- lun, 07/09/2020 - 21:31
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1498|LUNDI 7 SEPTEMBRE 2020.
Vendredi 4 septembre, le Conseil des ministres qui a suivi par visioconférence une communication du Chef de l’Etat sur les exonérations accordées à l’import-import au ministère des Finances, de 2017 à 2020, a été ferme. Il a «condamné ces exonérations et ces allégements fiscaux illégaux», selon le compte-rendu officiel qui en a été fait par le porte-parole du Gouvernement, le ministre de la Communication et des Médias, l’UNC David Jolino Diwampovesa Makelele, attendant «un rapport circonstancié» lors d’un Conseil des ministres qui n’a pas été précisé mais, selon toute vraisemblance, vu l’urgence qui découle du dessèchement du compte général du Trésor, ce rendez-vous pourrait avoir lieu vendredi 11 septembre et permettrait d’entendre une présentation de l’Inspecteur général des Finances, Jules Alengeti Key invité qui aurait en face le ministre des Finances, José Sele Salanghuli. Du sort réservé à ce dossier dépend la suite du mandat du Président de la République.
Et si l’IGF était la bouée de sauvetage du mandat de Fatshi?
Après un budget de 11 milliards de $US voté par le Parlement, un plan de trésorerie du ministère des Finances porté par le FMI a réduit de moitié une loi des Finances 2020 fort contestée par les partenaires extérieurs puis la pandémie de COVID-19 a fait le reste avec l’arrêt des exportations, l’arrêt de la production, conséquence logique de la fermeture des frontières des principaux pays importateurs de nos produits, les minerais en l’occurrence, la Chine en premier suivie par le reste du monde.
QUAND LES RECETTES
PUBLIQUES PLONGENT.
Nul, à un jet de pierre d’une rentrée parlementaire qui s’annonce de tous les dangers, ne saurait dire à quel niveau pourrait aujourd’hui se situer le budget de l’Etat congolais.
Voté le 18 décembre 2019 par l’Assemblée nationale après un réajustement à CDF 18.545,2 milliards (11 milliards de $US) réalisé au sein des commissions économiques et financières des deux chambres (Assemblée Nationale et Sénat), promulgué par le Président de la République le 31 décembre 2019, le pays en serait à moins de 3 milliards huit mois plus tard ? Les réalisations des trois régies financières (DGDA, DGI, DGRAD), principales pourvoyeuses des recettes du Trésor public ont ces derniers mois fait des plongées historiques même si elles font depuis peu une timide remontée.
A fin août 2020, les assignations budgétaires totales n’ont été réalisées qu’à près de 28%. Aucune régie financière n’a atteint 40% de ses assignations annuelles. Au 21 août 2020, les statistiques de la Banque centrale du Congo indiquent que sur les prévisions de CDF 17.225 milliards inscrites au budget de l’État, seuls CDF 4.771 milliards ont été mobilisés. Soit un taux de réalisation de 27,7%. Gravissime, le moins que l’on puisse dire...
Le compte général du Trésor paraît avoir été siphonné à ce point que l’Etat s’est trouvé en cessation des paiements ne pouvant garantir que le paiement des salaires des fonctionnaires.
Dans ce cas, comment faire face aux promesses électorales du Candidat n° 20 aujourd’hui Président de la République et surtout à son programme dévoilé dans son discours d’investiture prononcé jeudi 24 janvier 2019 dans les jardins du Palais de la Nation insistant sur la réalisation des infrastructures de base routières, portuaires, aéroportuaires, les nouvelles technologies, l’eau, l’électricité, la gratuité de l’enseignement fondamental, le système d’assurance maladie ?
Dans un régime dit officiellement de coalition en réalité de cohabitation, comment exclure des coups bas sinon des coups de canif comme on l’a vu en France sous les trois cohabitations Mitterrand-Chirac (1986-1988), Mitterrand-Balladur (1993-1995), Chirac-Jospin (1997-2002) susceptibles dans nos pays de conduire à des situations plus tragiques?
Les incessantes crises de tempête à tourbillon, de tourbillon à tempête que vit le Congo depuis la passation des pouvoirs le 24 janvier 2019 voulue «civilisée» ne sont-elles pas annonciatrices d’une situation plus grave et plus violente entre CACH et FCC si les suspicions de complot que vit ce couple rendaient le pays ingouvernable ?
JETER DANS
LE PRECIPICE UNE EXPERIENCE.
L’un des dossiers qui pourrait envenimer gravement les rapports au sein de ce couple et précipiter un affrontement fatal serait l’amenuisement des recettes publiques mettant le Gouvernement en incapacité d’honorer une paie déjà modique des fonctionnaires, des militaires et des policiers.
Or, selon les chiffres de la Banque Centrale et les réalisations des régies financières, cet effondrement des caisses du Trésor public ne serait pas une vue d’esprit. Ce serait même, selon nombre d’analystes, le moment attendu et annoncé par des caciques du PPRD-FCC dans un Parlement parfaitement sous contrôle et de déclarer l’impossibilité de la poursuite d’une expérience tombée en faillite.
Qui, dans ce cas, pourrait exclure la probabilité d’accusations directes désignant le ministère des Finances et la Banque Centrale du Congo tenues par des personnalités PPRD-FCC comme des instruments ayant œuvré à torpiller l’action du Président de la République et à la jeter dans le précipice avec finalité de lever la population ou de la prendre à témoin en vue d’un retour aux affaires de ces caciques?
Lorsque la Banque Centrale assèche le compte du Trésor public, que le ministère des Finances est accusé à tort ou à raison de distribuer à la pelle compensations et exonérations aux opérateurs économiques amis en touchant au passage des retours sur investissement, qui ne pourrait logiquement s’interroger s’il ne s’agit pas d’une action coordonnée de sape?
Certes, les ministres des Finances qui ont travaillé et travaillent sous Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo depuis la passa-tion des pouvoirs - qu’il soit Henri Yav Mulang ou l’actuel José Sele Yalaghuli - ou le Gouverneur de la Banque Centrale Déogratias Mutombo Mwana Nyembo ont beau livrer une posture «personnalité classe», au-dessus de tout soupçon, et clamer innocence et loyauté, qui pourrait exclure quelle hypothèse en ce moment où les brigades financières de l’Inspection Générale des Finances plongent dans les livres des régies financières et du compte général du Trésor et font des découvertes qui glacent le sang?
Il en est ainsi des exonérations accordées par les différents ministres des Finances de 2017 à 2020 qui totaliseraient le nombre hallucinant de 1581 autorisées soit par simple lettre soit par arrêté ministériel - une trentaine au total - qui seraient en réalité, à en croire diverses sources officielles, au cœur d’une véritable mafia financière dans le pays.
LE PARTENARIAT STRATEGIQUE NEUTRALISE L’IMPOT.
Depuis la prise de fonction de l’équipe gouvernementale Sylvestre Ilunga Ilunkamba, nommée le 26 août 2019 (ordonnance présidentielle n°19/077), l’IGF fait état de 482 exonérations accordées par simple lettre au bénéfice d’institutions publiques et d’ambassades mais aussi à des opérateurs économiques et à des personnes physiques.
L’Inspection Générale des Finances qui dispose «d’une compétence générale en matière de contrôle des finances et des biens publics» (Ordonnance n° 87-323 datée du 15 septembre 1987 portant création de l’Inspection Générale des Finances, en abrégé «I.G.F.»), soupçonne nombre de ces exonérations non seulement comme ayant été monnayées mais surtout comme une part de la mafia financière opérant au Congo.
Ce service qui relève du Président de la République, qui «vérifie et contrôle toutes les opérations financières de l’État, des entités administratives décentralisées, des établissements publics et organismes para-étatiques ainsi que des organismes ou entreprises de toute nature bénéficiant du concours financier de l’État, des entités administratives décentralisées et des établissements publics ou organismes para-étatiques sous une forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie», aimerait connaître le bien-fondé de ces exonérations.
Comment par exemple valider l’exonération accordée à une société privée comme Palmeco, Palmeraie de Gosuma (Sud-Ubangi, Équateur) qui bénéficie d’une exonération de biens (valeur CIF 470 millions de $US) avec une liste de 115 biens importés sans paiement des droits ?
Le pire semble être le cas de la société PPC Barnet DRC Manufacturing SA qui bénéficie d’exonération sur 503 équipements dans le cadre d’un régime institué, à en croire des sources proches de l’Inspection Générale des Finances, par l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo Mapon.
«Le partenariat stratégique imaginé à une certaine époque et toujours courant aujourd’hui neutralise les droits d’entrée, de sortie, la fiscalité intérieure et toute la parafiscalité», commente-t-on en haut lieu à l’IGF.
Or, le principe de base des lois congolaises est qu’«il ne peut être établi d’impôts que par la loi. Il ne peut être établi d’exemption ou d’allégement fiscal qu’en vertu de la loi» (art. 9, loi n° 011/11 du 13 juillet 2011 relative aux Finances publiques).
Ces lois sont le Code des investissements, le Code minier, le Code des douanes, le Code agricole, la loi sur les Asbl. Au terme de ces lois, tout bénéficiaire d’une exonération présente un dossier auprès du ministre sectoriel qui, après approbation, prépare un arrêté interministériel à signer conjointement avec le ministre ayant les Finances dans ses attributions.
Tous les arrêtés qui impactent le budget de l’État doivent avoir un avis du ministre ayant le Budget dans ses attributions, art. 107, loi relative aux Finances publiques n° 011/11 du 13 juillet 2011 ainsi libellé : «Tout projet de loi, toute décision ou convention quelconque pouvant avoir une répercussion immédiate ou future, tant sur les recettes que sur les dépenses ainsi que tout acte d’administration portant création d’emploi, extension des cadres organiques, ou modification du statut pécuniaire des agents de carrière des services publics du pouvoir central, doivent être soumis à l’avis préalable du ministre ayant le budget dans ses attributions et, le cas échéant, du ministre ayant les finances dans ses attributions comme prévu à l’article 108 de la présente loi» libellé comme suit : «Les opérations financières du pouvoir central, sous la forme notamment d’emprunts, de prêts, de garanties, de subventions ou de prises de participations sont conclues par le ministre ayant les finances dans ses attributions après avis du ministre ayant le budget dans ses attributions. Elles ne peuvent entrer en vigueur que si une loi les autorise».
Du coup, toute personne ayant bénéficié du non-paiement d’impôt par simple lettre ou par arrêté non interministériel tombe dans l’illégalité. S’agissant du Code des douanes, celui-ci fait du ministre des Finances un ministre technique tout comme ce code, se basant sur les conventions internationales, consent des exonérations aux ambassades, à la Présidence de la République, à la Primature et au ministère de la Défense. Ces avantages ne peuvent être étendus aux opérateurs économiques.
S’il existe un régime de partenariat stratégique institué sous le Gouvernement Matata par un décret du Premier ministre, «ce décret a créé un système visant à sauver des entreprises nationales en difficulté» sauf qu’aucune loi n’a prévu en l’espèce la prise d’un décret du Premier ministre qui, du coup, tombe dans l’illégalité.
S’il faut en revanche décider de quelle entreprise bénéficierait d’un régime d’exonération, c’est au ministre ayant l’Économie dans ses attributions et son collègue de l’Industrie de préparer un arrêté interministériel devant octroyer ces avantages.
En l’espèce, estime-t-on à l’IGF, le ministre des Finances n’a aucune autorité. On comprend que ce débat ait occupé vendredi 4 septembre le Conseil des ministres.
LE CONSEIL DES MINISTRES «CONDAMNE».
A en croire le porte-parole du Gouvernement, le ministre de la Communication et des Médias, l’UNC David Jolino Diwampovesa Makelele, qui a fait état des «résultats préliminaires de l’examen des exonérations fiscales, non-fiscales et douanières» portés à la connaissance des ministres par le Président de la République réalisés par l’Inspection Générale des Finances, ces résultats «révèlent que certaines des exonérations et des allégements fiscaux, quoique prévus par la loi, ont été octroyés en violation de la réglementation en vigueur».
Aussi, à l’initiative du Président de la République, le Conseil des ministres, qui «a exigé un rapport circonstancié à soumettre au Conseil des ministres», a condamné de telles pratiques et a enjoint aux ministres concernés d’annuler sans délai, toutes ces exonérations et ces allégements fiscaux en cas de violation de la loi, notamment ceux octroyés par voie de simple lettre ou en l’absence d’arrêté interministériel intervenu dans le respect de la procédure légale».
Faisant suite à cette réunion, l’Inspecteur Général des Finances Jules Alingete Key est monté au créneau et, dès le lendemain, a signé une lettre portant «encadrement de la mise en œuvre de la décision gouvernementale de suppression des exonérations illégales».
Daté du 5 septembre (n° 447/PR/IGF/IG-CS/JAK/SMI/2020), ce courrier, avec ampliation au Président de la République, au Premier ministre-Chef du Gouvernement, au ministre du Budget, au ministre des Finances, au Directeur Général de la DGDA, au Directeur Général de la DGI, à Mme la DG de la DGRAD, à l’Inspecteur Général de la Police Judiciaire des Parquets, au Coordonnateur-Inspecteur Général des Finances, «instruit» tous les inspecteurs généraux des Finances, chefs de mission des équipes d’encadrement des recettes au niveau des Règles financières, «de veiller à la stricte application de cette mesure (gouvernementale) étant entendu que l’illégalité entachant les actes à travers lesquels ces exonérations ont été obtenues, rend ces dernières inéligibles au bénéfice de la clause transitoire prévue notamment dans les dispositions préliminaires du tarif douanier».
La lettre de Jules Alingete Key précise qu’il s’agit «particulièrement des arrêtés d’agrément au régime fiscal applicable aux entreprises éligibles au partenariat stratégique sur les chaînes de valeur et de simples lettres, quels qu’en soient les bénéficiaires». «Aussi cette décision de suppression devant sortir ses effets dès la publication du compte-rendu de la réunion susmentionnée du Conseil des ministres, son application sans délai est de rigueur».
L’inspecteur général des Finances dont la priorité actuelle est donnée aux questions financières avant de plonger dans le dossier de Bukanga-Lonzo dans le Kwango, demande instamment aux inspecteurs généraux des Finances, «de faire usage des compétences d’officier de police judiciaire à compétence restreinte en matière dès finances publiques, avec le concours de la Police Judiciaire des Parquets pour constater les infractions en rapport avec cette décision et en traduire les auteurs devant les instances judiciaires compétentes».
D. DADEI.