Arrêtons le déclin
  • lun, 27/03/2017 - 04:52

A New York, au siège des Nations Unies, Mgr Marcel Utembi en rajoute une couche.

Ce qui marche chez nos voisins ne devrait jamais marcher chez nous? Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Ngueso sut réunir son Dialogue, en fixa la ligne rouge à ne point franchir, s’en tînt et, au jour dit, en clôturait les travaux. Notre Conférence nationale souveraine avait nécessité trois ans de débats oiseux quand ailleurs deux mois voire moins suffirent sauf que notre CNS, malgré sa trop longue nuit, ne put rien régler puisque Mzee Laurent Désiré Kabila fit son entrée dans la ville le 17 mai 1997 emportant les Institutions. Jamais les périls n’ont été aussi généralisés. Jamais le franc ne s’est aussi dégradé. Président de la CENCO, Mgr Utembi vient à New York sur le toit du monde d’en présenter une image et d’en décrire l’impasse. Si ce n’est pas faux ce qu’il a déclaré au Conseil de sécurité, il en a rajouté une couche pour faire plus sexy. Des Congolais par millions en appellent désormais au Président de la République au titre de Garant Suprême de la Nation en vue d’une initiative qui arrête le déclin. Il y va du Salut national.
Voilà qu’un évêque se croit tout permis. Invité sur le toit du monde pour éclairer la lanterne des ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité sur le déroulement des pourparlers qu’il préside au Centre inter-diocésain de Kinshasa qui ont succédé aux négociations de la Cité de l’Union africaine conduites par un émissaire international, l’ancien secrétaire général de l’Union africaine Edem Kodjo, le président de la CENCO, Mgr Marcel Utembi a surpris autant qu’inquiété. Il a prononcé un discours sur l’état de la Nation.
Sur la forme, ce fut solennel, une allocution dans la très célèbre salle du Conseil de sécurité des Nations Unies, devant la planète entière, relayée, à l’heure du haut débit, par tous les réseaux sociaux. Pour tant d’égards, un de ses prédécesseurs - suivez mon regard... - pourrait être jaloux...
Certes, ce sont les événements qui font les hommes. Utembi s’est trouvé au bon moment au bon endroit...
On attendait que le prélat soit reçu par un groupe d’experts informels ou par des diplomates; qu’il donnerait à entendre un rapport mi-parcours sur ses pourparlers. Si aucun tapis rouge n’a été déroulé à son arrivée et s’il n’a pas reçu les honneurs dûs à un Chef d’Etat, au siège des Nations Unies à New York, le successeur du Cardinal Monsengwo a été accueilli avec grand honneur.
Sur le fond, il a balayé d’un trait son sujet en consacrant l’essentiel de l’allocution à l’état de la Nation.
D’entrée de jeu, l’évêque fait sensation.
◗ «Toutes les Institutions à mandat électif de la République Démocratique du Congo ont épuisé leur mandat».
Et, d’enchaîner dans cette même lancée:
◗ «C’est une première dans l’histoire de notre pays depuis son Indépendance».
Puis de conclure avec la même force:
◗ «Le Constituant n’ayant pas prévu une telle situation, l’Accord politique global et inclusif du Centre Inter-diocésain de Kinshasa s’avère la seule feuille de route réaliste pouvant sortir le pays de la crise institutionnelle».
◗ Texte dont la CENCO, martèle l’évêque, «demande instamment la mise en œuvre rapide et intégrale».

NI TITRE NI QUALITE.
Sur la forme, on se demande d’où le prélat catholique a-t-il usurpé ce pouvoir lui qui n’est pas une entité constitutionnelle. Le Congo est-il un pays sans Etat?
Certes, l’existence de Mgr Utembi n’émane ni des urnes, ni d’une ordonnance. C’est-à-dire, une autorité fondée juridiquement et légalement à octroyer un pouvoir. Mgr Utembi doit sa place et son rôle à une désignation du Président de la République. A-t-il, de ce fait, assez de qualité pour s’adresser au Conseil de sécurité avec une telle solennité et de traiter des questions régaliennes qui relèvent de l’autorité de l’Etat?
Voit-on l’évêque de Nyundo ou de Kibungo s’octroyer une telle étendue du pouvoir et ne pas être traité comme concoctant un coup? Pourquoi ce qui marche chez nos voisins ne devrait jamais marcher au Congo?
Au Conseil de sécurité, Utembi a réclamé des appuis, en premier, diplomatiques. Il a été aussitôt reçu à Bruxelles pour la énième fois par Didier Reynders, le ministre des Affaires étrangères de l’ancienne puissance colonisatrice et, à Paris, au Quai d’Orsay, par Jean-Marc Ayrault qui ont communiqué sur Twitter, Reynders avec à profusion des images sous les ors du Royaume de Belgique, signe d’une nouvelle légitimité octroyée! C’est par la CENCO que le monde avise le plus officiellement sur le Congo? Où est notre diplomatie à construire certes?
Sur le fond, il faut recadrer cet évêque.
Quand il affirme devant le Conseil de sécurité que des Institutions hors mandat sont «une première dans l’histoire de notre pays depuis l’Indépendance», il oublie que Mobutu est resté en place au pouvoir jusqu’en 1997 du fait d’une disposition constitutionnelle selon laquelle «le Président reste en place jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau Président élu» quand son mandat avait expiré en 1991. Si la maladie et la rébellion ne l’avaient emporté, quelle force aurait pu le destituer?
Quand Utembi affirme que «le Constituant n’a pas prévu une telle situation», quelle compétence accorder à un ecclésiastique qui est aussi une autorité scientifique? A-t-il jamais lu la Constitution de ce pays? Que dit-il de l’article 70 de la Constitution aussi claire que l’eau de roche, à savoir, «à la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu»? Que dit-il de l’interprétation de la Cour constitutionnelle faite à un groupe de Députés? Que dit-il de l’avis de juges constitutionnels français approchés par une avocate congolaise soucieuse d’asseoir une pensée scientifique et qui donnèrent raison à la Cour Constitutionnelle congolaise? Que dit ce prélat de cet autre article 103 de la Constitution qui stipule que «le mandat de député national commence à la validation des pouvoirs par l’Assemblée nationale et expire à l’installation de la nouvelle Assemblée», article
qui justifie la réplique du président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku Ndjaladjoku à une question d’un journaliste à Paris selon laquelle il n’éprouvait «ni remords ni complexes» car il est en conformité avec la lettre et l’esprit de notre Constitution. «En tant que député, je ne pourrais être remplacé que par un député d’Idiofa élu par le peuple, et non par un député nommé. Or, il n’y a pas eu de législatives. Qui en porte la responsabilité? C’est une autre affaire» (JA). Avant de mordre: «Vous pourriez poser la même question à Léon Kengo wa Dondo, le président du Sénat, dont le mandat a pris fin en 2012».
Quand l’évêque fait de l’Accord politique global et inclusif du Centre Inter-diocésain de Kinshasa «la seule feuille de route réaliste pouvant sortir le pays de la crise institutionnelle», en clair, le seul texte qui confère légalité et légitimité, a-t-il, au Centre Inter-diocésain, aboli la Constitution? Si oui, en a-t-il qualité?
Quand des faits aussi notoires sont occultés, n’y voit-on pas un parti pris, le rejet par principe - par idéologie - d’une position?
C’est Le Loup et l’Agneau de la Fontaine:
- «Je sais que de moi tu maudis l’an passé», attaque le loup.
- Sire, comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né: je tette encore ma mère.
- Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
- Je n’en ai point.
- C’est donc quelqu’un des tiens: car vous ne m’épargnez guère; vous, vos Bergers et vos Chiens. On me l’a dit. Il faut que je me venge.
La loi du plus fort.

LE PREMIER MINISTRE SEUL.
D’autres aspects abordés par Marcel Utembi dans ce discours devant le Conseil de sécurité dont à nouveau on sera en peine de lui trouver le titre et la compétence tiennent à des aspects socio-politiques, sécuritaires et économiques. Ainsi en est-il de «l’interruption de la scolarisation»; de la famine qui mine la population; des bandes armées en Ituri, au Nord-Kivu à Beni et Lubero, dans le Tanganyko; de Bundu dia Kongo dans le Kongo Central ou dans la Capitale Kinshasa; d’attaques d’églises, de presbytères et de couvents de religieuses; du rapt d’experts onusiens; des fosses communes au Kasaï; du risque de report des scrutins; de l’éventuel référendum; de la révision constitutionnelle; de la situation économique «de plus en plus préoccupantes et inquiétante»: des entreprises «qui tournent au ralenti»; de la monnaie «qui perd de jour en jour de sa valeur»; du pouvoir d’achat «insignifiant»; etc.
Il faut nous mettre d’accord. Si ce tableau brossé par Utembi correspond malheureusement à la situation que vit le pays, la CENCO fait fi en revanche du système politique congolais qui érige le Gouvernement en institution qui «conduit la politique de la nation (art 91) et que ce Gouvernement est «dirigé par le Premier ministre, chef du gouvernement (art. 90). La CENCO oublie que depuis le 19 décembre 2016, ce Gouvernement est dirigé par un opposant, Samy Badibanga Ntita, Député UDPS qui en présida depuis le début de la législature le groupe parlementaire d’opposition à l’Assemblée nationale et, qu’en l’espèce, le Chef de l’Etat, n’aurait pu trouver mieux...

A LA HAUTEUR DES ENJEUX?
Autre affaire est de savoir si ce Premier ministre nommé conformément à l’accord du 18 octobre est à la hauteur des enjeux.
«Avant d’entrer en fonction, le Premier ministre présente à l’Assemblée nationale le programme du Gouvernement. Lorsque ce programme est approuvé à la majorité absolue des membres qui composent l’Assemblée nationale, celle-ci investit le Gouvernement» (art. 90).
L’entrée en fonction de l’équipe Badibanga a respecté la lettre et l’esprit de la Constitution.
Au fait, qu’aurait pu faire en l’espèce le Président de la République qu’il n’a fait? Badibanga avait su séduire ses recruteurs et rendu attrayant son casting. Sa proximité biologique et politique avec les Tshisekedi présageait un déminage en règle de la transition outre sa connaissance supposée du pays et des réseaux de déstabilisation en interne et en externe. A cela s’ajoute la conviction que hors du Dialogue, il n’y avait point de salut.
A l’épreuve de l’action, c’est le pschitt. Tout s’est dégonflé.
Depuis son entrée dans les appartements de l’Hôtel du Conseil, jamais dans le pays les périls n’ont été aussi généralisés. Jamais, l’économie n’a été aussi mal en point. La monnaie - le franc - ne s’est jamais aussi dégradée. De ce point de vue, devant le Conseil de sécurité, Utembi en a donné l’exact tableau.
Quand le gouvernement doit consacrer l’essentiel de son travail à la population, ses ministres vont à deux voire à trois à l’étranger à un forum - comme récemment dans une capitale africaine - quand le Gouvernement parle d’une voix et d’une seule! D’où des taux de décaissement exponentiels avoisinant les 400%. Un nouveau Premier ministre serait-il la solution? Encore faut-il savoir lequel... Les mêmes causes produisent-elles les mêmes effets? Face à l’indolence et à la dégradation, le Président de la République au titre de Garant constitutionnel, devrait prendre une initiative et arrêter le déclin. Il y va du Salut national.
Devant l’Assemblée nationale, le premier ministre Badibanga s’était fixé trois objectifs à atteindre à court terme: organiser les élections, consolider la cohésion nationale, faire face à la crise économique et sociale. Si les décaissements en faveur de la CENI ont suivi, on est à la peine sur les deux autres objectifs. «Nous travaillerons à la décrispation de la vie politique, à la pacification des esprits, afin d’éviter les pertes inutiles en vies humaines, tout simplement», proclamait-il le 22 décembre 2016 dans son discours d’investiture. Il insistait sur les questions sécuritaires en Ituri, au Tanganika, au Nord et Sud-Kivu, «où des groupes armés nationaux et étrangers, tuent sans pitié nos compatriotes». Comme au Kasaï Central, avec la prolifération de la milice tribale Kamwina Nsapu, question qui, déclarait Badibanga, le tenait «à cœur», et qu’il jurait de «régler, définitivement et rapidement, par une solution pacifique et durable».
Puis: «Mon gouvernement s’attellera, via des partenariats techniques et financiers, à la relance des exploitations à l’arrêt, et au soutien de l’agriculture familiale, pour qu’elle dispose de l’énergie, et des routes de dessertes locales, dont la rénovation donnera du travail à la jeunesse».
De la jeunesse, il érigeait «la gratuité de l’enseignement primaire en «priorité du gouvernement» en vue de «contribuer à relever les taux de scolarisation et éradiquer l’analphabétisme».
En matière de santé, Badibanga faisait fort, très fort. «La santé publique, l’une des missions principales de l’Etat, et le troisième des objectifs de développement durable, nous avons le devoir d’assurer, au minimum, la gratuité des soins aux enfants de moins de cinq ans, ainsi que la gratuité des accouchements sur l’ensemble du territoire».
Puis d’annoncer l’augmentation des recettes budgétaires en vue de «donner à l’Etat les moyens de conduire ses politiques, et de payer des salaires décents aux enseignants, au personnel médical, aux forces de sécurité, aux militaires, aux magistrats et aux autres agents de l’Etat».
A l’heure du bilan, alors qu’approchent à grands pas les 100 jours, moment fatidique pour tout Gouvernement de présenter des comptes et qui tombent le 10 avril, rien n’a pu démarrer. Rien n’a pu être entrepris. La gratuité de l’enseignement attendra. Tout comme les soins gratuits aux enfants dans nos hôpitaux et la gratuité des accouchements voulue pour booster le baby booming. S’ils sont repris dans un programme de gouvernement...
Pour l’histoire, Le Soft International donne à lire ou à relire ci-après le discours programme du Premier ministre du Gouvernement d’Union Nationale Samy Badibanga Ntita prononcé le 22 décembre à l’Assemblée nationale.
T. MATOTU.


Related Posts

About author

Portrait de T. MATOTU