députés nationaux, qu'ils pensent aussi aux députés provinciaux. Ils auraient dû prendre l’avion pour se rendre à Kinshasa, mais faute de moyens, ils ont pris la route», accuse le rapporteur du collectif des députés provinciaux du Congo, Socrate Kangulumba.

DES ACCIDENTS SONT LÉGION.
« Les collègues venaient répondre à l'invitation du Chef de l'État. Nous restons impayés mais le ministre du Budget a signé le plan d'engagement pour la paie. Cela fait aujourd'hui deux semaines. Le ministre des Finances n’a pu débloquer la situation. Voilà qu'aujourd'hui, les députés qui devraient prendre l'avion, faute de moyens, ont pris la route et ils sont morts. Nous demandons au Gouvernement d'assurer la prise en charge et de sécuriser les députés en apurant les arriérés», poursuit Kangulumba.

Au Congo sans infrastructures de base, les accidents de route sont légion. Ils sont provoqués par le non-respect des normes : vétusté des véhicules guère soumis aux contrôles techniques, mauvais état des routes, conduite en état d'ivresse. Pareil pour les trains, wagons régulièrement pris d'assaut par des passagers clandestins, faute d'autres moyens de transport, trains de passagers ou routes praticables.

Peu avant le 17 mars, le pays a connu, au Lualaba, un accident de train. Bilan : 75 morts, plus de 100 blessés…
ALUNGA MBUWA.


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