Les grands électeurs pour éviter la tyrannie de la majorité sur la minorité
  • ven, 06/11/2020 - 00:37

KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1506|JEUDI 5 NOVEMBRE 2020.

par MUSENE SANTINI Be-lasayon,
Correspondance particulière.

En inventant l’institution de Collège Electoral Fédéral ou des grands électeurs, les Pères Fondateurs des Etats-Unis d’Amérique avaient pour objectif principal de contenir l’esprit populaire ou démocratique qui avait libre cours sous la Loi Fondamentale des Articles de Confédération. Le gouvernement qu’engendrent ces grands électeurs émane essentiellement de la bourgeoisie dignement représentée par ses supers experts politiques, constitutionnels, idéologiques et propagandistes.

LA TYRANNIE
DE LA MAJORITE.

Les Pères Fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, c’est-à-dire les Constituants qui ont élaboré leur historique et célèbre Constitution promulguée en 1789, étaient essentiellement issus de l’aristocratie possédante et du protestantisme anglo-saxon.

Ils étaient majoritairement des démocrates modérés à l’esprit positif, mais généralement hostiles à l’instauration de la vraie démocratie. Pour s’en convaincre, observons-nous à la suite de Max J. Skidmore et M. C. Tripp, « ils ont évité de citer », dans la Constitution, « le mot démocratie, qui signifie un gouvernement émanant du peuple. Ils l’ont remplacé par le terme de république qui désigne la chose publique, voire une société gouvernée par l’intérêt public et dans cet intérêt ».
En clair, les Pères Fondateurs redoutaient, dans le fond, la tyrannie du pouvoir de la majorité sur la minorité qu’est toujours, partout à travers le monde, la classe possédante.

Comme ils redoutaient, par ailleurs, la concentration du pouvoir dans les mains d’une clique déjà privilégiée par l’argent. C’est ainsi qu’ils ont cru résoudre ce dilemme en mettant des freins constitutionnels à la tendance inévitable et des riches et des pauvres à se dépouiller les uns les autres. L’institution de Collège Electoral Fédéral, duquel relèvent les fameux grands électeurs, semble être le plus important de ces freins constitutionnels. Comment et pourquoi cela? Tenons : Les Etats-Unis d’Amérique sont régis, dès leur naissance le 4 juillet 1776, par la démocratique « Loi Fondamentale des Articles de Confédération ».

Ceux-ci accordent plus de pouvoirs à la base, c’est-à-dire aux Etats fédérés et au Souverain primaire, plutôt qu’à l’Etat et aux dirigeants fédéraux. Quelque temps après, un mouvement pro-aristocratique, dit « Les Fédéralistes », conduit par James Madison, Alexander Hamilton et John Jay, voit le jour.
Il s’insurge contre cette Loi Fondamentale qui aurait engendré la faiblesse de l’autorité centrale de la Confédération américaine.

GOUVERNEMENT
DE LA BOURGEOISIE.

Il s’appuie particulièrement sur la situation de quasi-anarchie dans laquelle ces articles de Confédération auraient plongé le nouvel Etat de 1776 à 1787.

Il préconise alors l’instauration d’un gouvernement central fort, doté d’une plus grande identité nationale et présidé par un aristocrate bénéficiant du soutien des riches et des puissants. Il tient donc à l’abolition des articles de Confédération, à l’organisation d’une assemblée constituante et à l’élaboration d’une nouvelle Constitution adaptée au nouveau contexte envisagé. Ce mouvement influence profondément les Constituants, historiquement qualifiés de Pères Fondateurs. Il argue, à l’intention de ceux-ci, que « les Américains sont assoiffés d’organisation, d’ordre et d’efficacité et que ces besoins essentiels et urgents ne peuvent être assurés que si les Etats-Unis sont dirigés par une aristocratie de gens bien nés auxquels leur fortune et leur situation sociale ont donné l’expérience de direction de grandes affaires et le goût de la stabilité ».

La majorité des Pères Fondateurs adhèrent, avec enthousiasme, à cette opinion leur assenée, avec conviction et méthode, par la propagande fédéraliste. Ils en font le soubassement des articles de la Constitution relatifs à l’élection du Président des Etats-Unis. Ils font constitutionnellement organiser une sorte de vote populaire au premier degré et une sorte de vote censitaire opéré par le Collège Electoral Fédéral au second degré. Ce vote populaire ressemble à un alibi idéologique. Car, dans le système constitutionnel américain, l’élection présidentielle se fait, en réalité, au suffrage universel indirect.
Dans ce sens que les voix populaires servent à élire, à l’échelon de chaque Etat, non pas le Président des Etats-Unis, mais bien plutôt les membres de ce Collège Electoral Fédéral, institués grands électeurs. Ce sont ceux-ci, considérés comme des sages capables de corriger les erreurs dues aux folies des tribuns écoutés des foules, qui votent pour élire le Président.

Leurs votes électoraux vont en principe en bloc, au niveau de chaque Etat, au candidat présidentiel ayant reçu la majorité des suffrages populaires. Mais, il y a, dans ce système, des réalités révélatrices de sa spécificité étonnante. Exemples frappants: John Quincy Adams en 1824, Rutherford B. Hayes en 1876, Benjamin Harrison en 1888, George W. Bush en 2000 et Donald J. Trump en 2016 deviennent Présidents des États-Unis alors qu’ils ont obtenu moins de voix que leurs adversaires respectifs aux élections populaires.

Le vote populaire est donc, particulièrement dans le cas où celui qui l’a gagné n’obtient pas la majorité des grands électeurs, supplanté par le vote du Collège Electoral Fédéral.
D’où, par exemple, la défaite, à la présidentielle de 2016, de Mme Hillary R. Clinton qui a pourtant remporté le vote populaire par 53 % contre 47 % à son antagoniste Donald J. Trump. Celui-ci a, en effet, gagné le vote du Collège Electoral Fédéral par 306 voix contre 232. Les résultats du vote des grands électeurs sont généralement entérinés par la Cour Suprême de Justice et le Congrès. Jusqu’ici, les grands électeurs ont fait gagner, de cette manière-là, les cinq candidats présidentiels précités.

Ils sont tous des républicains, descendants des Fédéralistes alliés, depuis 1787, aux puissances d’argent. Le gouvernement qu’ils engendrent émane essentiellement de l’aristocratie possédante ou de la bourgeoisie honorablement représentée par ses supers experts politiques, constitutionnels, idéologiques et propagandistes.
Cela veut dire que les Pères Fondateurs ont pratiquement donné d’importants pouvoirs à ces grands électeurs qui, de nos jours, sont au nombre de 538 seulement. Répartis dans chacun des 50 Etats fédérés, ces 538 grands électeurs ne représentent même pas 1% de la population du pays.

LE PEUPLE
ORDINAIRE EXCLU.

D’où, l’observation de V.O. Key Jr, renchérie par Seymour M. Lipset, s’applique justement, dans toute sa rigueur, au sujet de cette infime classe des grands électeurs : « Lorsque peu de citoyens votent, cela signifie presque toujours que les milieux désavantagés sur le plan social ou économique sont insuffisamment représentés dans les organes de direction. La faible participation et l’absence d’organisation parmi les milieux défavorisés font qu’ils sont négligés par les politiciens qui tiendront compte, par préférence, des désirs des couches privilégiées et organisées...»
Placée dans ce contexte, l’infime classe des grands électeurs se retrouve toujours abandonnée, à chaque élection présidentielle, entre les mains des coalitions du Big Business et des supers experts du système politico-idéologique, constitutionnel et propagandiste des Etats-Unis.

Des témoignages abondent et concordent contre ces derniers. Ils mettent dans la balance le poids impressionnant de leur fortune et de leurs relations pour détourner, à leur propre profit, la démocratie américaine. En faisant élire le plus souvent, à la présidence de la République, les candidats présidentiels, républicains et démocrates confondus, de leur obédience.
Mais, pourquoi les Pères Fondateurs ont-ils donné, en matière d’élection présidentielle, d’importants pouvoirs à cette infime classe des grands électeurs ?

Leur option a fondamentalement résulté de l’incertitude de la vérité des principaux principes démocratiques. En effet, le principe majoritaire n’était, au fond, pas conforme à leur projet de société. Ils n’avaient jamais envisagé le principe égalitaire sous la forme d’une égalité des conditions entre les citoyens ordinaires et les élites aristocratiques ou bourgeoises. Enfin, ils n’avaient pas introduit le principe pluraliste dans la Constitution, celui-ci impliquant l’existence et la diversité des factions, tels que les partis politiques, qu’ils évitaient à tout prix.

Le pluralisme actuel découle plutôt de la confrontation inévitable qui eut lieu, en 1824, entre les Fédéralistes d’Alexander Hamilton, alors conduits par John Quincy Adams, et les Anti-Fédéralistes de Thomas Jefferson, menés par Andrew Jackson. Ces deux tendances politiques ont donné naissance respectivement au Parti Républicain et au Parti Démocrate actuels. Pour tout dire, en inventant l’institution de Collège Electoral Fédéral ou des grands électeurs, les Pères Fondateurs avaient pour objectif principal de contenir l’exubérance de l’esprit populaire ou démocratique qui avait libre cours sous la Loi Fondamentale des articles de Confédération. Ils ont opté pour un certain esprit censitaire, aristocratique ou bourgeois.

Ils ont donc furtivement exclu l’influence directe et écrasante du Peuple ordinaire sur l’élection du Président du pays des combattants de la liberté, de l’égalité des chances, de la stratification sociale ouverte et des droits humains pour que ce poste, le plus important et le plus prestigieux du pays, ne leur échappe pas. C’est pourquoi, cette institution suscite toujours, lors des présidentielles, des tractations de toutes sortes et de tous ordres.

Elle subit surtout d’énormes et de terribles pressions et influences provenant des ailes conservatrice et progressiste de la bourgeoisie et de ses supers experts politiques, constitutionnels, idéologiques et propagandistes encadrés par l’invisible et puissant Ordre Social Protestant Anglo-saxon, détenteur exclusif du monopole de la puissance sociale. Se considérant foncièrement comme le fondateur et le bâtisseur du pays, cet Ordre est mentalement et radicalement habité, depuis 231 ans, par la conviction éthique et spirituelle de détenir la légitimité historique d’ayant-droit du poste de Président, Chef de l’Etat et Chef du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique.


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