Richard Muyej construit le Lualaba de ses rêves
  • ven, 28/06/2019 - 04:45

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1459|VENDREDI 28 JUIN 2019.

A Kolwezi, capitale mondiale du cobalt, de gigantesques immeubles en acier et en verre introuvables dans la capitale, poussent aux côtés des cases en pisé, le minerais flirte avec le béton armé.
Le vieil aérodrome de la Plaine légué par la coloniale rendu célèbre lors du coup d’audace de Mobutu de mi-mai 1978 est toujours présent. Le Léopard avait atterri sur la petite piste au revêtement chaotique à 6 kms de Kolwezi à bord de son Transall personnel.

KOLWEZI.
(Lualaba).

GRANDS
REPORTAGES
DU SOFT.

Relu.

Grande tenue de combat, manches retroussées, casquette de général de corps d’armée cinq étoiles vissée sur la tête, baïonnette dorée, revolver Ruger GP en acier massif accroché au ceinturon.
Ce jour de mai, le Commandant Suprême des FAZ, les Forces Armées Zaïroises est venu féliciter le major Donatien Mahele Lieko, un ancien de Saint-Cyr et ses parachutistes, pour leurs hauts faits d’armes.
Le lendemain, Mobutu débarque en France, au Sommet franco-africain qui se tient, dans cette tenue. Faisant très grande impression à ses pairs, il explique qu’il revenait du front de Kolwezi libéré...
La veille de cette parade, une compagnie du 311ème bataillon Kamanyola sacrifiée, avait été décimée en l’air en sautant sur la ville consentante et occupée, certains hommes achevés au sol. Au total 120 parachutistes anéantis. Les ex-gendarmes katangais du FNLC, Front national de libération du Congo du général Nathanaël Mbumba venus de l’Angola voisine, appuyés par des soldats angolais et cubains avaient pris la ville et fait un massacre. 700 civils zaïrois et 170 Européens abattus et mutilés.

ELLE SORT
DE TERRE A VUE D’ŒIL.

Les rebelles entreprennent d’avancer vers d’autres cibles dans la riche province minière du Shaba, redevenue Katanga. Le Zaïre et le monde sonnent la fin de Mobutu...
Trop fier, le Léopard avait feint de rester zen, ne sollicitant aucune aide extérieure, assurant aux diplomates que la situation était parfaitement sous contrôle, que les FAZ feraient face. Un contingent marocain venu à la rescousse, expédié par le roi Hassan II, ne sera pas à la hauteur.
La ville où 3.000 Européens étaient faits prisonniers et la petite piste de brousse ne seront libérées que le 19 mai par les 700 parachutistes français de la légion étrangère du IIème REP avec l’opération aéroportée Bonite ordonnée deux jours auparavant dans un secret relatif par le président Valéry Giscard d’Estaing dans une ambiance délétère avec le gouvernement belge proche du général rebelle.
Quarante ans plus tard, juin 2019.
Le petit aéroport enfoui dans la brousse, n’est guère différent de celui de Bandundu moqué sur les réseaux sociaux dans l’ex-province oubliée du même nom sauf son salon VIP attenant où on trouve sofas en cuir et écran plat branché sur la chaîne nationale Rtnc.
Depuis Lubumbashi, une desserte aérienne est possible mais le petit bimoteur à hélices Air Fast Congo qui se vante d’être la troisième compagnie aérienne du pays à avoir obtenu son CTA, Certificat de transport aérien, reste cloué au sol tant qu’il n’a pas rempli ses 17 places. Cela ressemble aux taxis bus de Kin qu’il est impossible de sortir de la gare aussi longtemps que les passagers n’ont pas fini de s’agglutiner à bord sur de petits bancs de fortune...

LA VILLE
QUI POUSSE DE NUIT.

Il faut 45 minutes à ce petit avion qui vole à basse altitude dans un bruit assourdissant pour relier l’ex-capitale du cuivre Lubumbashi qui se délite dans l’actuel Haut-Katanga, à la ville qui sort de terre à vue d’œil.
Kolwezi, capitale de Lualaba, sacrée à l’international, nouvelle capitale mondiale du cobalt et du... cuivre.
En atterrissant sur cette courte piste, les passagers taciturnes tout au long du vol, récitent une prière: «Dieu a fait grâce; il a accompli un miracle. Que le nom du Seigneur soit loué».
Dans ce Congo où aucune compagnie aérienne ne peut voler dans l’espace aérien européen, bien que certifiée par la très controversée AAC, Autorité de l’aviation civile, quoi de plus normal...
Aussitôt qu’on a franchi une petite barrière métallique filtrant les passages, hôtels et lodges sentent un luxe récent. Grâce aux banques et sociétés minières qui déboulent, Lualaba ou fleuve Congo, dont la province puise son nom et prend sa source dans le territoire de Kambove, la traverse par les territoires de Mutshatsha et Lubudi avant de continuer dans la nouvelle province du Haut Lomami jusqu’à Kinshasa avant de finir ses 4.700 kms de course à l’embouchure avec l’Océan Atlantique, annonce l’érection d’une Cité des Anges, complexe hôtelier de 350 chambres, tout comme la réhabilitation d’un stade, énorme complexe omnisports Dominique Diur, du nom du premier gouverneur de la province (à l’époque des vingt-et-une provinces de la Constitution de Luluabourg en août 1964), dans la commune de Manika, l’une des deux que compte la ville, avec Dilala.
Plate-formes commerciales, représentations de prestigieuses calandres, véhicules tout-terrain flambants neufs, imposants immeubles publics à l’architecture massive grecque inconnue à Kinshasa, Hôtel du Gouvernement provincial, siège de l’Assemblée provinciale, etc., tout s’étale au plaisir de l’œil. Face à un tel gigantisme, l’immeuble «Intelligent» sur le grand boulevard à Kinshasa, qui plaça Matata sur orbite, est bébé bâtiment.
Une plate-forme aéroportuaire ambitieuse s’apprête à pousser. Elle viendra effacer le déshonneur extrême infligé à la ville par cette petite bâtisse déteinte de la coloniale au moment où, vendredi 14 juin 2019 dans la fraîcheur de la saison sèche, un jet privé, un Hawker HS 800 à six places, faisant partie de la flotte aérienne de la nouvelle compagnie aérienne locale Mwant Jet, piloté par Mme Gueda Amani Yav Wicht, s’immobilise fièrement sur la piste et qu’aussitôt, des bouteilles de grande marque française remplissent des flûtes de verre.
Ce pays Lunda (dites aussi Rund), Tshokwe, Ndembo, Minungu, Luvale, Sanga,Yeke, Kaonde, etc., dont les ancêtres bantous Yaka, Mbala, Ambuun, etc., seraient venus du Cameroun en traversant l’Angola et qui n’auraient pas eu assez d’endurance pour continuer la marche au Kasaï et dans le Bandundu à la recherche de terres fertiles, forêts et rivières, qui rappelle des noms béatifiés Moïse Tshombe, direct descendant de du roi Lunda Mwata Yamvo, et Jean Nguz a Karl-i-Bond, un autre Lunda, ami, ennemi puis ami de Mobutu, s’est découvert une raison de vivre: il déborde d’importants gisements riches en métaux non ferreux (cuivre, cobalt, manganèse, or, étain, uranium, radium, etc.)
outre des matériaux industriels (calcaire, quartzite, dolomie, sable, granite, etc.) et compte 75% des gisements miniers en exploitation dans l’ex-Katanga quand des recherches se poursuivent sur d’autres zones.

ILS NOUS FONT PALIR D’ENVIE.
Kolwezi présente des aspects de Hô Chi Minh-Ville.
Il y a trente ans, cette ville vietnamienne poussait de nuit et nul ne la reconnaissait au lever du jour.
Jadis, cette province qui partage sa frontière avec deux pays - la Zambie et l’Angola - ne disposait que d’un couloir vers l’étranger. La RN 39 va de Kolwezi à Dilolo sur 450 km à laquelle il faut ajouter les 30 km de bretelle Divuma-Kisenge Manganèse outre les 7 km de l’axe Kasaji-Lueu-Sandoa.
A cette porte vers l’Angola, les autorités provinciales travaillent à ouvrir une autre voie vers le Kongo Central. Coût: US$ 487 millions. Un projet BOT (Build Operate and Transfer). Le Lualaba
veut multiplier ses bretelles. L’axe Kolwezi-Solwezi a été lancé. Les travaux sont à la porte frontière zambienne.
A Kolwezi, rues et avenues de tous les quartiers ont été réaménagées. L’enrobé bitumineux fait la fierté des habitants. Si Kinshasa est à la peine sur GPS, Richard Muyej Mangeze Mans a mis sa ville sur orbite. En vous branchant sur Google, la sympathique voix féminine familière à la planète terre, depuis le satellite, vous accompagne jusqu’à votre destination finale.
Nul ne sait combien cette technologie sophistiquée embarquant horloges atomiques, stations d’observation et de synchronisation, système géodésique, etc., a coûté mais c’est le prix à payer pour un pays ou une ville qui met le cap sur la modernisation.
Profitant du rush que ses minerais suscitent à travers le monde, en Chine, aux Etats-Unis, en Inde, en Afrique du Sud et de l’embellie des cours freinée par la production artisanale, le Gouverneur sort de terre d’audacieux champignons de ses rêves de jeunesse.
En faisant un tour au cœur de la ville basse, à l’hôpital Mwanji ou à l’ex-Athénée Royal débaptisé Hewa Bora - du nom du maquis sud-kivutien du président Laurent-Désiré Kabila assassiné dans son bureau par l’un de ses gardes et dont une énorme statue est plantée à l’entrée - on voit se déployer une vision de puissance.
Doté d’une piscine introuvable nulle part au Congo, des salles de classe et de gymnastique entièrement rénovées, d’un court de tennis, d’un terrain de jeux, etc., qui font pâlir d’envie, cette école appartient à la classe d’établissements réputés du monde. Sa transmutation est si réussie qu’elle fut choisie pour abriter la DRC Mining Week du 12 au 14 septembre 2018.
La Conférence de la Semaine minière du Congo entrait dans sa troisième édition. Elle accueillit ministres, patrons de géants miniers de la planète, investisseurs, experts, membres de la société civile du secteur et, last but not least, le président Joseph Kabila Kabange venu diriger lui-même les travaux quand le débat sur le nouveau Code Minier qu’il portait à bout de bras faisait rage.
Le Code Minier qui, après un décret du Premier ministre, proclamait le 3 décembre 2018 le cobalt «substance minérales stratégique» qu’il surtaxait comme tout minerai stratégique, annonçait la fin de la stabilité des contrats sur dix ans. Pour l’industrie minière, une vraie guerre déclarée...
Mais le prix à payer pour redonner sourire aux zones de production totalement démunies.
Sur le thème «l’exploitation minière au Congo face aux impératifs du développement durable des zones productrices, apport, rôle et responsabilité de l’Etat, de l’industrie minière, de la Société Civile et des Communautés locales dans une synergie transparente à la lumière du Code Minier révisé», Kabila appela, dans un discours d’orientation volontariste, toutes les parties prenantes à appliquer, sans tergiverser, les dispositions du nouveau Code Minier.
Capitale mondiale du cobalt, dont le produit phare, la voiture électrique avec un modèle de la marque Tesla - commandé pour la circonstance par le Gouvernement provincial et exposé dans un stand - alimenté par la batterie lithium-ion à base du cobalt, le Lualaba fait face à des défis majeurs.

PUISSANCE
ECONOMIQUE ET PAUVRETE.

Il accuse d’énormes retards dans tous les domaines: éducation, santé, eau potable, électricité, assainissement de base.
L’habitat fait de paille et de briques adobes ne reflète pas la puissance économique de la province. Le chômage anéantit la jeunesse de Lualaba peuplé de 2,5 millions d’âmes (chiffre de 2016). Son taux (85%) est plus que le double de la moyenne nationale (40%). Celui de la pauvreté (83%) dépasse la moyenne du pays (81%). Le taux de la desserte à l’électricité et à l’eau potable est de 1% et de moins de 1% respectivement pour une moyenne nationale de 10%. Le bien-être économique par ménage (20,3%) dépasse légèrement la moyenne nationale (20%). Le secteur de la santé offre 8,4 lits pour 100.000 habitants contre une moyenne nationale de 9.9 lits pour 100.000 habitants. Le ratio de médecins (1/10.000 habitants) est en-deçà de la moyenne nationale (1/17.746 habitants). L’Enfer sur terre.
Puis, l’autre terrible paradoxe: le taux de mortalité néonatale (49‰), plus du double de la moyenne nationale (27‰). Le taux de mortalité infantile (94‰) dépasse la moyenne nationale (92‰). Conséquence logique: le Lualabais vit moins longtemps (une moyenne d’espérance de vie de 48,5 ans) contre 53 ans pour le pays.
Chiffres glaçants exposés par Muyej dans son Plan triennal stratégique 2016-2018. Projet de société qui permit au Gouverneur d’asseoir sa vision d’avenir et qui explique l’engagement dans la guerre qu’il livre contre la pauvreté.
Le Plan Muyej visait un objectif: opérer des choix stratégiques fondamentaux susceptibles «d’optimiser des efforts et de réaliser des résultats immédiats et tangibles en faveur des populations». En clair, un cadre de référence permettant de mener, de concert avec le Gouvernement central et des partenaires au développement, «des actions ciblées susceptibles d’obtenir des résultats immédiats et visibles en recourant de façon efficace et efficiente aux ressources internes et externes allouées aux actions de développement».
Objectifs globaux: améliorer de façon notable et durable les conditions de vie des Lualabais et placer la province au niveau de provinces locomotives de l’économie congolaise.
Objectifs spécifiques: assurer la sécurité totale et permanente de ses concitoyens et de leurs biens par l’amélioration du mode de gestion et d’affectation de la police urbaine comme celle des mines; construire, réhabiliter, moderniser les infrastructures socio-économiques de base en vue de stimuler la diversification de l’économie. Il en est ainsi des routes, aéroports, rails, logement, eau, électricité, etc.
Théorie consensuelle: la prospérité n’a de sens que partagée. Figée dans un camp, elle est source de frustrations, d’agitation et affecte l’ordre public et la sécurité nationale.
L’ambition assumée par ce Gouverneur de 65 ans, né à Élisabethville, ancienne appellation de Lubumbashi, dans l’actuel Haut Katanga, a étudié l’histoire à l’ex-IPN à Kinshasa avant de l’enseigner à l’Institut Ukweli, fut ministre national de l’Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires coutumières, après avoir fait un passage remarqué aux Relations avec le Parlement, est de faire de son Lualaba de ses origines, poumon économique congolais, une province pilote pour le développement national du point de vue de la production économique, du revenu de ses habitants, de la qualité de ses dirigeants et de sa participation au budget de l’Etat.
Réélu le 10 avril 2019 pour un deuxième mandat après avoir été commissaire spécial, l’homme qui fixe le cap des CDF 431 milliards de budget pour le Lualaba cette année, a écrasé ses cinq concurrents, s’est octroyé 90,48% des voix. Deux d’entre eux n’eurent droit qu’à une voix chacun, les trois autres zéro voix quand il caracolait avec 19.
Le 2 mai, il fut investi, avec 17 autres Gouverneurs, par une ordonnance du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.
Au séminaire de trois jours de cadrage des missions des gouverneurs qui ouvre ses portes le 13 mai au Kempinski Fleuve Congo Hôtel à Kinshasa, le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo annonce la fin du «temps de l’impunité», rappelle que les gouverneurs sont ses dignes représentants dans leurs provinces. D’où l’obligation d’un «comportement exemplaire», leur demande d’intégrer obligatoirement dans leurs programmes «la vision du Président de la République qui vise le développement intégral du pays».
«L’homme sera au centre de toutes vos actions dans les différents domaines de la vie».
Il dit compter sur chacun d’eux afin qu’au terme de son mandat de cinq ans, il apporte le changement promis au cours de sa campagne.
Il réaffirme son hostilité aux «antivaleurs qui minent les institutions», constituent «des obstacles à tout effort de développement», promet de combattre avec la dernière énergie le détournement des derniers publics, la corruption, le tribalisme, le népotisme, la concussion, l’incivisme et le clientélisme, etc.
«Vous êtes élus pour servir le peuple d’abord et le reste immédiatement après…», dit Fatshi.
Si le Président souhaite que la rétrocession aux provinces soit désormais effective, il annonce une évaluation trimestrielle de chaque gouverneur après «un contrat-programme conclu avec l’Exécutif national qui me permettrait d’évaluer les performances de chacun, de me donner la possibilité de bien sanctionner votre gouvernance après chaque évaluation trimestrielle».
A la suite de ce discours, Muyej invite ses collègues à l’introversion, à une rumination du cerveau.
Dans des mandats précédents, beaucoup ont invoqué l’absence (la modicité) de moyens pour justifier des contre performances. Le Gouvernement central devait plus de US$ 2,5 milliards à l’ex-Katanga au titre de rétrocession sur les recettes nationales et de la redevance minière.
L’argent est-il la panacée face à des situations qui impliquent compétence et imagination? Le découpage territorial a été critiqué. Il offre une aubaine à des communautés de base de se prendre en charge même si des entités ont vu du matériel de l’Etat voire la rétrocession servir à d’autres fins.
Avant le démembrement, la Ville de Kinshasa et le Kongo Central faisaient la course en tête des provinces en termes de recettes publiques. Elles ont été rétrogradées et ne figurent plus au G3. Le Lualaba a pris place.
Une territoriale qui enregistre un très fort taux de mortalité politique. Nombre de Gouverneurs ont été destitués lors des motions de censure des élus mécontents ou ont subi les foudres du Gouvernement central.
«J’ai beaucoup aimé que le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ait insisté sur les étapes; qu’il se donnera le temps d’évaluer et de sanctionner», explique Muyej pour qui «ce message est fort. Tout le monde est prévenu». Il salue l’engagement des gouverneurs à «respecter les recommandations du Chef de l’État». Muyej vante «l’élan de relance économique perceptible» dans sa province. Mais réclame le soutien de... Kinshasa.
T. MATOTU.


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