- lun, 08/08/2022 - 13:15
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1558|LUNDI 8 AOÛT 2022.
De tout temps, le Congo, par sa position géostratégique, est au cœur à Washington. Après l’opération de charme en Afrique de son homologue et désormais adversaire Serguei Lavrov, le Secrétaire d'État américain Antony Blinken foule mardi 9 août 2022 le sol congolais. Pourquoi l'élite politique n'a jamais pris l'option d'un cap déterminant dans les relations internationales du Congo qui replacerait le pays à un niveau acceptable et changerait la donne régionale ?
Antony Blinken après James Baker, Bill Richardson, Madeleine Albright, Hillary Clinton, Tibor Nagy.
Même si par sa plaque tectonique géostratégique, par les ressources de son sous-sol, par son uranium qui permit aux États-Unis d'Amérique de gagner en août 1945 la guerre mondiale, que le Congo pèse sur l'échiquier planétaire, pas une fois, le pays n'a reçu la visite d'un président américain en exercice. Mobutu accueilli à la Maison Blanche en grand ami des États-Unis, fut reçu 24 fois, à Kennebunkport, dans le Maine, au domicile familial des Bush où certains de ses enfants séjournèrent.
Ce sont les secrétaires d'État ou des sous-secrétaires d'État en charge de l'Afrique qui défilent à Kinshasa, porteurs d'un même message. Lequel? Le Républicain James Baker, les Démocrates Madeleine Albright, Hillary Clinton, etc. Si Mike Pompeo a accueilli avec chaleur le 4 avril 2019 à son bureau au département d'État le tout nouveau président congolais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le Républicain annoncé dans la Capitale n'a jamais fait le voyage. C'est son adjoint, le Monsieur Afrique de Donald Trump, Tibor Peter Nagy Jr qui, en mars 2019, foule le sol congolais. Après l’opération de charme en Afrique et dans la ville voisine Brazzaville de son homologue et désormais adversaire en Ukraine, le Russe Serguei Lavrov, le chef de la diplomatie américaine, le Démocrate Antony Blinken déboule mardi 9 août 2022 à Kinshasa. Pourquoi l'élite politique n'a jamais pris l'option d'un cap déterminant dans les relations internationales du Congo qui replacerait le pays à un niveau acceptable et changerait la donne politique régionale ? Ignore-t-elle ce que représente ce pays qui a vu son premier Premier ministre assassiné accusé d’être pro-communiste ? De tout temps, les Etats-Unis ont été au cœur du problème congolais.
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Cela faisait longtemps que Washington abhorrait le régime d’après Mobutu et, depuis des années, cette aversion partagée dans les capitales européennes, Londres, Bruxelles, Paris, etc., n’a fait qu’enfler jour après jour.
Si la fin de la guerre froide marque la fin du long règne du Léopard (32 ans), celui qui lui succède poussé par des forces pro-occidentales (Rwanda, Ouganda, Éthiopie, Érythrée, Angola, etc.) n'a réglé le problème.
Tout commence mi-décembre 1997 avec le clash à Kinshasa avec la Démocrate Albright. Réagissant à une «injonction» de la secrétaire d’État américaine, celle de l’ouverture politique, le tombeur de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila, qui n’avait pas sa langue dans sa poche, lance à l’endroit de la puissante patronne de la diplomatie américaine : «Il faudra attendre une autre génération, pas moi!».
AU CŒUR DE TOUT.
Ce fut oublier que de tout temps, depuis l’assassinat non élucidé le 17 janvier 1961 de Patrice-Émery Lumumba accusé, en pleine guerre froide, d’être pro-soviétique, les dirigeants américains, démocrates et républicains, sont au cœur du problème congolais et qu'au Congo, rien n’a jamais été réglé sans eux.
Le départ de Mobutu est lancé samedi 24 mars 1990 par le Secrétaire d’État James Baker reçu par le Maréchal sur son yacht, Le Kamanyola, qui a jeté l'ancre à N’Sele, peu avant que le Léopard n’aille introduire, à quelques encablures plus loin, dans la grande salle de la Cité de la N’Sele, siège du parti-État, MPR, les yeux humides, l’ultime séance des consultations populaires initiées à marche forcée par... les États-Unis après la Pérestroïka du Soviétique Mikhaïl Gorbatchev (avril 1985-décembre 1991) et la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, la réunification de l’Allemagne suivie de l’effondrement du bloc communiste.
Le départ de Mobutu passe à la vitesse supérieure le 29 avril 1997 avec William Blaine Richardson dit Bill Richardson, l’ambassadeur aux Nations unies de Bill Clinton. Le diplomate d’origine mexicaine est dépêché à Kinshasa pour rencontrer Mobutu et lui dire la reconnaissance des Américains pour le service rendu depuis 1960 et lui faire les adieux.
Le moment était venu de quitter le pouvoir s’ils ne voulaient pas que les rebelles de l’AFDL, ne traînent son cadavre dans les rues de Kinshasa.
La disparition brutale du Mzee abattu par son garde de corps dans son bureau le 16 janvier 2001, laisse place à son fils Joseph Kabila Kabange.
L’Occident a voulu favoriser une succession en douceur dans un immense pays qui peine à se relever de «la première guerre mondiale africaine» et que les Occidentaux, malgré son rôle stratégique pour l’avenir de l’Humanité, avaient abandonné à son propre sort.
Après le changement démocratique intervenu le 30 décembre 2018 et réclamé à haute voix par Washington, la plus grande puissance de la Planète veut marquer son grand retour dans un pays Continent, parler commerce après s’être assurée de la paix, de la sécurité, de la stabilité, de la bonne gouvernance, qui passe par la lutte contre la corruption.
Si le processus démocratique n’a pu respecter les standards internationaux, qu’importe ! Il aura été le plus démocratique que le pays ait jamais organisé depuis son accession à l’indépendance, ne cesse de répéter le Secrétaire d’État adjoint américain en charge des Affaires africaines, Tibor Peter Nagy Jr revenu sur le Continent et, cette fois, arrive en Afrique Centrale.
Le «Monsieur Afrique» de Donald Trump était attendu à Kinshasa le 13 mars, y séjournera jusqu’au 15 mars après des escales en Ouganda, au Rwanda et avant le Cameroun.
Tibor Peter Nagy Jr se félicite que «Kabila ne soit plus au pouvoir à Kinshasa» et qu’«un nouveau président, issu des rangs de l’opposition, a désormais l’occasion de faire avancer les choses».
Tibor Peter Nagy Jr a un entretien très attendu avec le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo élu le 30 décembre dernier. Washington qui entend tourner la page de l’ancien pouvoir, salue chaleureusement l’élection d’un opposant à Kabila.
Si les Etats-Unis regrettent que ces scrutins n’aient pas été parfaits, ils frappent sans pitié les individus qu’ils jugent responsables de ce chaos: obstruction aux libertés publiques, corruption qui atteint une échelle industrielle, violences, etc.
Frappés le 22 février, le président de la centrale électorale nationale, Corneille Nangaa Yobeluo et son vice-président Norbert Katintima Basengezi, le fils de celui-ci, Marcellin Mukolo Basengezi, conseiller du président de la centrale électorale dont le rôle est avéré dans l’opération «Machine à voter» sud-coréenne Mirus. Frappés le président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku Ndjalandjoku également secrétaire général de la majorité présidentielle, le président de la Cour constitutionnelle Benoît Lwamba Bindu. Washington n'entendait nullement s’arrêter en si bon chemin.
BIS REPETITA.
Depuis qu’il a entrepris sa nouvelle tournée africaine par Bruxelles et Paris dont le rôle sur le Continent est majeur, Tibor Peter Nagy Jr est resté sur la même ligne que tous ses prédécesseurs américains, démocrates et républicains, multipliant annonces et menaces à l’endroit des responsables congolais, allant jusqu’à annoncer, sourire en coin, mercredi 6 mars dans une interview à la chaîne de télévision française France 24 (version anglaise), que l’étau se resserrait inexorablement, que les plus fortes frappes américaines étaient à venir et qu’elles pourraient toucher le cœur de l’ancien pouvoir congolais ne cachant pas que l’ancien président Kabila pourrait lui-même être directement visé par l’impitoyable Amérique.
Comment? Nul doute, Washington résolument optimiste, a déclenché l’entreprise de «dékabilisation». Le schéma de Luanda est partout présent. Tibor Peter Nagy Jr arrive après la visite dans la Capitale de l’envoyé spécial américain Peter Pham.
La présence de cet homme à Kinshasa blacklisté par l’ancien gouvernement congolais coïncide étrangement avec l’annonce d'une pluie de sanctions américaines.
Dans nombre de cénacles politiques kinois, ce scénario était le plus craint avec l’arrivée de Tibor Peter Nagy Jr mercredi 13 mars à Kinshasa. Du Bis repetita?
T. MATOTU.
Le Soft International, N°1447 |mercredi 13 mars 2019.