- lun, 10/03/2025 - 10:32
KINSHASA, PARIS, BRUXELLES.
Le Soft International n°1631|LUNDI 10 MARS 2025.
Les signaux sont présentement au vert. Les États-Unis de Donald Trump ont lâché le Rwanda de Paul Kagame. La plus grande puissance du monde est désormais aux côtés du Congo.
Jamais Washington n'avait envoyé ces dernières années autant de messages positifs à Kinshasa.
Le 29 janvier, le secrétaire d'État américain Marco Rubio, lors d'un appel téléphonique, avait dit au président rwandais Paul Kagame, que «les États-Unis étaient profondément troublés par l'escalade du conflit à l'Est du Congo», appelant à «un cessez-le-feu immédiat dans la région et à ce que toutes les parties respectent l'intégrité territoriale souveraine du Congo». Face à cette guerre, Marco Rubio a exprimé à Paul Kagame «la profonde inquiétude des États-Unis».
MINERAIS CONTRE AIDE MILITAIRE.
Le 20 février 2025, les États-Unis ont sanctionné «deux individus et deux entités liés à la violence et aux atteintes aux droits de l’homme dans l’Est du Congo», le ministre d’État rwandais en charge de l’Intégration Régionale, le Général James Kabarebe et Lawrence Kanyuka Kingston, porte-parole du M23 et de l’AFC, ainsi que deux des entreprises que celui-ci contrôle, Kingston Fresh et Kingston Holding - accusant « le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda (d'avoir étendu) depuis la mi-décembre 2024, son contrôle sur le territoire du Congo, s’emparant de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma, le 27 janvier et de la capitale provinciale du Sud-Kivu, Bukavu, le 16 février».
Le 22 février 2025, Marco Rubio a, dans un autre appel téléphonique, cette fois, avec le président kenyan William Ruto, appelé à un «cessez-le-feu immédiat». Les deux hommes ont tous les deux trouvé «inacceptable la prise de Goma et Bukavu par le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda», appelant à une «solution diplomatique à la crise».
Depuis des années, les États-Unis mettent en garde le Rwanda contre le soutien qu'il apporte à des groupes rebelles sans être interdit. Le 6 mars 2025, lors d'une conférence de presse, la porte-parole du Département d'État, Tammy Bruce a été direct : « Nous soutenons fermement le peuple congolais ainsi que la souveraineté et l’intégrité territoriale du Congo.
Je peux dire que lors de ses appels avec les deux présidents, le secrétaire d’État Rubio a insisté sur un cessez-le-feu immédiat dans la région, sur l'obligation de rendre compte des abus et des violations des droits de l'homme, et sur le respect par toutes les parties de la souveraineté et de l'intégrité territoriale. Nous espérons que les dirigeants reviendront au processus de Luanda et au processus de Nairobi, dirigés par l'Angola, et qu'ils prendront des mesures pour résoudre le conflit. Nous restons engagés sur le plan diplomatique ; cela va continuer. Cela ne s'atténuera pas et ne s'arrêtera pas ».
Sur le compte X de l'ambassade américaine à Kinshasa @USEmbKinshasa, l'Ambassadeure Lucy Tamlyn a surenchéri. « Lors de son premier point de presse, @StateDeptSPOX Tammy Bruce a clairement indiqué que notre nouveau Gouvernement est aux côtés du peuple congolais et du Congo. J’appuie sa déclaration en disant que l'engagement du @StateDept et de l'@USEmbKinshasa est de mettre fin au conflit dans l'est du pays restera solide».
Ce rapprochement de Washington avec Kinshasa a-t-il un lien avec les minerais critiques et stratégiques dont regorge le Congo ? Tous les médias en sont convaincus à voir la guerre entre l'Ukraine et les États-Unis. Selon un article du site de la Rtbf, le média belge francophone, citant l'agence américaine Bloomberg, Kinshasa « a proposé à Washington un accès exclusif à certains minerais et aux projets d’infrastructure qui y sont liés en échange d’une aide militaire».
Le Congo « demande, dans une lettre adressée au secrétaire d’État américain Marco Rubio, une réunion urgente entre les présidents Félix Tshisekedi et Donald Trump», rapporte l’agence américaine. Dans cette lettre datée du 21 février, «Félix Tshisekedi souhaite discuter avec Donald Trump d’un pacte qui permettrait aux entreprises américaines d’accéder à certains des minerais les plus convoités pour les secteurs de la Défense, des technologies et de la transition énergétique».
Les matières premières congolaises sont essentielles à la compétitivité de l’industrie américaine et à la sécurité nationale, souligne un groupe afro-américain qui représente les intérêts du Congo, rappelant que ce pays est le premier fournisseur mondial de cobalt et est riche en lithium, tantale, cuivre et uranium (lire en page 19, le témoignage glaçant sur les mines du Kivu d'un ancien ambassadeur français à Kinshasa).
Un partenariat offrirait «aux États-Unis une occasion unique de mettre en place une chaîne d’approvisionnement fiable et exclusive», plaide le groupe afro-américain. Dans un e-mail adressé à l’agence de presse Bloomberg, le département d’État américain déclare que l’administration Trump est «ouverte à la discussion au sujet de partenariats» mais un tel accord n’est pas pour tout de suite.
Après les États-Unis, plusieurs autres pays se mettent aux côtés du Congo. Tel le Canada. Dans une déclaration faite le 3 mars 2025, trois ministres canadiens (Mélanie Joly, Affaires étrangères; Ahmed Hussen (Développement international) et Mary Ng (Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique), disent qu'«en raison des actions du Rwanda dans l’Est du Congo», le gouvernement du Canada a «suspendu la délivrance de licences pour l’exportation de marchandises et de technologies contrôlées vers le Rwanda»; le Canada aussi «suspendu les nouvelles activités commerciales de gouvernement à gouvernement avec le Rwanda, ainsi que le soutien pro-actif aux activités de développement commercial du secteur privé, y compris les missions commerciales» ; il va «revoir la participation du gouvernement du Canada aux événements internationaux organisés au Rwanda, ainsi que les propositions rwandaises pour l'organisation de futurs événements».
Puis : « Aujourd’hui, Affaires mondiales Canada», le Haut-commissaire du Rwanda au Canada a été « convoqué pour lui faire part de la position du Canada quant à la violation manifeste par le Rwanda de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Congo, et pour informer le Rwanda de ces mesures».
Même tendance ferme en Europe. Après les sanctions de Londres et les mesures annoncées par Berlin qui, fin janvier, par un porte-parole du ministère fédéral de la Coopération Économique et du Développement, a annoncé, dans un communiqué l’annulation des « consultations gouvernementales avec le Rwanda prévues pour la mi-février », ajoutant que « dans l’escalade actuelle dans l’est du Congo, on ne peut plus continuer comme avant», on attendait la réaction des ministres des Affaires étrangères de l'UE, l’Union Européenne après le vote unanime du parlement européen appelant à des sanctions contre le Rwanda.
EN ATTENDANT LE 17 MARS...
Certes, le Conseil Affaires étrangères de l’Union Européenne a musclé légèrement son discours condamnant l’agression menée par le Rwanda au Congo. Si des mesures concrètes avaient été envisagées, elles n'ont toujours pas formellement été décidées. Lors de leur réunion du 24 février, les ministres des Affaires étrangères n'ont pas sanctionné le Rwanda pour son soutien au M23, malgré une résolution du Parlement européen réclamant des sanctions.
Un pays, à la surprise générale, s’y serait opposé : le Grand-Duché de Luxembourg par son chef de la diplomatie, Xavier Bettel. Ce petit État de 670.000 habitants a stoppé net les velléités de ses partenaires européens, empêchés d’agir contre Kigali par l’absence d’unanimité.
On rappelle que les sanctions de l’UE envers les États sont adoptées à l’unanimité par le Conseil de l’UE dans le cadre de la Politique de Sécurité et de Défense Commune, PSDC. Concernant le Rwanda, il ne s’agirait pas encore de ce type de sanctions.
Le Luxembourg s’est engagé auprès de ses partenaires «pour une approche graduelle, pragmatique et réversible, qui garde la porte ouverte à un dialogue afin de pouvoir répondre aux évolutions sur le terrain, sans nuire à ceux qui ont le plus besoin» de son aide. Par conséquent, ses projets de collaboration avec le Rwanda vont continuer à être mis en œuvre au niveau technique, au bénéfice des populations vulnérables dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’emploi ou de la résilience climatique.
Qu'a donc pu faire Xavier Bettel accusé d’avoir posé son veto empêchant des sanctions à l’encontre du Rwanda ? Surprise et colère à la Chambre où le ministre a démenti avoir voté contre des sanctions visant le Rwanda. Interpellé par la députée déi gréng Sam Tanson, auteure d’une motion sur le sujet, le ministre libéral a pris son temps pour rectifier le tir, face au tollé déclenché par ce veto. Tout faux ! Devant les députés, il a remis les pendules à l’heure et quelque peu déboussolé ses interlocuteurs. «Je n’ai jamais mis mon veto, car il n’y a pas eu de vote et je ne comprends pas qu’une fausse information puisse déclencher une telle avalanche», déclare le ministre en annonçant avoir reçu «des menaces directes».
La députée déi gréng s'est demandé pourquoi le ministre a attendu si longtemps avant de rectifier le tir, laissant la communauté congolaise et les cercle des ONG pointer du doigt la position isolée du Luxembourg sur la question des sanctions. Mais le ministère avait communiqué le jour même de la réunion à Bruxelles que des sanctions contre les responsables du groupe M23 avaient été retenues, ajoutant aussi que Xavier Bettel avait «suggéré d’attendre les résultats des efforts de médiation africains de cette semaine avant de les mettre en œuvre pour éviter que les parties se désengagent de ces pourparlers avant même qu’ils aient lieu».
Le ministre avait rappelé sa position le lendemain à Bruxelles face caméra. Finalement, la réunion qui devait se dérouler à Harare le 28 février a été annulée.
«Pour prendre des sanctions, il faut des noms, des détails précis, ce que nous n’avions pas. Aujourd’hui, nous disposons d’une liste de dix noms qui n’est pas encore rendue publique et il y aura un vote prévu le 17 mars», a annoncé Xavier Bettel. Il ne voit pas en quoi le Luxembourg serait gêné par des sanctions dès lors que ses échanges économiques avec le Rwanda restent modestes.
Il reste que le Luxembourg a ouvert une ambassade à Kigali en 2024, que le pays soutient le développement du «Kigali International Finance Centre», qui vise le transfert de compétences et de savoir-faire entre le Luxembourg et le Rwanda dans la formation d’une main-d’œuvre qualifiée, dans le développement de la finance durable, dans la création d’un pipeline de projets bancables et dans la fintech.
La motion de Sam Tanson, adoptée à l’unanimité, invite le gouvernement à intervenir auprès du gouvernement rwandais en vue d’un retrait de ses troupes du Congo. Pour que ce soit clair, la motion invite également le gouvernement luxembourgeois à soutenir l’adoption de sanctions européennes ciblées à l’encontre des responsables rwandais des exactions commises au Congo et à renforcer l’engagement diplomatique du Luxembourg au sein de l’Union européenne et des Nations unies pour œuvrer à une solution politique garantissant le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Congo.
«Ce qui est valable pour l’Ukraine l’est aussi pour le Congo et nous devons œuvrer pour faire respecter le droit international», s'est félicité Laurent Zeimet (CSV), satisfait des explications de Xavier Bettel. Le socialiste Yves Cruchten a estimé que ces explications arrivent un peu tard alors que la presse pointe le Luxembourg du doigt. «Même le Dr Denis Mukwege (Prix Nobel de la paix en 2018, ndlr) a posté un texte sur le réseau X indiquant que Xavier Bettel avait bloqué les sanctions européennes contre le Rwanda», informe-t-il en parlant du gynécologue.
Les députés Fred Keup (ADR) et Sven Clement (Parti pirate), se sont dits, eux aussi, perplexes et David Wagner (déi Lénk), a rappelé qu’il avait déposé une motion sur le même sujet qui avait été rejetée. Il demandait, entre autres, que le Memorandum of Understanding (MoU), prévoyant le renforcement du partenariat entre le Luxembourg et le Rwanda dans le domaine de la coopération au développement, soit suspendu.
Reste que le 17 mars, les ministres des Affaires étrangères de l’UE passeront au vote des sanctions contre le Rwanda sur la base d’une liste précise, et Xavier Bettel ne s’y opposera certainement pas. « Nous avons donc déposé au Parlement une demande pour une question élargie au ministre des Affaires étrangères afin qu'il s'explique à ce sujet en séance publique à la Chambre », a déclaré l'élu du parti déi Lénk. Il affirme que le gouvernement luxembourgeois protège les dirigeants rwandais pour des raisons économiques, au détriment du droit international.
« Au nom du business, notre gouvernement tolère le mépris du droit international par son pays partenaire, le Rwanda. Non seulement Xavier Bettel s'oppose ainsi à tous nos partenaires de l'UE et met en péril la crédibilité de l'UE dans ce conflit, mais il rompt aussi avec la position luxembourgeoise qui s'oppose traditionnellement au droit de veto au Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE », a ajouté David Wagner.
L’élu de La Gauche a exigé également la suspension de la coopération entre le Luxembourg et le Rwanda tant que l'armée rwandaise continue de commettre des atrocités dans l'Est de la RDC aux côtés des rebelles du M23. « Nous continuons à exiger que notre coopération avec le Rwanda soit suspendue tant que le gouvernement rwandais poursuit son attaque illégale contre le Congo, comme nous l'avons déjà demandé dans notre motion du 12 février 2025 ».
Pour rappel, la Commission de l'Union européenne a décidé le lundi 24 février d'imposer des sanctions au Rwanda suite à l'invasion de son armée dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Ces sanctions incluent, entre autres, la suspension des consultations en matière de défense avec le Rwanda ainsi que le réexamen du mémorandum d'entente sur les matières premières stratégiques signé avec le gouvernement rwandais en février 2024.
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères a opposé un veto à l'application immédiate de ces sanctions. « Je pense qu'il est important, avant de vouloir prendre des sanctions contre le Rwanda, d'attendre ce résultat ces trois ou quatre prochains jours pour voir si on va dans la bonne direction. Mais tout en disant cependant qu'on est d'accord pour que de nouvelles sanctions soient prises pour augmenter la pression. Car si on prend des sanctions aujourd'hui, quel est le risque ?
C'est que les parties ne se sentent pas motivées à faire les efforts nécessaires. Donc, dire que si vendredi aucun effort n'est fait, des sanctions seront prises à l'encontre du Rwanda, je pense que cela permettra d'avancer plus rapidement que de décider avant que des négociations aient lieu de sanctionner quelqu'un », s’est justifié Xavier Bettel après la réunion de la Commission Européenne.
avec AGENCES.