Egal à lui-même, Bemba dit trois fois non
  • lun, 28/10/2013 - 02:09

«Si Luhaka ou un autre est ministre, il est radié du MLC dans la minute qui suit»

Beaucoup ne le savent pas: l’ancien Vice-président de la République en charge du secteur économique et financier du régime 1+4 n’est pas prisonnier à la Cour Pénale Internationale. Son statut à La Haye est celui de détenu. Il y a une très grande différence...
Comme Charles Taylor, l’ancien président du Liberia, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pendant la guerre civile de la Sierra-Leone entre 1994 et 2002, jugé et désormais reconnu coupable et condamné depuis et qui va aller purger sa peine en Angleterre; comme tous les compatriotes congolais Bosco Ntaganda, Thomas Lubanga accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité et notamment d’enrôlement d’enfants soldats en Ituri, Mathieu Ngudjolo Chui, poursuivi pour les mêmes crimes; comme l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo qui va comparaître en juillet pour répondre des faits de violences postélectorales dans son pays, Jean-Pierre Bemba Gombo bénéficie d’un régime de liberté... presque totale.

UN REGIME DE QUASI LIBERTE.
Dans le jargon de la CPI, on appelle cela «un régime de liberté contrôlée et organisée par le greffe». En soi, un régime de quasi liberté.
JPB reçoit qui il veut - ses invités, ses enfants, sa femme des heures durant (un maximum de 4 heures par invité néanmoins). Il mène une vie de famille presque normale - la vie de détenu à la CPI est à ce point «libre» que certains ne s’en seraient pas fait privés pour s’enrichir en progénitures. Il organise sa cuisine congolaise dans le réfectoire commun comme il l’entend - on dit qu’en bon Mungala, il raffole du poisson liboke et de quelques ragoûts et, last but not least, parle de longues heures au téléphone avec qui il veut. Du coup, depuis cinq ans, il dirige son MLC en temps réel, nommant à toutes les fonctions de son parti, radiant qui il veut et comme bon lui semble, donnant toutes les instructions et toutes les directives. Aucune minute de son parti ne lui échappe et, dès lors, aucune minute de la vie politique du pays ne lui est étrangère.
C’est lui et lui seul qui a décidé que son MLC (Mouvement de Libération du Congo) ne devait pas rallier le camp de refus de Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi. C’est lui et lui seul qui a ordonné que le MLC boude longtemps les initiatives du président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo avant de le rejoindre timidement puis, comme à la loyale, aux Concertations nationales initiées et convoquées par le Président de la République.
Les observateurs qui suivent la vie politique congolaise, étaient un peu ahuris. Mobutu se serait retourné plusieurs fois dans sa tombe de Rabat!
Ce fut LE camouflet pour Vital Kamerhe Lwa-Kanyiginyi qui lui avait rendu visite dans sa cellule de La Haye et voulait tant en faire un allié... C’était ne pas connaître Jean-Pierre Bemba Gombo.

ENTRE DEUX MAUX...
Si Kamerhe souffre d’un égo surdimensionné, il en est de même de Bemba qui ne s’en est jamais caché. Lui dont l’autorité ne peut être contestée de personne. Lui qui dirige son MLC de main de fer et que l’on dit à l’uppercut facile quand un collaborateur - quelque soit son rang - se montre un peu trop indépendant. Pour que les deux s’accordent et acceptent de faire route ensemble, il aurait fallu en faire disparaître un! Qui?
Voilà pourquoi plutôt que de suivre Kamerhe - entre deux maux, il faut choisir le moindre -, Bemba a décidé de rallier Kengo ou Kabila. Et comme en politique congolaise, nos meilleurs ennemis sont nos propres frères, Kamerhe y a vu un clin d’œil au Chef de l’Etat, allant à suggérer que l’opération aurait pu être négociée contre espèces sonnantes et trébuchantes lors d’un entretien téléphonique de plusieurs heures. Au MLC, on rejette catégoriquement cette assertion.
«Tous les appels téléphoniques de Jean-Pierre Bemba passent par le standard téléphonique du greffe de la CPI et les conversations sont enregistrées. La standardiste du greffe a des heures de travail strictes qui vont de 8 à 19h30’ alors que le Sénateur débute ses audiences à 8 heures pour les terminer à 17 heures chaque jour. Tout celui qui veut vérifier la véracité de ce propos peut s’adresser au greffe de la CPI. Si entretien téléphonique il ya eu, c’est bien moi qui aurais arrangé cela. Or, j’avoue n’être au courant de rien», nous déclare l’homme avec qui l’ancien Vice-président de la République parle, chaque jour, «au moins six fois».
L’homme, Fidèle Babala, un Mbala du Kwilu, dans le Mayumbu du Bandundu. Ancien de Belgique - et de Bruxelles - comme Jean-Pierre Bemba Gombo, si celui-ci a fait le fameux ICHEC, Babala a fait l’ULB (Université Libre de Bruxelles) mais entre les deux hommes, le courant est vite passé. Depuis la Belgique, la troupe s’est élargie, comptant Emery Kalamba, Djunga, Olivier Kamitatu, Michel Losembe.
Diplôme en mains, Bemba débarque dans les affaires de papa (Scibe Zaïre) après un court stage chez Citi avant de lancer sa propre ligne (Comcell, une compagnie cellulaire, une société de location de véhicules, etc.) quand Babala se dirige vers le pétrole, chez Total, à Pétro-Zaïre. Puis arrive la crise de l’AFDL. Bemba qui a tenu les fonds secrets de Mobutu, se sent soudain indésirable. Il est le premier des Mobutistes à quitter Kinshasa sur la pointe des pieds - on le dit incapable de faire face au stress - et laisse Babala se charger «accessoirement de ses affaires».
Quand Bemba prend la tête de la rébellion à l’Equateur, le nouveau régime soupçonne le Mbala d’intelligence avec l’ennemi. Cela vaut des mois de prison à ce Mbala de 57 ans, né à Kinshasa, marié à une Mungala, Nicole Linengi - précisément une Ngombe de Lisala. Au lendemain de Sun City et à la nomination de Bemba comme Vice-président de la République, Babala rejoint son ami d’abord comme conseiller économique avant d’être promu Directeur de cabinet adjoint, puis Directeur de cabinet avant d’être son directeur de campagne à la Présidentielle de 2006.
Depuis son lieu de détention à La Haye, Babala est le fil par où passent les ordres de Bemba à sa famille, au personnel de ses entreprises, à son parti. C’est lui à qui il confie les missions secrètes.
La loyauté a fini par payer. Babala se vante d’être celui qui a à ce jour le plus rencontré Bemba.

QUINZE VISITES A LA HAYE.
Et c’est trois fois l’an, nous dit-il. En cinq ans, cela fait quinze visites. «Nous y restons deux heures voire quatre, la limite maximale autorisée par le greffe».
A la tête de son parti - la Convention pour la Renaissance et le Progrès - c’est lui qui traite toutes les questions politiques et mêmes certaines questions financières hormis ses émoluments de Sénateur et la dotation de 10.000 USD payée pendant cinq ans par la République et dont s’est chargée la Sénatrice Eve Bazaiba, une ex-UDPS.
Sur papier, secrétaire général adjoint en charge des questions politiques, le Dép. MLC est en réalité le faiseur des rois. Ce qui ne va pas sans lui attirer des ennuis au sein de la fratrie de l’Equateur.
Sur le dossier des Concertations nationales et les suites, Bemba a opposé un non catégorique à toute idée pour le MLC d’entrer au Gouvernement. Comme Mobutu, son père putatif, il a dit trois fois non. «Nous, nous sommes déclarés partisans d’une opposition républicaine. Le MLC ne veut pas assumer l’échec du pouvoir en place. Nous, nous attendons les élections à venir».
Au MLC, qui mise sur la libération inconditionnelle du Sénateur «au plus tard au moins de juillet prochain», tout deviendra alors possible. Ici, on accuse l’actuel secrétaire général Thomas Luhaka Losendjola (Maniema) qui a co-dirigé un groupe thématique aux Concertations nationales après avoir représenté le parti au comité préparatoire du forum, de vouloir négocier le poste de ministre de la Défense dans le prochain Gouvernement de cohésion nationale annoncé par le Président de la République le 23 octobre, tout comme un autre, Germain Kambinga (Bandundu), le tout récent porte-parole du MLC et directeur de l’une des chaines de télé de Bemba, CCTV, qui lorgnerait sur le poste de ministre de l’Information et de porte-parole du Gouvernement de cohésion nationale. Ce qui laisse d’aucuns pantois. Lui, un opposant faire le porte-parole de Kabila? Cela rappelle l’épisode Mobutu-Nguz, raillent d’aucuns...
Une troisième personne est soupçonnée d’organiser la «fracture», c’est une femme, Angélique Milemba (Kasaï), candidate malheureuse au poste de rapporteur adjoint du Bureau de l’Assemblée nationale qui se verrait bien dans la peau de ministre du Genre après avoir tant investi au MLC.
«Nous n’avons pas pour vocation de faire carrière dans l’opposition mais si Thomas Luhaka y va, c’est moi qui lirai sa radiation du MLC et cela n’attendra pas une semaine ou un jour, cela se fera dans les quinze minutes qui suivront l’annonce», nous explique Babala qui venait de parler avec celui qu’il appelle affectueusement «Mokonzi» (Chef), «Mwana Mayi» (l’enfant du pays) ou encore plus familièrement «Dit» (ami).
«La position du Chef était claire. Les Concertations nationales ne devraient en aucune façon être ni une CNS-bis, ni un Sun City-bis, ni un lieu de partage du pouvoir. On y est allé pour défendre nos positions. Cette position n’a pas changé».
Puis: «Ce qui est clair est que l’on va certainement assister à des débauchages mais s’ils y vont, ils iront à titre individuel sans engager le MLC. Et la sanction d’exclusion viendra immédiatement».
Puis d’expliquer. «Tous sont partis: Olivier Kamitatu, Adam Bombole, Delly Sesanga, François Mwamba Tshishimbi, José Makila Sumambo, Jean-Lucien Busa Tongba, etc. Qu’ont-ils apporté là où ils sont? S’il faut qu’on reste à deux - le Chef et moi - on restera à deux. Nous devons conquérir le pouvoir par la voie des urnes et nous le ferons. Nous avons une expérience», explique l’ancien directeur de campagne.
Babala apprécie les «résolutions» des Concertations notamment sur son président de détenu et apprécie autant le discours du Président de la République qui a demandé au Gouvernement de suivre les dossiers des compatriotes détenus à la CPI. Quand on sait que le Kenya est intervenu auprès de la CPI sur le cas de son Président Uhuru Kenyata, quand on sait que le Chef de l’Etat a invoqué la nécessité de paix pour retarder l’arrestation et le transfèrement de Ntangada à La Haye, il s’agit d’une «normalisation de la position de notre Gouvernement face à un compatriote ainsi que le recommande la Constitution qui place tout compatriote à une protection consulaire».

LE MLC EN SAIT GRE A KABILA.
«C’était important, explique-t-il, de faire savoir à la Communauté internationale que même son propre pays, se soucie de son cas et le réclame en vue de faire avancer la démocratie».
Dans son discours le 23 octobre sur l’état de la Nation, face aux deux Chambres législatives réunies au Palais du Peuple, le président de la République a déclaré: «Quant aux compatriotes détenus à la Cour Pénale Internationale, ainsi que devant d’autres juridictions à travers le monde, au nom de la réconciliation nationale et du droit des citoyens à la protection consulaire, je charge le gouvernement de faire le suivi de leurs dossiers».
«Ce qui a été dit aux Concertations est largement suffisant et, pour cela, nous en sommes gré au Chef de l’Etat», nous déclare Babala. Il n’empêche!
Au MLC, on attend que cela se traduise dans les actes. Quand on lui demande pourquoi avoir rejeté l’offre de participation au prochain Gouvernement qui aurait permis au MLC de réclamer par exemple le portefeuille des Affaires étrangères ou de la Justice, interface de la CPI et de là, à traduire le discours présidentiel dans les actes, Babala botte en touche. «D’abord, personne à ce jour ne nous a fait une offre formelle quelconque et selon quels termes et quel contenu. Ensuite, le cas du Sénateur Bemba ne doit pas être un déterminant pour nous d’aller à la mangeoire populaire. Nous sommes convaincus qu’il faut accéder au pouvoir par la voie républicaine».
Le Sénateur préférerait-il voir un parent biologique - sa sœur, par exemple, l’épouse du Gouverneur de la Province Orientale Jean Bamanisa Saidi - arriver au Gouvernement plutôt qu’un camarade «lointain»? Ou, comme disent ses détracteurs, Bemba serait à ce point jaloux qu’il refuserait à quiconque que lui d’aller au fronton? N’est-ce pas à ce comportement figé que l’on doit la perte par l’opposition du poste de porte-parole de l’opposition? En fidèle des fidèles, Fidèle Babala balaie ces accusations d’un revers de la main.
D’une part, «la conduite de Jean-Pierre Bemba n’a jamais été une conduite dynastique, explique-t-il. Ensuite, ceux qui l’accusent d’avoir torpillé le poste de porte-parole de l’opposition doivent s’en prendre à eux-mêmes. Qu’ils arrêtent avec le syndrome de Calimero (le poussin noir anthropomorphe charmant dans une portée de jaunes mais malchanceux et plaintif, personnage de dessin animé, ndlr). Nous avions exclu le principe d’un exercice tournant à ce poste. Nous ne voulions pas que le MLC soit représenté par des personnes non légitimes ou par des couilles molles. Si nous, nous étions pas opposés, où serions-nous aujourd’hui? Quant à l’ancien président de l’Assemblée nationale, il avait tout fait pour empêcher la convocation d’une plénière de l’opposition. Or, c’est lui qui est à la base de cette procédure. Le porte-parole ne peut être désigné que selon un processus mené pa¬r les deux présidents des Chambres. Il est pris dans son propre piège. C’est un juste retour de la manivelle».
LE SOFT INTERNATIONAL

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