- lun, 05/12/2022 - 22:38
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1567|LUNDI 5 DÉCEMBRE 2022.
La semaine écoulée, la tension dans les Grands Lacs est montée de plusieurs crans comme jamais ces dernières années.
Au départ c’est à Nairobi, au Kenya, lundi 28 novembre, quand le président en exercice de l’EAC, East African Community, le général burundais Évariste Ndayishimiye, tient des propos inattendus.
À la reprise des pourparlers entre le Gouvernement congolais et des mouvements armés, devant deux cents participants, devant le président kenyan William Ruto, le président honoraire kenyan et facilitateur de l’EAC, Uhuru Kenyatta (les présidents ougandais Museveni, rwandais Paul Kagame et congolais Félix-Antoine Tshisekedi en virtuel), devant des télés, lors d'une cérémonie solennelle, Ndayishimiye fait haut et fort deux déclarations en français.
D’une part, que «les troupes de l’EAC arrivées au Congo ne quitteront le Congo qu'après que le Congo ait disposé d’une armée et d’une police en mesure de sécuriser tout le monde».
« Tout le monde»? Cela signifie-t-il tous les pays de la sous-région ? Cela signifie-t-il que c'est aux pays de l’EAC - Kenya, Ouganda, Tanzanie, Burundi, Rwanda et non au Congo, qui en est membre depuis juillet 2022 - qu’il reviendra un jour d’apprécier le niveau et la qualité des forces de défense et de sécurité du Congo ?
Dans le même discours, le général Ndayishimiye relate une « histoire burundaise » : quand deux personnes se disputent un citron et font venir un troisième homme pour les départager, «le nouveau venu commence par presser le citron disputé jusqu’à ce que le fruit se vide de son jus...». Les armées étrangères arrivées au Congo pourraient ne pas être venues aider les Congolais à trouver une solution durable à leurs problèmes internes ?
Deux jours plus tard, le 30 novembre, à Kigali, au Rwanda, c’est le général-président Paul Kagame qui profite de la prestation de serment des nouveaux membres de son cabinet, dans un discours d'État pour parler en anglais - afin que le monde l’entende ? - de son voisin de l’Ouest.
DU CYANURE.
Le général-président a ces mots : «le monde entier impute la responsabilité de la crise du Congo au Rwanda, la vérité est autre. Ce problème peut être résolu si un pays qui se dirige vers des élections l'année prochaine n'essaie pas de créer les conditions d'une situation d'urgence pour que les élections n'aient pas lieu».
Puis : « S'il essaie de trouver un autre moyen de faire reporter les prochaines élections, alors, je préférerais qu'il utilise d'autres excuses, et pas nous. Encore faut-il savoir s’il avait gagné les précédentes... ».
Puis (à fleurets mouchetés ?) de brandir la menace : « S’il y a quelqu’un qui veut qu’on lui parle de la guerre, il n’y a pas meilleur homme à voir que moi ».
Ces paroles - du général-président burundais, président en exercice de l’East African Community et du général-président rwandais, dont l'armée RDF est citée dans plusieurs rapports internationaux comme forces combattant aux côtés du mouvement rebelle M23 - font-elles penser que, dans la guerre qui a lieu à l’Est du Congo - dans laquelle le Rwanda et l’Ouganda pèsent d’un poids décisif -, les Grands Lacs prônent la paix ?
Voyons les messages sur Twitter de fin de semaine du général ougandais Muhoozi Kainerugaba (@mkainerugaba), fils du président ougandais Yoweri Museveni, commandant en chef de l’armée de terre ougandaise UPDF entre 2021 et 2022, toujours conseiller de son père en charge des Opérations Spéciales, donné pour probable successeur de son père à la tête du pays.
Qu'écrit Kainerugaba?
« Si j’étais encore CLF, je rencontrerais immédiatement le général Makenga. C’est un grand combattant et je suis sûr que nous nous comprendrions. Nous étions prêts à parler à Joseph Kony et à la LRA pourquoi pas le M23 ».
« Je suis absent du bureau depuis presque deux mois maintenant. Mais les armées combinées d’Afrique de l’Est ne peuvent rien faire pour changer la situation dans l’Est de la RDC ? Peut-être qu’elles ont besoin de rappeler un vrai général pour régler le problème ?».
« Je suis un général UPDF 4 étoiles. Il y a très peu de choses sur cette terre que je n’ai pas vues. Mais je plains ceux qui méprisent mon oncle, le général Kagame. Combattre le Rwanda c’est combattre l’Ouganda ».
Ce gradé n'est pas n'importe qui. Il est connu et craint dans les Grands Lacs.
En janvier 2022, il se rend en visite à Kigali, discute avec le général-président Paul Kagame. Les relations entre Kigali et Kampala sont alors tendues. Depuis février 2019, le Rwanda a fermé sa frontière avec l'Ouganda. Mais les discussions portent leurs fruits. Kigali rouvre la frontière.
En mars, Kainerugaba retourne voir Kagame. En avril 2022, le fils Museveni fête ses 48 ans d'âge, Paul Kagame, le Premier ministre ougandais Robinah Nabbanja, de nombreux militaires et personnalités politiques de haut rang sont à ses côtés.
Si, en octobre 2022, son père le retire à la tête de l'armée et désigne le général de corps d'armée Kayanja Muhanga, c’est après plusieurs messages postés sur son compte Twitter dans lesquels il déclarait que l'UPDF prendrait Nairobi, la capitale du Kenya voisin, en deux semaines.
Des messages qui avaient fait tant monter la tension entre Nairobi et Kampala que Museveni déplace son fils à la tête de l'armée et déclare à la télévision kenyane lui avoir demandé d'arrêter avec Twitter. Réponse publique de Kainerugaba : « Personne ne peut m'interdire Twitter ».
Pourquoi ces passes d’armes arrivent au lendemain du mini-sommet de Luanda, réuni le 23 novembre 2022 à l'issue duquel un cessez-le-feu avait été décrété mais où le président rwandais avait préféré se faire représenter ?
Faut-il souligner des articles parus en fin de semaine dans des médias à Kinshasa en lien avec « le courrier empoisonné au cyanure » venu de Paris, adressé au président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, réceptionné au Palais de la Nation par le Directeur de cabinet du Chef de l'État Guilain Nyembo Mbwizya qui a fait un malaise et dont l’expéditrice serait, à en croire ces médias, une autorité emblématique de nationalité rwandaise, l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, soit, la personne qui se décrit comme «originaire du village nommé Rwanda», très proche du président rwandais Paul Kagame, qui dirige comme Secrétaire Générale, depuis le 1er janvier 2019, avec l'appui renouvelé de Paris, l'Organisation Internationale de la Francophonie, OIF ?
Soupçonner Kinshasa de chercher à repousser les élections n'était certainement pas un sujet facile pour Kagame et Kinshasa a su trouver les mots pour répondre.
« Est-ce que la liberté d'expression existe au Rwanda ? Est-ce qu'une liberté de manifestation existe au Rwanda ? Non ! Il vaut mieux d'abord qu'il regarde chez lui (...).
Si lui, il est en mesure de supporter une quelconque opposition à sa pensée unique ! Pour tout ce qui concerne la démocratie, mondialement, il est le dernier sur la liste », a répliqué le porte-parole.
Quand le président rwandais parle de «gagner» ou pas des élections au Congo, c’est à croire qu’il est Congolais, qu’il fut électeur ou organisateur des élections en 2018 au Congo.
LIGNE ROUGE ?
Comment un étranger - et, à la tête d’un pays - peut-il dire ça d’un autre pays aussi publiquement et s’ingérer comme ça dans la politique intérieure d’un autre pays ? Quelles informations avait-il pu avoir et de qui ?
Reste que la tension est loin de faiblir. Samedi 3 décembre, face à 250 jeunes venus de toutes les provinces du pays réunis par le Conseil National de la Jeunesse, reçu à dîner à la Cité de l’Union africaine par le Chef de l'État, le président congolais remonte le niveau, cite nommément et avec force Paul Kagame, le traite de président « rétrograde (...) qui sème la guerre et la désolation ».
Mais fait la différence entre «le Rwanda », «le régime rwandais » et «les Rwandais et les Rwandaises».
« Ne haïssez pas les étrangers, déclare-t-il. C'est d'ailleurs à propos du Rwanda, ça ne sert à rien de regarder le Rwandais comme un ennemi. C’est le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête qui est l’ennemi de la République Démocratique du Congo. Les Rwandais et les Rwandaises sont nos frères et sœurs. Et d'ailleurs, ils ont besoin de notre aide parce qu'ils sont muselés. Ils ont besoin de notre aide pour se libérer.
Cela n'a rien à voir avec ce que leurs dirigeants sont en train de leur imposer. Donc, ne les regardez pas comme des ennemis mais comme des frères qui ont besoin de notre solidarité pour nous débarrasser et débarrasser l'Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades qui ramènent les méthodes des années 1960 et des années 1970 alors qu’en Afrique, on avait décidé de mettre fin aux bruits des armes.
En 2020, il fallait taire les armes en Afrique pour que l'Afrique passe à autre chose. Qu'on prenne qu'elle est la dernière de la classe dans le monde parce que justement à cause des guerres et des divisions. Nous nous étions entendus comme ça. Malheureusement ce n'est pas arrivé et on a dû encore prolonger mais c'est à cause justement des dirigeants tel que Paul Kagame.
Et il s'enorgueillit d'être un faiseur des guerres, un spécialiste dans la guerre. Il en est fier. Moi, à sa place, je me cacherais. J'aurais honte d'assumer le fait qu'on sème la mort et la désolation. C'est honteux et je dirais même diabolique. Nous n'allons pas manger de ce pain-là ».
Reste à savoir jusqu'où ira cette montée de fièvre sous prétexte des M23 et si, entre Kinshasa et Kigali, la ligne rouge n'est pas franchie. Faut-il y trouver les dernières absences du président congolais à des sommets majeurs ? COP-27 en Égypte à Charm el-Cheikh au bord de la mer Rouge (6-18 novembre 2022) et dont Kinshasa fut co-organisateur ; OIF, le XVIIIe Sommet à Djerba, en Tunisie (19-20 novembre 2022).
Si le Congo renferme le plus grand nombre de locuteurs de français, la question peut se poser... En même temps, comment ne pas interpréter la poursuite ininterrompue de l’aide financière de l’Union Européenne à l'armée rwandaise RDF accusée par tous les rapports d'être aux côtés des M23 ? La dernière enveloppe est de 20 millions de euros.
KKM.