- mer, 17/06/2015 - 06:05
Pour une surprise, c’en fut une géante. Vendredi 12 juin peu avant 13 heures, ce fut un coup de tonnerre qui éclata sur la tête des membres du Gouvernement présents dans l’hémicycle.
Après avoir bénéficié d’un «délai raisonnable» afin d’affûter son argumentaire, le Vice-premier ministre Evariste Boshab Mabudj en charge de l’Intérieur et Sécurité venait de donner une réplique à fleurets mouchetés aux «nombreuses et pertinentes préoccupations» des élus. Par deux fois, il eut même droit à une ovation...
TEMPERAMENT DE CHOC.
Avant de conclure sa réplique, il prononça ces cinq phrases qui ressemblent peu au tempérament de choc de ce docteur de Droit Public de l’Université catholique de Louvain en Belgique, avocat près la Cour d’appel de Kinshasa, professeur de Droit public encore tout fraîchement ex-patron du plus important parti de la majorité présidentielle, le PPRD: «Je suis venu répondre aux inquiétudes soulevées par le projet de loi. Il ne s’agit là que d’un projet, c’est-à-dire perfectible. Il ne prendra la forme définitive que dès lors que l’Assemblée Nationale aura donné sa caution après l’avoir décortiqué en replaçant chaque mot, chaque virgule à sa place. Pour tout dire, dans un système parlementaire comme le nôtre, la loi est l’œuvre du législateur et donc votre œuvre. Je me tiendrai encore et toujours à votre disposition dans vos délibérations ultérieures pour que la loi qui sera mise au service du peuple reflète, à la fois, ses aspirations et surtout les préoccupations légitimes de la Représentation Nationale».
Il n’empêche! L’Assemblée Nationale ne l’entendait pas de cette oreille. Elle qui suivit mot à mot son président, l’Hon. Aubin Minaku Djalandjoku. Face aux questions et interrogations qui fusèrent une semaine plutôt le 5 juin lors de la présentation du projet de loi portant répartition des sièges par circonscription électorale aux Municipales et Locales, le président de l’Assemblée nationale choisit de renvoyer au Gouvernement le projet de loi afin qu’il le retravaille recommandant fermement - la matière étant hautement technique - qu’il le fasse en cohérence avec la centrale électorale nationale, CENI.
Pourtant, le Vice-premier ministre avait mis toute son intelligence dans ce projet qui n’était pas à l’origine le sien mais qu’il assumait et défendait.
Ainsi, sur les Décrets de l’ancien Premier ministre Palu Adolphe Muzitu Fumunji stigmatisés (n°13/020, 021, 022, 023, 024, 025, 026, 027, 028, 029, 030) qui confèrent le statut des villes et communes à certaines agglomérations des Provinces du Katanga, du Kasaï Occidental, de la Province Orientale, du Kasaï Oriental (1er décret), de l’Equateur, du Bandundu, du Bas Congo, du Nord Kivu, du Kasaï Oriental (2ème décret), du Sud Kivu et du Maniema, il se montra particulièrement réservés en prêtant le flanc aux élus:
Si «le Gouvernement de la République avait jugé opportun» de prendre ces Décrets, «la légalité ou encore la constitutionnalité de ces Décrets peut être contestée suivant toute voie procédurale prévue par les textes en la matière».
Puis: «Ces textes, il y a lieu de l’admettre, n’ont pas été suffisamment vulgarisés et nécessitent, à juste titre, un travail d’achèvement technique, et cela au regard notamment des recommandations formulées par le Sénat». Puis, plus loin, s’adressant spécialement aux Dép. Lokondo, Kimpela, Makila, etc., il se lâche: «D’emblée, il est important que nous ne nous trompions pas de procès: le texte sous examen est le projet de Loi sur la répartition des sièges par circonscription électorale et non un projet des décrets incriminés, quand bien même, je l’admets, ces derniers ont servi de fondement technique audit projet de loi».
Puis: «Cela m’amène à considérer votre préoccupation bien légitime car ces textes sont effectivement perfectibles. En effet, les constatations et les drames sociaux pouvant découler de cette situation commandent que les corrections soient envisagées dans les plus brefs délais». Puis enfin: «Il faut noter ici que ces Décrets ont été signés sur base des avis favorables des Assemblées provinciales. Les Français disent: «Que chacun fasse son travail et les vaches seront bien gardées». Sur la nomenclature et l’appartenance des groupements: «Tout en admettant des erreurs matérielles évidentes quant à la dénomination de certains groupements, l’on peut néanmoins relever qu’elles peuvent être corrigées au sein de votre commission lors de l’examen en profondeur des dispositions de la présente Loi». Avant de relever: «Nous voudrions mentionner que les noms des entités sont rendus tels que renseignés dans leurs actes constitutifs ou alors tels qu’identifiés et certifiés lors des Conférences Provinciales. De même l’appartenance des groupements à leurs secteurs ou chefferies ou communes ainsi que de différentes corrections effectuées en rapport avec cette appartenance ont été réalisées et certifiées à l’occasion de différents travaux techniques ainsi que lors de la certification de ces différentes entités de base au niveau des conférences Provinciales».
Sur la nature juridique du projet de loi, le professeur de Droit n’est pas loin: «Je puis tout de même souligner que, s’agissant d’un dispositif destiné à compléter une loi, à savoir la loi n°15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant Organisation des Elections Présidentielle, Législatives, Provinces, Urbaines, Municipales et Locales telle que modifiée par la Loi 11/003 du 25 juin 2011, il ne peut de toute évidence se réaliser qu’à travers un texte de portée législative, car il n’est ni raisonnable, ni simplement pratique de faire compléter une loi moyennant des textes réglementaires. Le contraire produirait un texte hybride, privé d’homogénéité quant à sa portée juridique».
DU BOSHAB TOUT CRACHE!
Du paradoxe des Groupements avec 0 ou 1 électeur mais produisant (par miracle) 1 siège d’élu: «Cette préoccupation se recoupe avec celle portant sur la fiabilité du nombre d’électeurs indiqués dans les différentes entités (...). Cette situation trouve son explication primaire d’une part dans l’adoption de la loi n°04/028 du 24 décembre 2004 portant identification et enrôlement des électeurs en République Démocratique du Congo, avant la réalisation des opérations d’enrôlement et d’autre part à cause de l’instabilité chronique des groupements et villages qui composent notre territoire. La solution n’a été trouvée qu’à la faveur des opérations de fiabilisation des fichiers. C’est d’ailleurs pour moi l’occasion de rappeler que la difficulté persistera tant que l’identification de la population n’aura pas été réalisée par un recensement exhaustif. Comme mentionné précédemment dans cette réplique, ce paradoxe exclusivement arithmétique reflète simplement l’approche technique de localisation des électeurs combinée avec la prise en compte de l’exigence légale. Je rappelle en effet que les électeurs sont localisés dans leurs secteurs ou chefferies, groupements et villages à partir de leurs adresses de résidence déclarées en 2010-2011 lors de la révision du fichier électoral ou celles renseignées à l’occasion de l’affichage des listes électorales. De telle sorte que les chefferies à électeurs zéro correspondent à celles qui ne figurent simplement pas comme adresse dans aucune carte d’électeur. Cela ne veut donc pas dire que ce sont de no man’s land. C’est une localisation fonctionnelle. Les 62 groupements sans électeurs ne sont donc pas inhabités. Les habitants apparaissent simplement ailleurs, selon le fichier électoral de 2011. L’affectation des électeurs n’était pas automatique. L’électeur dans la base de données de la CENI est localisé soit par l’adresse de résidence déclarée par lui lors de la révision du fichier électoral ou par sa réclamation formulée après consultation des listes affichées aux sites de vote lors de la fiabilisation du fichier électorale».
L’occasion était trop belle pour le Vice-premier ministre de ne pas rater le Dép. (opp.) José Makila Sumanda, l’homme qui fut élu avec 117.900 voix à Gemena, en Equateur (certes en 2006 lors des années MLC) avant d’obtenir zéro vote lors d’un scrutin pour son retour à la tête de la province après qu’il eût été évincé par une motion de censure des députés provinciaux: «Sauf à envisager un esprit de contradiction incompréhensible dans le chef de certains acteurs politiques, je déduis de la préoccupation de l’Honorable Makila un revirement de la part de ce dernier qui se rallie désormais à l’idée d’une préalable et nécessaire opération d’identification de la population».
Puis, en passant, de régler à sa manière «la controverse juridique» soulevée par le Dép. juriste Botakile, ancien ministre provincial (Kinshasa). Cet élu avait estimé que le projet de loi portant répartition des sièges aux Municipales et Locales était du domaine réglementaire et non législatif. «C’est discutable...», explique Boshab. Avant de se lancer: «Eu égard à l’importance et à la sensibilité de cette matière, la soumettre à la censure de 500 intelligences avisées vaut mieux que la soumettre à quelques intelligences seulement. La première proposition a l’avantage de réduire la marge d’erreurs, ce qui a été fait par la pertinence des questions posées par les Honorables Députés». Du Boshab tout craché!
Le sort de ce projet de loi présenté par le Vice-premier ministre en présence du ministre des Relations avec le Parlement Tryphon Kin-kiey Mulumba, qui constituait l’une des vingt-trois contraintes posées par la Centrale électorale nationale pour conduire dans les délais constitutionnels requis le processus électoral et éviter le fameux «glissement» tant redouté, avait fait l’objet d’une analyse dans ces mêmes lignes (En examen au Parlement, quel sort pour le projet de loi sur les villes et communes, Le Soft International, n°1319, 1ère éd. lundi 8 juin 2015).
Le Soft envisageait le «rejet» du texte expliquant que dans cette hypothèse, le Vice-premier ministre serait amené à revoir sa copie. Le Soft faisait allusion à des «questions de fond» posées par les élus en rapport avec la constitutionnalité des décrets qui fondent ce projet de loi - et du coup, du projet de loi lui-même, et qui auraient dû être retirés par le Gouvernement, du moins avait-il promis à l’Assemblée Nationale - que de forme sur la question qui consistait notamment à savoir par quel miracle une circonscription électorale ne disposant d’aucun «électeur enrôlé» - c’est le jugement de la CENI - pourrait-elle produire malgré tout un élu!
Le Soft: «C’est un vrai casse tête congolais pour le professeur de Droit Evariste Boshab Mabudj que souvent les Députés ont piégé en s’adressant au scientifique et donc à une âme et conscience et non au politique, membre du Gouvernement - ministre de l’Intérieur et Sécurité».
«Tous les paris sont ouverts. Lors du débat vendredi 5 juin, les élus ont exigé que le ministre de l’Intérieur brandisse les «avis conformes» nécessaires des Assemblées provinciales autorisant la création des villes et communes. Selon nombre d’observateurs, le Vice-premier ministre sera, dans nombre de cas bien en peine de fournir des tels documents. D’autres ont suggéré - et ont été applaudis sur tous les bancs - qu’un travail à la base puisse être au préalable fait, voyant par ce projet une véritable bombe à retardement… C’est relancer l’hypothèse d’un recensement préalable… Faut-il craindre le rejet du projet de loi?
Il y a eu des Députés - tels Baudouin Mayo Mambeke (UNC, opp.) ou Henri-Thomas Lokondo (Ind., maj.) pour s’interroger sur le bien-fondé du dépôt de ce texte au moment même où le Président de la République engage des consultations en vue d’un dialogue qui a pour but précisément de redimensionner le processus électoral de la CENI. (...)
L’acceptation du projet de loi permettrait au Gouvernement de sauver la tête et de laisser les Chambres parlementaires libres de tricoter ou de détricoter ce qui n’est en définitive qu’un projet dont la forme finale est du ressort des seuls parlementaires (Députés et Sénateurs).
Reste la question non moins angoissante du délai. Ce projet de loi a été examiné à la Chambre basse à huit jours de la clôture de la session parlementaire en cours. Si elle est jugée «recevable» par la plénière de l’Assemblée nationale, il lui faudra raisonnablement au moins une semaine en Commission PAJ (Politique, Administrative et Juridique) avant de revenir à la plénière et il lui faudrait au moins dix jours encore avant de passer à la Chambre haute. Impossible que ce texte-préalable passe l’épreuve parlementaire avant la clôture de la session qui intervient lundi 15 juin, soit exactement dans une semaine. Le pays va-t-il droit vers une session extraordinaire des Chambres?» On connaît la réponse depuis l’audience accordée mardi 16 juin par le Président de la République aux Députés nationaux.
T. MATOTU.