Test aux obsèques à Kinshasa
  • mar, 07/02/2017 - 02:41

Plus que jamais, il va falloir rebattre les cartes.

La mort de Tshisekedi rebat complètement les cartes du jeu politique national et augure mal d’une mise en œuvre rapide de l’accord signé péniblement le 31 décembre en vue d’une présidentielle avant la fin de l’année. Ce décès «vient faciliter la remise en cause progressive de l’accord [...] par la Majorité présidentielle», prédit l’économiste et politologue congolais Justin Kankwenda. «La majorité, qui avait accepté de reconnaître le statut de président du Conseil de suivi de la transition politique à Tshisekedi intuitu personae pourrait être tentée d’exiger un rééquilibrage qui remettra en cause l’ensemble de l’accord», déclare à l’Afp un ancien haut-fonctionnaire onusien.

REMISE A PLAT.
Pour Thierry Vircoulon, spécialiste Afrique centrale enseignant à Sciences-Po Paris, ce décès «arrive au plus mauvais moment pour la mise en place de la nouvelle transition». Il va «falloir se mettre d’accord sur une nouvelle personnalité d’opposition (à la tête du CNSA) alors même qu’il y avait déjà un désaccord sur la nomination du Premier ministre», poste brigué par le propre fils de Tshisekedi, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Cela «va donc relancer les négociations entre le camp présidentiel et l’opposition et permettre de perdre encore du temps. Les élections en décembre 2017 dont le calendrier n’était déjà pas très réaliste sont de plus en plus compromises», pronostique-t-il. Entré en dissidence en 1980, Tshisekedi a incarné à lui seul l’opposition congolaise pendant plus de 30 ans, d’abord contre Mobutu (1965-1997) puis contre Laurent-Désiré Kabila (1997-2001) et, contre son fils Joseph Kabila Kabange. Il est mort à Bruxelles, huit jours après avoir été transporté du Congo quand le «Rassemblement» de l’opposition créé en juin autour de sa figure tutélaire négociait les modalités d’application de l’accord de la Saint-Sylvestre, et, en tout premier lieu, des postes ministériels.
Ces négociations sont aujourd’hui dans l’impasse.
Conclu sous les auspices de la CENCO, l’accord ouvre la voie à une cogestion du pays entre le pouvoir et l’opposition jusqu’à la tenue d’une présidentielle censée se tenir fin 2017. Â 45 ans, Joseph Kabila Kabange a été réélu président face à Tshisekedi en novembre 2011.
Le mandat achevé le 20 décembre sans que la présidentielle devant désigner le prochain président congolais n’ait été organisée permet l’application de la Constitution en son article 70: «A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu». Article interprété par un arrêt par la Cour Constitutionnelle qui a autorisé Joseph Kabila Kabange à se maintenir en place jusqu’à l’entrée en fonction d’un successeur élu.

L’INFLATION.
Pour l’heure, toutes les familles politiques congolaises semblent respecter une sorte de trêve pour ce «père de la démocratie congolaise». Mais passées les funérailles, dont la date n’est pas connue, la politique devrait reprendre ses droits, ou plutôt ses habitudes. Jusqu’à présent, les discussions ont surtout porté sur le «partage du gâteau»: la distribution des portefeuilles plus que la façon d’organiser concrètement les élections dans le temps convenu avec un budget national mis à mal par la baisse des matières premières.
Pendant ce temps, à Kinshasa, mégapole de 10 millions d’habitants qui avait voté à 64,09% pour Tshisekedi en 2011 contre 30,03% pour Joseph Kabila Kabange, la grogne s’installe dans une population largement miséreuse qui voit ses piètres conditions de vie se détériorer chaque jour avec la dépréciation de la monnaie nationale - le franc congolais - qui engendre une forte inflation. Un taux de croissance passé de 7% à 2,5% en moyenne entre 2015 et 2016. «Si on compare cette croissance à celle de la population congolaise quasiment de 3%, on obtient un taux de croissance par tête de 0% au moins», selon l’économiste en chef dans la Capitale congolaise de la Banque Mondiale, Emmanuel Pinto. Quant à l’inflation du franc face à la devise américaine, son taux est passé de -1 en 2015 à plus de 11% à la dernière revue faite le 20 décembre 2016.
Le ressentiment s’installe face à tout ce qui ressemble à un corps constitué: pouvoir, opposition et même l’Église catholique, pourtant encore auréolée de ses années de lutte contre la dictature mobutiste.
Etienne Tshisekedi absent, comment va réagir la population? Ainsi, s’interroge un analyste spécialiste du Congo, sous le couvert de l’anonymat.
Pour lui, «le premier test de taille sera les obsèques» dans la Capitale de l’opposant: «se dérouleront-elles dans le calme? Sinon, quelle sera la réaction des forces de l’ordre?». Pour cet analyste, la bombe à retardement sociale provoquée par la détérioration de l’économie risque de déstabiliser le pays tout autant que les troubles récurrents qui continuent d’agiter un pays travaillé par des forces centrifuges depuis son indépendance.
avec agences.


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