Opposition, refuge doré pour hommes du pouvoir
  • mer, 15/03/2017 - 02:18

Les vieux briscards de l’opposition massivement investis par des hommes du pouvoir et de pouvoir qui ne cessent d’accabler le régime savent-ils ce qu’ils font?

Il est un fait indéniable. Depuis les années transition, l’opposition sert de refuge doré aux hommes du pouvoir ou de pouvoir dès qu’ils sentent que leur horizon personnel s’assombrit irrémédiablement ou est susceptible de se lézarder de façon dangereuse. La même sempiternelle recette Kengo les attire. Cette recette est-elle infaillible?
Nos crises se succèdent et se ressemblent inexorablement. Mêmes tragédies comme au théâtre; mêmes acteurs, mêmes recettes.
La plus courante pourrait s’appeler Recette Kengo.
Voici un proche de Mobutu visé au cœur de l’appareil politico-militaro-sécuritaire. Certainement le véritable homme fort du Régime. Le plus craint de tous (hommes politiques, milieux d’affaires, artistes, Monsieur-tout-le-monde, etc.) comme Procureur Général de la République. Le seul à avoir été nommé par Mobutu deux fois premier ministre mais qui, après que Mobutu eût pris congé de son parti-Etat dans son discours eschatologique du 24 avril 1990, bascule dans l’opposition. Alors que le MPR devint fait privé, il monte avec ses Kengo’s boys un parti, Union des démocrates indépendants, UDI, porte à sa tête l’un de ses affidés, rallie l’aile dure de l’opposition de la XIIème rue, revient devant Mobutu en habit neuf: Premier ministre élu de la Conférence nationale souveraine, CNS. C’est le 14 juin 1993. Kengo l’a remporté avec 71,3% des voix exprimées des délégués à la Conférence nationale souveraine. L’opposition a voté en masse pour lui. Un vrai triomphe! Kengo dirige pour la troisième fois un gouvernement de la République - un record de longévité inégalé à ce jour - jusqu’à la guerre qui voit des villes de l’est et de l’ouest tomber, pousser Mobutu à s’enfuir, quitter le pouvoir, mourir à l’étranger au Maroc où il a trouvé une sépulture dans un cimetière de Rabat en attendant le rapatriement de ses restes...
Avec la désignation jeudi 2 mars à Kinshasa de Pierre Lumbi Okongo comme président du Comité des sages du Rassemblement des forces de l’opposition acquises au changement Rassop et, du coup, de potentiel président du Comité national de suivi de l’Accord (de la Saint-Sylvestre) CNSA, cet ancien conseiller spécial en matière de sécurité du Président de la République, sans doute l’un des plus puissants hommes du régime, au cœur de tous les dossiers sensibles de l’Etat - le militaro-sécuritaire, le politique, l’économique, etc., - qui n’ouvre pas la bouche sans tonner, change la donne en devenant désormais l’homme clé de l’opposition et en se présentant comme le vis-à-vis du Président de la République dans la finalisation des négociations du Dialogue du Centre interdiocésain. Certes, il faudra que l’ouragan qu’a déchaîné son élection contestée se calme au sein d’une opposition hétéroclite et que la Majorité Présidentielle donne son blanc-seing à sa désignation à la tête du CNSA. Ce qui est loin d’être acquis... Reste que telle est la quadrature du cercle.
Que la Majorité laisse son Autorité Morale s’asseoir face à ce chef de fronde devenu nouveau patron de l’opposition, c’est Hollande faisant table rase de la révolte née au sein du PS en acceptant de négocier des strapontins avec Montebourg ou Hamon. S’il a reçu le vainqueur de la primaire socialiste, le Chef de l’Etat ne lui a jamais serré la main en public, ni raccompagné sur le perron de l’Elysée. La politique c’est fort en symboles... On ignore d’ailleurs dans quel climat cette rencontre eut lieu... Si le fils Tshisekedi - François Antoine Tshisekedi Tshilombo - a pris la présidence politique de l’opposition, en réalité, et cela ne fait l’ombre d’aucun doute, c’est au Comité des sages que tout se joue et c’est son président qui est l’homme clé de la plate forme. Lui, membre du G-7 - le regroupement libéral formé d’ex-membres de la Majorité Présidentielle - et ses camarades dont les principaux firent partie de l’organe dirigeant de la Majorité Présidentielle, le Bureau Politique! C’est eux qui ont détricoté Genval, lui dotant de trois nouvelles structures - présidence politique, comité des sages, coordination des actions - qui ont permis au Rassemblement de sortir par le haut.

DU SURPLACE.
Ces crises zaïro-congolaises, quelles similitudes! On pensait avancer, nous voilà faisant du surplace. Mieux, en plein en train de reculer... Quand je poste sur mon compte Twitter @kkmtry: «Circulez, il n’y a rien à voir. Depuis Mobutu, l’opposition sert de blanchisserie aux gens du pouvoir. Kengo parti est revenu en force PM», un compatriote @bola2016 surenchérit: «Question de mentalité voire de culture. On sera certainement à manger de la terre à la place du pain dans deux siècles».
Quand au lendemain de la Pérestroïka et de la Glasnost, Mobutu déclenche début janvier 1990, ses consultations populaires, un an avant la fin de son dernier septennat, pour tenter de refonder un régime à bout de souffle et crée le 22 janvier, à la grande stupéfaction de son entourage, un bureau des consultations populaires dont il confie la direction à l’ambassadeur Edouard Mokolo wa Pombo, l’opposition lui conteste tout. Légitimité, légalité, pouvoir. Elle réclame son départ. Qui ose dire un mot positif pour cet homme - qui n’a pas que des défauts, loin s’en faut - est partisan du statu quo; appeler à son départ fait partie de la belle rengaine qui vous transforme en homme de changement.
«Quand on dit démocratie, chez nous, ça veut dire le départ de Mobutu». Sur les médias du monde, le Sphinx désacralise le Léopard. L’opposition rejette son projet de Conférence constitutionnelle, s’offusque qu’il prétende convoquer la Conférence nationale qui se muera plus tard en Conférence nationale souveraine...
Quand Joseph Kabila Kabange lance le 29 mai 2015 des consultations nationales tous azimuts en vue d’un Dialogue national, l’opposition ne réagit pas différemment.
Le Président a reçu des jeunes au Palais de la Nation, siège de la Présidence de la République. Ils n’ont rien à y faire, estime l’opposition. Il y a reçu des syndicats dont ce n’est pas la vocation; etc. L’opposition lui conteste tout. Légitimité, légalité, pouvoir.
Elle veut son départ et, le 9 juin 2016, depuis une banlieue bruxelloise, à Genval-Rixensart, devant la presse mondiale accourue, elle assure ne vouloir partager aucun pouvoir avec Kabila, proclame un Régime spécial dont le président de transition serait Tshisekedi. Elle n’entend nullement que le Chef de l’Etat convoque un Dialogue et en reconnaît l’initiative à la seule Communauté internationale, ONU, Etats-Unis, France, Belgique mais quand l’UA chargée par l’ONU, désigne un médiateur appuyé par l’OIF et l’UE, elle soupçonne la présidente de l’UA Mme Nkosazana Zuma d’être aux ordres.
Le 19 décembre 2016, date de fin du mandat du Président de la République, est annoncé au Congo comme celle de la fin du monde quoique tous les instruments juridiques disent le contraire. La presse mondiale a accouru! Le 19 décembre, rien ne se passe mais peu avant le passage au 20 décembre, un gouvernement voit le jour, «le Gouvernement de la peur». Il s’agit d’éviter un déplacement des plaques tectoniques qui aurait précipité le pays dans l’abîme!
Voilà qui renvoie au Premier ministre Mulumba Lukoji dont le gouvernement succédait le 14 mars 1991 à celui de Lunda Bululu trop vite sacrifié, mis en place au lendemain de ce discours de fin de régime mais fut boycotté par l’opposition. Un premier ministre qui fut nommé en pleine crise de la CNS, réussit à organiser celle-ci, à la faire convoquer par le Chef de l’Etat au terme d’une ordonnance présidentielle, l’ouvrit le 7 août, fut révoqué un mois plutôt le 22 juillet pour être remplacé par Tshisekedi avant d’être relancé après que le Premier ministre nommé eût jeté l’éponge. Ses «combattants» grondaient sous sa fenêtre de la XIIème rue le qualifiant de traître au peuple outre ses amis de l’USORAL en tête le fougueux Jean Nguz a Karl-i-Bond qui lui promirent des verts et des pas mûrs s’il acceptait cette nomination quand tous les esprits étaient focalisés sur la CNS... Dure épreuve pour Lukoji!
Sauf que ce professeur des universités anglo-saxonnes qui fut un intellectuel achevé doublé d’une expérience de terrain avérée - il fut déjà ministre de Mobutu - sut transcender une fierté personnelle entamée pour sauvegarder l’intérêt général. Mais voici que la confortable majorité présidentielle recrutée par «l’homme au verre d’eau» - il ne prenait jamais la parole sans une carafe d’eau posée sur le pupitre - pour les besoins de la CNS bascula le 15 août en faveur de Tshisekedi qui l’emportait par un vote sans appel de 70%. La même majorité ralliée à l’opposition fit échec à son candidat de la Majorité Présidentielle FPC (Forces politiques du Conclave) Baudouin Banza Mukalay Nsungu, 1er vice-président du MPR en lui préférant le candidat de l’opposition radicale Joseph Iléo, un transfuge du MPR parti-Etat, au poste de 1er Vice-président du Bureau de la CNS. Qui joue aux manettes? Un éminent membre du clergé catholique, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de la ville de Kisangani. Le 19 septembre, il avait repris la main aux politiciens classiques après que la preuve eût été donnée que l’octogénaire Kalonji Mutambayi avait échoué à conduire ce tournant historique.
Aujourd’hui, les mêmes politiciens paraissent avoir échoué au Dialogue de la Cité de l’UA. Du moins, faut-il en convenir.
D’où l’entrée en scène du même clergé catholique, cette fois par un team entier de la Conférence épiscopale nationale congolaise CENCO. C’est ce groupe désormais qui mène la danse en politique, communique avec les médias du monde, avec les Congolais pantois.
Comme dans cette affaire de testament. Un jour, ils disent non; un jour, ils disent oui. A-t-il jamais existé ce testament? Si oui, qui pourrait l’attester maintenant que Tshisekedi n’est plus?
Ce sont ces princes d’Eglise qui tournent dans des chancelleries étrangères, viennent des mêmes capitales comme autrefois pendant les années transition! La même troïka occidentale - source de légalité et de légitimité - omniprésente. Jouant des pressions, distribuant des points, indexant qui elle veut au passage. Bien sûr les hommes du pouvoir décadent...

CIRCULEZ...
Circulez, il n’y a rien à voir. Quel sort l’Assemblée nationale réserverait à un Premier ministre Rassop s’il venait à solliciter la confiance des élus contre le Président de la République et quel sort serait celui d’une Majorité présidentielle post Rassop? La question taraude les esprits mais les mêmes causes produisent les mêmes effets!
Le 24 avril 1990 quand Mobutu, vêtu de sa grande tenue noire de maréchal, s’adresse à la Nation pour la énième fois cette année dans ce discours historique à la Cité de son parti à la N’Sele après qu’il a lu et relu les 6.128 mémorandums reçus de diverses couches de la population lors des consultations politiques qu’il avait lui-même conduites à travers tout le pays, il s’arrête un moment, en fin de discours, quand il en vient à parler de lui-même, la voix enrouée, tape du poing sur le pupitre, puis, redressant le front courageusement et regardant la salle pleine comme un œuf de cadres et des groupes d’animation politique, se reprend avec cette phrase: «Comprenez mon émotion»!
Une larme traîtresse a coulé sous le verre de ses lunettes, vite essuyée. Une larme qui va au-delà de son sort personnel. Une larme qui engage ce pays vaste comme toute l’Europe. Un pays convoité comme jamais sans doute nul autre dans le monde et dont il a su préserver d’une main de fer un semblant d’unité et qui soudain plongeait dans l’inconnu. L’inconnu dont on mesure aujourd‘hui les effets. Trois décennies plus tard...
Les vieux briscards de l’opposition massivement investis par des hommes du pouvoir et de pouvoir qui ne cessent d’accabler le régime savent-ils ce qu’ils font? Ils participent à ce surplace… Sinon à ce recul!
T. KIN-KIEY MULUMBA.
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Titre d’origine:
Jusqu’où
peuvent-ils aller?


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